Galland, « Journal, pendant le séjour à Constantinople (1672-1673). Tome I »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit du «Jour­nal» d’, orien­ta­liste et nu­mis­mate (XVIIe-XVIIIe siècle), à qui l’on doit une des œuvres qui mo­di­fièrent le plus l’ lit­té­raire, si­non pro­fon­dé­ment, du moins dans la , je veux dire les «Mille et une Nuits». Toute sa , Gal­land vé­cut seul, presque sans autres amis que ses — les seuls qui ne le dé­çurent ja­mais. Sa­vant de pre­mier ordre, il s’attachait à étu­dier les langues orien­tales et les mé­dailles an­tiques, propres à je­ter quelque lu­mière — si in­fime fût-elle — sur les an­nales du passé. Voya­geur, il cher­chait les traits né­gli­gés par ses de­van­ciers. Sou­vent heu­reux dans ses re­cherches, simple et la­bo­rieux, il était, ce­pen­dant, d’une cer­taine hu­meur dans la lec­ture de ses contem­po­rains, qu’il ne pou­vait souf­frir d’y voir im­pri­mées des er­reurs sans prendre la plume pour les cor­ri­ger. «J’y trou­vai», écrit-il au su­jet d’un livre 1, «des ex­pli­ca­tions si fort hors du bon sens, que je fus contraint de ces­ser la lec­ture pour la re­prendre le ma­tin, de crainte que je n’en puisse dor­mir. Mais je fus plus d’une heure et de­mie à m’endormir, non­obs­tant les ef­forts que je pus faire pour chas­ser de mon es­prit ces ex­tra­va­gances, dont l’auteur, qui ne s’était pas nommé, se fai­sait néan­moins as­sez connaître». Ses res­tèrent tou­jours, pour le nombre et l’importance, au-des­sous de son éru­di­tion. Un jour, il eut une dis­cus­sion très vive à l’Académie des ; dans une de ses ré­pliques, on re­marque ce pas­sage qui montre l’étendue de son ac­ti­vité in­las­sable et sa haute ri­gueur : «Py­tha­gore ne de­man­dait à ses dis­ciples que sept ans de si­lence pour s’instruire des prin­cipes de la avant que d’en écrire ou d’en vou­loir ju­ger. Sans que per­sonne l’eût exigé, j’ai gardé un si­lence plus ri­gide et plus long dans l’étude des mé­dailles. Ce si­lence a été de trente an­nées. Pen­dant tout ce -là, je ne me suis pas contenté d’écouter un grand nombre de maîtres ha­biles, de lire et d’examiner leurs ou­vrages; j’ai en­core ma­nié et dé­chif­fré plu­sieurs mil­liers de mé­dailles grecques et la­tines, tant en qu’en et en , à Smyrne, à , à Alexan­drie et dans les de l’Archipel» 2.

Il n’y a pas de plus humble et de plus pauvre ori­gine, parmi les au­teurs et du siècle des «Lettres per­sanes», de «La Hé­loïse» et de l’«En­cy­clo­pé­die», que l’origine d’Antoine Gal­land. Fils d’un pâtre et d’une mère rus­tique, il per­dit son père à l’âge de quatre ans, se trou­vant le der­nier de sept af­fa­més. «Pauvre en­fant, noble en­fant, qui de­vais pro­di­guer de tes mains toutes-puis­santes les perles, les dia­mants, les cou­ronnes plus que royales, à peine avais-tu de ta mère un sou­rire!», dit Jules Ja­nin. Sa mère, ré­duite à vivre du très mo­dique tra­vail de ses mains, ne pou­vait sub­ve­nir aux dé­penses qu’aurait exi­gées l’achèvement de ses études lit­té­raires, de sorte que Gal­land dut prendre un mé­tier et re­non­cer aux lettres. Il ne put sup­por­ter qu’un an cette cruelle dis­trac­tion et il par­tit du lo­gis de sa mère, à pied, pour l’immense Pa­ris, sans autre res­source que l’adresse d’une vieille pa­rente qui y était. La har­diesse de sa ré­so­lu­tion in­ter­vint en sa fa­veur : le sous-prin­ci­pal du col­lège du Ples­sis lui fit conti­nuer ses études, puis le confia aux soins d’un doc­teur de la Sor­bonne. Rien de plus heu­reux que ce der­nier bien­fait ne pou­vait ar­ri­ver à Gal­land; et l’on peut dire que cela pré­para et as­sura les de sa lit­té­raire. Il se for­ti­fia dans l’; et cela lui fit naître l’envie de se rendre fa­mi­lier des autres langues orien­tales, qui lui ser­virent à ap­prendre une in­fi­nité de choses : «Peut-on sou­te­nir qu’il est in­utile de connaître ce que tant d’excellents ont pensé», écrit-il dans sa pré­face à la «Bi­blio­thèque orien­tale», «ce qu’ils ont écrit de leur , de leurs his­toires, de leurs pays, de leurs cou­tumes, de leurs , des qu’ils pra­tiquent, des vices qu’ils dé­testent? Et par là, n’est-ce pas ac­qué­rir sans peine et sans sor­tir de chez ce que l’on de­vrait al­ler cher­cher… en voya­geant pour se per­fec­tion­ner et de­ve­nir un ac­com­pli, un homme qui juge sai­ne­ment de toutes choses [et] qui en parle de même? [C’est ce] que l’on ne peut exé­cu­ter qu’à pro­por­tion des connais­sances que l’on a ac­quises, non seule­ment de ce qui se passe sous l’ où l’on res­pire l’air qui fait vivre, mais en­core dans tout l’univers.» Gal­land tra­vaillait sans cesse, en quelque si­tua­tion qu’il se trou­vât, prê­tant peu d’attention à ses be­soins, n’en prê­tant au­cune à ses com­mo­di­tés. «Homme vrai jusque dans les moindres choses», rap­porte un contem­po­rain 3, «il mou­rut le 17 fé­vrier der­nier d’un re­dou­ble­ment d’, au­quel se joi­gnit, sur la fin, une fluxion de poi­trine : il avait soixante-neuf ans. L’ des lettres est la der­nière chose qui s’est éteinte en lui. Il pensa, peu de jours avant sa , que ses ou­vrages — l’unique bien qu’il lais­sait — pour­raient être dis­si­pés s’il n’y met­tait ordre. Il le fit, et de la fa­çon la plus simple et la plus mi­li­taire».

«L’amour des lettres est la der­nière chose qui s’est éteinte en lui»

Voici un pas­sage qui don­nera une idée du du «Jour­nal» : «Il y a une mos­quée, à Constan­ti­nople, qu’on nomme la mos­quée de Hafız Ah­med Paşa, où il y a une fon­da­tion pour don­ner le “Gu­lis­tan” et le “Bous­tan” [de ], et le Di­van de Hâ­fez, tous trois com­men­tés par Soudi 4, à lire ou à trans­crire à ceux qui le sou­haitent. À cet ef­fet, il y a sept vo­lumes de l’un et de l’autre dont on en donne un à chaque per­sonne qui vient, pourvu qu’on laisse deux piastres, les­quelles se peuvent re­prendre toutes les fois qu’on veut, en rap­por­tant le vo­lume; car elles servent seule­ment de gage pour ache­ter un autre vo­lume, en cas qu’on ne rap­porte ce­lui pour le­quel elles ont été lais­sées» 5.

Téléchargez ces œuvres imprimées au format PDF

Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  1. «Jour­nal», 4 juin 1711. Icône Haut
  2. Dans Jour­dain, «Gal­land (An­toine)», p. 351. Icône Haut
  3. Claude Gros de Boze. Icône Haut
  1. Soudi (en bos­niaque Ah­med Sudi Bošn­jak), le cé­lèbre com­men­ta­teur de Saadi et de Hâ­fez, était ori­gi­naire de Bos­nie. Il par­cou­rut dans sa presque toutes les de l’Empire , et pen­dant son sé­jour à Diyar­bakır, il se per­fec­tionna dans la connais­sance de la per­sane. À son re­tour à Constan­ti­nople, il fut at­ta­ché en qua­lité de «mü­der­ris» («pro­fes­seur») à la mos­quée de Sul­tan Ah­med. Ses du «Gu­lis­tan» et du «Bous­tan» furent com­po­sés à la prière d’un de ses amis, Ö Efendi, cheikh du ha­rem de Mé­dine. Icône Haut
  2. p. 234-235. Icône Haut