Đặng Trần Côn, Đoàn Thị Điểm et Hoàng Xuân Nhị, « Plaintes de la femme d’un guerrier »

éd. Sudestasie, Paris

éd. Su­des­ta­sie, Pa­ris

Il s’agit des «Plaintes de la femme d’un guer­rier» 1Chinh phụ ngâm» 2), poème (XVIIIe siècle apr. J.-C.) où sont ex­pri­mées les dou­leurs d’une femme sé­pa­rée de son mari par la , en même que les dé­cep­tions éter­nelles d’une as­pi­rant aux simples joies de l’. Bien que ces «Plaintes» ne soient pas un an­ti­mi­li­ta­riste, elles prennent un tel ac­cent d’impuissant déses­poir, elles sont si sin­cères dans leur in­quié­tude, qu’elles sus­citent une aver­sion ins­tinc­tive contre la guerre. On ra­conte que cer­tains , en les en­ten­dant chan­ter, dé­ser­taient :

«Sur les champs de car­nage, la aven­tu­reuse du sol­dat
N’est que trop sem­blable à la des feuilles!
» 3

Écrites d’abord en clas­sique par Đặng Trần Côn, ces «Plaintes» furent en­suite adap­tées en viet­na­mien par une femme cé­lèbre, Đoàn Thị Điểm, et en­fin en par un écri­vain in­jus­te­ment ou­blié, M. . Tous les trois étaient Viet­na­miens; tous les trois vi­vaient des époques trou­blées, des époques qui ar­ra­chaient les jeunes gens à leurs foyers; et les scènes dé­chi­rantes dont ils étaient les té­moins, en­traient pour quelque chose dans leur . De Đặng Trần Côn, nous ne sa­vons rien de vrai­ment bien pré­cis, si­non qu’il com­posa son poème dans une pé­riode de luttes in­tes­tines entre les sei­gneurs du Nord et du Sud. Tout le le li­sait et l’admirait, et quelques-uns al­laient jusqu’à dire : «Toute son se ma­ni­feste dans ce long poème. L’auteur vi­vra en­core trois ans tout au plus» 4. Cette fut mal­heu­reu­se­ment réa­li­sée : Đặng Trần Côn mou­rut, en ef­fet, trois ans plus tard, poussé, semble-t-il, au . Quant à la poé­tesse Đoàn Thị Điểm, sur­nom­mée Hồng Hà («Re­flets-Roses»), nous n’avons d’autres ren­sei­gne­ments sur elle que ceux four­nis par son orai­son fu­nèbre : «En agi­tant son pin­ceau pour dé­crire les pay­sages, elle ex­prima des très pro­fonds… ca­pables d’émouvoir même les Im­mor­tels… Hé­las! elle n’avait pas de de­meure stable… Ma­riée seule­ment après la tren­taine, elle quitta la la qua­ran­taine pas­sée. Sa et sa phy­sio­no­mie res­tèrent in­con­nues; ses œuvres ar­tis­tiques — sans écho; elle par­tit sans aver­tir sa vieille mère. N’est-ce pas que le des­tin est bi­zarre? Le est-il donc in­juste?» 5

les dé­cep­tions éter­nelles d’une hu­ma­nité as­pi­rant aux simples joies de l’amour

En­fin, quelques mots sur M. Hoàng Xuân Nhị. Cet écri­vain, qui était à Pa­ris au mo­ment où re­ten­tirent les pre­miers fra­cas de la Se­conde Guerre, cher­cha dans la des mes­sages de , d’ et de afin de les trans­mettre aux Fran­çais. Il dit, dans son jour­nal, que le jour où il mit le der­nier trait à sa pièce ins­pi­rée du «Kim-Vân-Kiều», l’enthousiasme gon­fla son cœur; il mar­cha — ou pour mieux dire il vola — dans les rues de Pa­ris, ré­ci­tant à haute voix, comme un pos­sédé, comme un dé­mo­niaque, ce vers puis­sant de Nguyễn Du : «“Trượng phu thoắt đã động lòng bốn phương.” Tout à coup, le grand sent re­muer dans son cœur le be­soin d’ qui est le fond de son ca­rac­tère». Des pas­sants se re­tour­naient et le re­gar­daient d’un air amusé ou même api­toyé. «Les !», se di­sait-il 6, «ils au­raient été trans­por­tés d’aise et au­raient ou­blié la tris­tesse in­fi­nie de la guerre, s’ils avaient eu seule­ment une goutte de mon grand !»

Il n’existe pas moins de huit tra­duc­tions fran­çaises de «Plaintes de la femme d’un guer­rier», mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de M. Hoàng Xuân Nhị.

「信來人未來
楊花零落委蒼苔
蒼苔蒼苔又蒼苔
一步閒庭百感催」

 Pas­sage dans la ver­sion ori­gi­nale de Đặng Trần Côn

«Tin thường lại, người không thấy lại,
Hoa dương tàn đã trải rêu xanh.
Rêu xanh mấy lớp chung quanh,
Sân đi một bước, trăm tình ngẩn ngơ.»
— Pas­sage dans la ver­sion ori­gi­nale de Đoàn Thị Điểm

«Les nou­velles partent, l’homme ne re­vient ja­mais!
Les de saule, plus d’une fois, ont jon­ché la mousse ver­doyante.
La mousse, plus d’une fois, s’est nour­rie de ces fleurs tom­bées;
Chaque pas sur les dalles ré­veille d’innombrables cha­grins!»
— Pas­sage dans la ver­sion ori­gi­nale de M. Hoàng Xuân Nhị

«Les mes­sages sont ar­ri­vés, mais vous n’êtes pas ar­rivé.
Les fleurs du peu­plier se fanent et tombent sur la mousse verte,
La mousse verte, la mousse verte et en­core la mousse verte!
À chaque pas, dans la cour dé­serte, cent pen­sées m’assaillent.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de M. La Com­plainte de l’épouse du guer­rier» dans «Bul­le­tin de la des études in­do­chi­noises», vol. 28, nº 2, p. 101-181)

«Je lui ai sou­vent écrit, il ne re­vient point.
Les fleurs du tremble jonchent la mousse verte.
Tout au­tour, que de couches de verte mousse!
Chaque pas que je fais sur ce moel­leux
Me rap­pelle un à un de trou­blants sou­ve­nirs.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de M. Tuần Lý 7Femme de guer­rier : élé­gie», éd. élec­tro­nique)

«Des nou­velles sou­vent me par­viennent, mais l’homme ne re­vient ja­mais;
Les fleurs du peu­plier, toutes fa­nées (flé­tries), ont jon­ché la mousse ver­doyante.
La mousse étale tout au­tour un épais ta­pis ver­dâtre.
Chaque pas que je fais ré­veille d’innombrables sou­ve­nirs doux et dou­lou­reux.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de M. Bùi Văn Lăng («Com­plainte de la femme d’un guer­rier», éd. Alexandre-de-Rhodes, Ha­noï)

«Les nou­velles partent, l’homme ne re­vient pas.
Les fleurs flé­tries du peu­plier jonchent la mousse.
La mousse étend tout au­tour son ver­dâtre ta­pis.
Chaque pas dans la cour re­mue mille vagues sen­ti­ments.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de M. Lê Thành Khôi («Chant de la femme du com­bat­tant», éd. Gal­li­mard, Pa­ris)

«Vous m’avez sou­vent écrit, mais vous n’êtes pas re­venu,
Les fleurs fa­nées du peu­plier ont formé un ta­pis vert moussu.
Sur cette mousse verte, j’ai en rond dé­am­bulé,
Et chaque pas dans la cour me ra­vive cent sen­ti­ments dé­so­lés.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de M. Đông Phong 8Com­plainte d’une femme de guer­rier», éd. J. Ouak­nine, Mon­treuil-sous-Bois)

«Les mes­sages ar­rivent sou­vent, l’homme ne re­vient pas.
Les fleurs flé­tries du peu­plier jonchent la mousse verte,
La mousse étend tout au­tour des couches ver­dâtres.
Chaque pas dans la cour éveille mille vagues sen­ti­ments trou­blants.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de M. Đặng Quốc Cơ («Chant de la femme du guer­rier, “Chinh phụ ngâm”», éd. élec­tro­nique)

«Sou­vent j’ai reçu des nou­velles,
Mais ja­mais revu mon époux!
Dans notre cour, les fleurs sèches du peu­plier
Ont re­cou­vert l’épais ta­pis de mousse;
À cha­cun de mes pas son­geurs,
Mille pen­sées sont ve­nues m’assaillir!»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de MM. Nguyễn Khắc Viện, Hữu Ngọc, Vũ Đình Liên et Tảo Trang («Plaintes d’une femme dont le mari est parti pour la guerre, “Chinh phụ ngâm”» dans « de la . Tome II», éd. L’Harmattan, Pa­ris-Mont­réal)

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  1. Par­fois tra­duit «La Com­plainte de l’épouse du guer­rier», «Chant de la femme du com­bat­tant» ou «Plaintes d’une femme dont le mari est parti pour la guerre». Icône Haut
  2. En chi­nois «征婦吟». Icône Haut
  3. p. 46. Icône Haut
  4. Dans Bùi Văn Lăng, «Pré­face à “Com­plainte de la femme d’un guer­rier”», p. II. Icône Haut
  1. Dans Trần Cửu Chấn, «Les Grandes du Viêt-nam : études», p. 14-15. Icône Haut
  2. «Thuy-Kiêou; suivi du jour­nal», p. 194. Icône Haut
  3. Pseu­do­nyme de M. Huỳnh Khắc Dụng. Icône Haut
  4. Pseu­do­nyme de M. Nguyễn Tấn Hưng. Icône Haut