Nguyễn Hưng Long, « Chant des pêcheurs de Trường-Đông : culte de la baleine »

dans « Bulletin de la Société des études indochinoises », vol. 28, nº 2, p. 183-219

dans « Bul­le­tin de la So­ciété des études in­do­chi­noises », vol. 28, no 2, p. 183-219

Il s’agit du « Chant des pê­cheurs du vil­lage de Trường-Đông », com­posé par Nguyễn Hưng Long, un des ha­bi­tants de ce vil­lage viet­na­mien (XXe siècle). Le terme de « Chant » ne donne peut-être pas une idée exacte de ce mor­ceau. Ce n’est pas, comme l’on pour­rait s’y at­tendre, un des chants po­pu­laires si simples et si sua­ve­ment conçus du Viêt-nam. C’est plu­tôt une tra­gé­die ri­tuelle qu’on chante lors de l’enterrement d’un « cá voi » (« pois­son élé­phant ») ou « cá ông » (« pois­son sei­gneur »). On tra­duit ces deux ex­pres­sions par « ba­leine ». En fait, il ne semble pas que la vé­ri­table ba­leine des mers arc­tiques fré­quente les côtes viet­na­miennes. Ce que les vil­la­geois ap­pellent ainsi, ce sont en gé­né­ral des cé­ta­cés de grande taille, et en par­ti­cu­lier des mar­souins et des ca­cha­lots. « Su­bi­te­ment on aper­çut quelque chose flot­ter au mi­lieu des eaux », dit le « Chant »1. « Quel est cet être qui flot­tait sur l’abîme ? On se héla et on rama en­semble dans sa di­rec­tion pour voir le pro­dige. On com­prit que c’était la ma­ni­fes­ta­tion de la puis­sance sur­na­tu­relle de notre Es­prit saint qui, vi­vant, a aidé les hommes et qui, mort, consent en­core à se­cou­rir le peuple. » Jusqu’à ré­cem­ment en­core, la dé­cou­verte d’un cé­tacé échoué, mort ou mou­rant, fai­sait au Viêt-nam l’objet d’une cé­ré­mo­nie gran­diose, au pro­to­cole com­pli­qué, car cet ani­mal était consi­déré comme le plus gé­né­reux pro­tec­teur des pê­cheurs. La le­vée du corps se fai­sait en grande pompe : vingt ra­meurs en uni­formes bleus pré­cé­daient les por­teurs, et ryth­maient leurs pas comme pour une sorte de danse, en chan­tant et en ma­nœu­vrant en ca­dence des avi­rons ré­ser­vés à ce seul usage. Le ca­davre était en­se­veli so­len­nel­le­ment sous un tu­mu­lus pour une pé­riode de trois ans. Au bout de cette pé­riode avait lieu la fête de l’exhumation que pré­si­dait le pre­mier no­table du vil­lage. En­fin, une tra­gé­die ri­tuelle qui du­rait toute la nuit et toute la jour­née du len­de­main, clô­tu­rait cette suite de ri­tuels des­ti­nés à as­su­rer la pros­pé­rité. « La langue de cette tra­gé­die ri­tuelle est très sa­vante ; l’auteur est un let­tré qui veut faire éta­lage de sa science. Ré­mi­nis­cences, al­lu­sions lit­té­raires, images clas­siques, lan­gage pré­cieux, sont au­tant de dé­fauts qui, à nos yeux, alour­dissent ce texte et lui font perdre la ma­jeure par­tie de son in­té­rêt eth­no­lo­gique », dit M. Mau­rice Du­rand2.

la dé­cou­verte d’un cé­tacé échoué, mort ou mou­rant, fai­sait au Viêt-nam l’objet d’une cé­ré­mo­nie gran­diose

Voici un pas­sage qui don­nera une idée du style du « Chant des pê­cheurs » : « Au Nord, le Mont de l’Orchidée re­flète les cou­leurs de l’arc-en-ciel. Au Sud, les eaux du Đàm s’étalent en un cours unique. Dans cette grande paix, la lune est claire, le vent est pur. Pour gar­der le sou­ve­nir des se­cours ac­cor­dés, ins­cri­vons-les sur le mé­tal, gra­vons-les sur la pierre. Par une mince of­frande de len­tilles d’eau et de po­ta­mots, nous es­sayons très sim­ple­ment de Vous plaire. Avec les mots les plus beaux et les plus pré­cieux, nous fai­sons l’éloge de Vos ver­tus hautes et pro­fondes. Nous nous ef­for­çons d’accomplir à Votre égard les deux de­voirs de res­pect et de vé­né­ra­tion ; de tout notre cœur, nous Vous ren­dons grâces de Vos bien­faits. Holà ! ra­meurs ! Voici que notre Saint vé­né­rable déjà a passé la mer des souf­frances ; ef­for­çons-nous de Le conduire en ce long fleuve de l’oubli. La vie est pas­sa­gère ; la mort est un re­tour »3.

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