Li Qing zhao, « Œuvres poétiques complètes »

éd. Gallimard, coll. UNESCO d’œuvres représentatives-Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. UNESCO d’œuvres re­pré­sen­ta­tives-Connais­sance de l’Orient, Pa­ris

Il s’agit de Li Qing zhao1, poé­tesse chi­noise (XIIe siècle apr. J.-C.). Née dans une fa­mille man­da­ri­nale culti­vée, elle épousa à dix-huit ans un jeune col­lec­tion­neur, Zhao Ming cheng2. L’union fut par­faite, les deux époux par­ta­geant une pas­sion com­mune pour la cal­li­gra­phie et la pein­ture au mi­lieu des ob­jets d’art, dont dix chambres de leur mai­son étaient rem­plies. Mais l’invasion des Jürčen3 fit brû­ler ce tré­sor et obli­gea les deux époux à se ré­fu­gier au Sud du fleuve Bleu : « Les ha­bi­tants », ra­conte Li Qing zhao4, « s’enfuient, de l’Est à l’Ouest, du Sud au Nord. Les mon­ta­gnards pro­jettent d’entrer dans les villes. Les ci­ta­dins pensent à ga­gner les mon­tagnes et les fo­rêts. Aux heures de midi, on voit sta­tion­ner de longues files de ré­fu­giés. Il n’y a plus per­sonne qui ne soit sans abri ». Quatre ans plus tard, Li Qing zhao per­dait son mari et fut ré­duite à me­ner une vie in­stable sans trou­ver le re­pos. Aussi, si ses pre­mières œuvres re­flètent la pé­riode heu­reuse de sa vie, celles qui suivent l’exode vers le Sud et la mort de l’époux ex­priment la dou­leur. Eh bien ! ce n’est que dans ces der­nières œuvres, com­po­sées sur la route et au mi­lieu des ha­sards, que Li Qing zhao montre des qua­li­tés propres à une grande poé­tesse, et j’ose dire que ses souf­frances, ses plaintes, ses larmes sont la moi­tié de son gé­nie. Pour s’en convaincre, il suf­fit de consi­dé­rer son poème com­posé sur l’air de « Sheng sheng man »5 (« Chaque note est lente »). Les trois pre­miers vers (« Je tâ­tonne à gauche, je cherche à droite. So­li­tude fraîche, so­li­tude froide. Mon cœur erre et se perd dans tant d’ombres, pâles, sombres. ») sont ci­tés en­core de nos jours pour illus­trer une grande dé­tresse. Quant au dé­but du vers sui­vant (« La cha­leur su­bite cède au froid… »), il est de­venu un pro­verbe pour ex­pri­mer une si­tua­tion chan­geante. En­fin, les deux der­niers vers (« Dans un tel état, com­ment en fi­nir avec ce seul mot ter­rible : “tris­tesse” ? ») sont dé­cla­més par les gens ins­truits pour évo­quer des mal­heurs qui s’accumulent.

Il n’existe pas moins de douze tra­duc­tions fran­çaises des poèmes, mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de Mme Liang Pai-tchin.

「滿地黃花堆積.
憔悴損,
如今有誰堪摘?
守著窗兒,
獨自怎生得黑?
梧桐更兼細雨,
到黃昏,點點滴滴.
這次第,
怎一個愁字了得!」

— Poème dans la langue ori­gi­nale

« Le sol est jon­ché de ces fleurs jaunes
Déjà toutes flé­tries,
La­quelle vou­drait-on cueillir aujourd’hui ?
Im­mo­bile, as­sise de­vant la fe­nêtre,
Seule, je m’impatiente : quand vien­dra-t-elle, la nuit ?
Le pla­tane bruit dans la lé­gère pluie.
Au cré­pus­cule,
Gouttes et gout­te­lettes tombent sans cesse.
Dans un tel état,
Com­ment en fi­nir avec ce seul mot ter­rible : “tris­tesse” ? »
— Poème dans la tra­duc­tion de Mme Liang

« Par­tout au sol les chry­san­thèmes s’amoncellent,
Dé­fraî­chis et dé­chus — à pré­sent, qui vien­drait prendre la peine de les ra­mas­ser ?
Veillant près de la fe­nêtre,
So­li­taire, par moi-même com­ment par­vien­drai-je à re­joindre l’obscurité ?
Au ster­cu­lier vient s’adjoindre la bruine,
Qui jusqu’au cré­pus­cule dé­goutte et dé­gou­line ;
Et toute cette com­po­si­tion,
Com­ment le seul mot de “souci” pour­rait-il en don­ner le sens ? »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Ber­trand Gou­jard (« Les Cin­quante-huit Odes », éd. élec­tro­nique)

« La terre est toute jon­chée de chry­san­thèmes.
Fa­nés, frois­sés,
Qui vou­drait les cueillir ?
Im­mo­bile, je veille au coin de la fe­nêtre :
Si longue est l’attente de la nuit…
Sur les pla­tanes, une pluie fine,
Au cré­pus­cule,
Glisse goutte à goutte, de feuille en feuille.
Tout cela,
Un seul mot, tris­tesse, peut-il le conte­nir ? »
— Poème dans la tra­duc­tion de Mme Zheng Su et M. Fer­di­nand Stočes (« Les Fleurs du can­ne­lier », éd. La Dif­fé­rence, coll. Or­phée, Pa­ris)

« Sol jon­ché de chry­san­thèmes ;
Ron­gée de cha­grin.
Avec qui les cueillir aujourd’hui ?
Je veille à la fe­nêtre ;
Com­ment at­tendre seule la tom­bée de la nuit ?
Pe­tite pluie sur les ster­cu­liers,
Goutte à goutte jusqu’au cré­pus­cule…
Tout cela, com­ment le dire ?
Le seul mot “tris­tesse” ne sau­rait suf­fire ! »
— Poème dans la tra­duc­tion de Mme Flo­rence Hu-Sterk (dans « Ainsi bat l’autre cœur : an­tho­lo­gie com­men­tée de poèmes d’amour chi­nois », éd. You Feng, Pa­ris)

« Les chry­san­thèmes jonchent le sol.
Fa­nés, qui vou­drait les cueillir ?
Seule der­rière ma fe­nêtre,
Le jour me semble in­ter­mi­nable.
La pluie fine dans les feuilles du pla­tane,
Au cré­pus­cule, tombe goutte à goutte.
Tout cela, le mot “cha­grin” le contient-il ? »
— Poème dans la tra­duc­tion de Mme Pa­tri­cia Guiller­maz (dans « La Poé­sie chi­noise », éd. Se­ghers, Pa­ris)

« Les fleurs d’or s’amoncellent au sol
Toutes flé­tries
Nul souci de les re­cueillir
Seule près de la fe­nêtre
Com­ment du­rer jusqu’à la nuit
La pluie à tra­vers les pla­tanes
Goutte à goutte dis­tille le cré­pus­cule
Cet état
Le seul mot “tris­tesse” peut-il l’épuiser ? »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Fran­çois Cheng (dans « Entre source et nuage : voix de poètes dans la Chine d’hier et d’aujourd’hui », éd. A. Mi­chel, coll. Spi­ri­tua­li­tés vi­vantes, Pa­ris)

« Jon­chant le sol, les fleurs jaunes s’entassent,
Flé­tries, meur­tries ;
Car, aujourd’hui, qui se sou­cie de les cueillir ?
À la fe­nêtre, sans bou­ger,
Com­ment pour­rai-je, toute seule, at­tendre les té­nèbres ?
Les ster­cu­liers… et, par sur­croît, cette pluie fine…
Qui dans le cré­pus­cule, tombe, tombe, goutte à goutte…
Ma condi­tion,
Le mot “dou­leur” suf­fi­rait à l’exprimer ? »
— Poème dans la tra­duc­tion de Mme Odile Kal­ten­mark (dans « An­tho­lo­gie de la poé­sie chi­noise clas­sique », éd. Gal­li­mard-UNESCO, coll. Connais­sance de l’Orient, Pa­ris)

« La terre est jon­chée de fleurs jaunes ac­cu­mu­lées
Flé­tries, abî­mées,
Main­te­nant qui se sou­cie de les cueillir !
Je veille à la fe­nêtre,
Com­ment hâ­ter la ve­nue de l’obscurité ?
À tra­vers les pla­tanes, une pluie fine,
Quand vient le cré­pus­cule,
Tombe goutte à goutte.
De­vant cette de­meure à pré­sent
Le mot tris­tesse à lui seul reste im­puis­sant. »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Jacques Pim­pa­neau (dans « An­tho­lo­gie de la lit­té­ra­ture chi­noise clas­sique », éd. Ph. Pic­quier, Arles)

« Le sol est jon­ché de fleurs jaunes de chry­san­thèmes : meur­tries, pié­ti­nées.
Qui se bais­se­rait pour en cueillir ?
Gar­dant la fe­nêtre, comme je me sens noire de cha­grin : des pla­tanes rap­pellent le temps des mal­heurs sous la pluie fine qui tombe goutte à goutte : cla­po­tis jusqu’au cré­pus­cule.
Cette si­tua­tion, com­ment l’exprimer d’un mot : tour­ment ? »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. An­dré Lévy (dans « La Lit­té­ra­ture chi­noise an­cienne et clas­sique », éd. Presses uni­ver­si­taires de France, coll. Que sais-je ?, Pa­ris)

« Jaunes fleurs de chry­san­thèmes couvrent le sol,
Fa­nées, en­do­lo­ries, qui les veut en­cor cueillir ?
Pri­son­nière der­rière ma fe­nêtre, comme j’apparais seule et sombre !
Feuilles de pla­tanes, sous la bruine,
Versent leurs larmes gouttes à gouttes…
Tout cela,
Un seul mot de tris­tesse peut-il l’exprimer ? »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Lo Ta-kang (dans « Homme d’abord, poète en­suite : pré­sen­ta­tion de sept poètes chi­nois », éd. La Ba­con­nière, Neu­châ­tel)

« Le sol est jon­ché de fleurs jaunes
À pré­sent que leur mine est fa­née, qui vou­drait en­core les cueillir ?
Seule contre la fe­nêtre, je vois naître le noir
Une pluie fine tombe sur le pla­tane
Goutte à goutte, quand vient le cré­pus­cule
Com­ment dé­peindre cette scène
Avec le seul mot de tris­tesse ? »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Guil­hem Fabre (dans « Ins­tants éter­nels : cent et quelques poèmes connus par cœur en Chine », éd. La Dif­fé­rence, Pa­ris)

« Par­tout au sol les pé­tales jaunes des chry­san­thèmes s’amoncellent.
Flé­tris, des­sé­chés, qui ose­rait les cueillir main­te­nant ?
Je veille à la fe­nêtre,
Seule, com­ment tien­drai-je jusqu’à la nuit ?
Au ster­cu­lier vient s’ajouter la bruine
Qui, goutte à goutte, ruis­selle, perle et perle en­core.
Et cet état, com­ment pour­rait le dire le mot “mé­lan­co­lie” ! »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Sté­phane Feuillas (dans « An­tho­lo­gie de la poé­sie chi­noise », éd. Gal­li­mard, coll. Bi­blio­thèque de la Pléiade, Pa­ris)

Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  • Max Kal­ten­mark, « Lit­té­ra­ture chi­noise » dans « His­toire des lit­té­ra­tures. Tome I » (éd. Gal­li­mard, coll. En­cy­clo­pé­die de la Pléiade, Pa­ris), p. 1167-1300.
  1. En chi­nois 李清照. Par­fois trans­crit Li Ts’ing-tchao, Li-tsing-chao, Li Ch’ing-chao ou Li Quingz­hao. Haut
  2. En chi­nois 趙明誠. Haut
  3. Les ac­tuels Mand­chous. Haut
  1. « Post­face au “Ca­ta­logue des ins­crip­tions sur pierre et sur bronze (金石錄)” de Zhao Ming cheng ». Haut
  2. En chi­nois « 声声慢 ». Haut