Il s’agit d’une traduction partielle de Shôichi Taneda1, poète japonais, vagabond et haïkiste, plus connu sous le surnom de Santôka2 (« le feu au sommet de la montagne »). Il naquit au milieu de cinq frères et sœurs. Son père, riche propriétaire mais piètre père de famille, passait son temps à politiquer et courir le jupon. Un jour que ce dernier était en villégiature dans les montagnes avec une de ses maîtresses, son épouse, âgée de trente-trois ans, se jeta dans le puits de la propriété familiale. Santôka, qui avait onze ans, fut extrêmement frappé de voir le corps inanimé de sa mère qu’on sortait du puits. Pour ajouter à ce malheur, un de ses frères mourut en bas âge, et un autre se donna la mort en 1918. Quant à Santôka, après un mariage raté, il fut tour à tour brasseur de saké, encadreur de tableaux, traducteur. Il partit pour Tôkyô. Mélancolique, inconstant au travail, il occupait ses loisirs de bibliothécaire à des lectures bouddhiques. Dans le grand tremblement de terre qui ravagea la capitale, sa chambre s’écroula. Il retourna à Kumamoto. Une nuit de décembre 1924, ivre, il s’immobilisa devant un tramway que le conducteur ne parvint à arrêter qu’à grand-peine. On l’emmena dans un temple proche de là, le Hôon-ji, où il se fit moine. L’année suivante et toutes les autres jusqu’à sa mort, il s’en alla errer sur les routes du Japon, par les nuits d’hiver, sans gîte, sans feu ni lieu, comme s’il lui fallait marcher pour vivre : « Je ne suis rien d’autre qu’un moine mendiant », dit-il3. « On ne peut pas dire grand-chose de moi sinon que je suis un pèlerin fou qui passe sa vie entière à déambuler, comme ces plantes aquatiques qui dérivent de rive en rive. Cela peut sembler pitoyable, pourtant je trouve la paix dans cette vie dépouillée… » Il faut lire ses poésies comme le carnet qu’un routard aurait laissé tomber de sa poche, et dans lequel il aurait noté ses observations à l’état brut, dans une langue plate et relâchée. La route est la plus belle conquête de l’homme libre : voilà, en substance, la seule philosophie de Santôka. Il jouit au Japon d’une faveur égale à celle de Kerouac en Amérique. Pour tout dire, je ne crois pas, mais peut-être je me trompe, que l’un et l’autre soient de grands talents, mais ils représentent pour la foule du grand public la figure la plus exacte et la plus vive du poète : un gueux sous la pluie, un bohème trempé dans ses haillons mais bienheureux, un mendiant loin des lois et des usages, un rebut du monde.
Il n’existe pas moins de trois traductions françaises des poésies, mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle de Mme Cheng Wing fun et M. Hervé Collet.
「分け入つても
分け入つても
青い山」— Haïku dans la langue originale
« Je m’enfonce
Je m’enfonce
Dans les montagnes vertes »
— Haïku dans la traduction de Mme Cheng et M. Collet
« Plus avant
Plus profond, loin
Dans la montagne bleue »
— Haïku dans la traduction de M. André Vandevenne (éd. Atelier Manda, Obernai)
« Profond
Plus profond encore
Dans les montagnes bleues »
— Haïku dans la traduction de Mme Corinne Atlan et M. Zéno Bianu (dans « Haïku : anthologie du poème court japonais », éd. Gallimard, coll. Poésie, Paris)
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Hubert Haddad, « Mā : roman [sur les pas de Santôka] » (éd. Zulma, Paris).