« Histoire d’Haïkar le Sage, d’après les manuscrits arabes »

dans « Revue de l’Orient chrétien », sér. 2, vol. 3, p. 367-388 ; vol. 4, p. 50-70 & 143-154

dans « Re­vue de l’Orient chré­tien », sér. 2, vol. 3, p. 367-388 ; vol. 4, p. 50-70 & 143-154

Il s’agit des ver­sions arabes de l’« His­toire et Sa­gesse d’Aḥikar l’Assyrien », un conte qui existe dans presque toutes les langues du Proche-Orient an­tique (VIIe av. J.-C.). Voici le ré­sumé de ce conte : Aḥi­qar1 était un homme ver­tueux et un conseiller des rois d’Assyrie. N’ayant pas de fils, il adopta le fils de sa sœur, Na­dan. Il l’éleva et lui adressa une pre­mière sé­rie de le­çons, sous forme de maximes et de pro­verbes. Plus tard, em­pê­ché par les in­fir­mi­tés de la vieillesse de rem­plir ses fonc­tions, Aḥi­qar pré­senta Na­dan comme son suc­ces­seur. Com­blé d’honneurs, Na­dan ne tarda pas à faire preuve de la plus noire in­gra­ti­tude. Il tra­hit in­di­gne­ment son père adop­tif et bien­fai­teur : il le ca­lom­nia au­près du roi As­sa­rhad­don (de l’an 680 à l’an 669 av. J.-C.), le­quel or­donna sa mort. Ce­pen­dant, le bour­reau était un obligé d’Aḥiqar et ne rem­plit pas l’ordre donné. Il exé­cuta un autre cri­mi­nel, dont il ap­porta la tête au roi, et tint Aḥi­qar ca­ché. En­hardi par la nou­velle de la mort du conseiller royal, le pha­raon d’Égypte lança au roi le défi de ré­soudre plu­sieurs énigmes per­fides, sous peine d’avoir à lui payer un tri­but. Sorti de sa ca­chette, Aḥi­qar alla en Égypte, ré­pon­dit aux énigmes du pha­raon et, à son re­tour, de­manda que Na­dan lui fût li­vré. Il le frappa de mille coups, pour faire en­trer la sa­gesse « par der­rière son dos »2 puisqu’elle n’avait pu en­trer par les oreilles, et lui adressa une deuxième sé­rie de le­çons, sous forme de fables, et des­ti­nées à prou­ver qu’il va­lait mieux vivre dans une hutte en homme juste que dans un pa­lais en cri­mi­nel.

Aḥi­qar était un homme ver­tueux et un conseiller des rois d’Assyrie

On lit dans la Bible : « Vois, mon en­fant, tout ce que Na­dan a fait à Aḥi­qar, qui l’avait élevé… Mais Dieu lui a jeté son in­fa­mie au vi­sage ; Aḥi­qar est sorti à la lu­mière, tan­dis que Na­dan est en­tré dans les té­nèbres éter­nelles, parce qu’il avait cher­ché à tuer Aḥi­qar »3, ce qui at­teste du suc­cès et de la large dif­fu­sion de l’« His­toire et Sa­gesse d’Aḥikar » dans les an­ciennes lit­té­ra­tures juives. Quant à l’ancienne phi­lo­so­phie grecque, Clé­ment d’Alexandrie dit qu’elle est pui­sée en par­tie dans celle des Orien­taux, ci­tant l’exemple de Dé­mo­crite, qui « est allé à Ba­by­lone, en Perse, en Égypte, se fai­sant l’élève des mages et des prêtres » : « Dé­mo­crite », ajoute-t-il4, « s’est ap­pro­prié les en­sei­gne­ments mo­raux des Ba­by­lo­niens. On dit qu’il avait joint à ses écrits per­son­nels un dé­chif­frage de la stèle d’Akikaros (“tên Aki­ka­rou stê­lên”5), pré­senté en­suite comme sa pro­duc­tion per­son­nelle ». Théo­phraste, l’auteur des « Ca­rac­tères » (que tra­duira La Bruyère), a aussi écrit un livre in­ti­tulé « Aki­cha­ros »6. Mais il y a mieux ! Le conte d’Aḥiqar a servi à consti­tuer la « Vie d’Ésope » (que tra­duira La Fon­taine), et ses fables ont été in­tro­duites parmi les fables éso­piques long­temps avant cette vie ; car Ba­brius, qui vi­vait au IIe siècle apr. J.-C., nous ap­prend que « les fables sont une in­ven­tion des an­tiques Sy­riens qui vi­vaient au­tre­fois sous Ni­nus7 et Bé­lus ; le sage Ésope fut le pre­mier à les ré­ci­ter à tous les fils des Grecs ». Et ainsi, l’« His­toire et Sa­gesse d’Aḥikar » contri­buera, par l’intermédiaire des Grecs, à l’éclosion du genre lit­té­raire le plus émi­nem­ment fran­çais — je veux par­ler de la fable.

Il n’existe pas moins de quatre tra­duc­tions fran­çaises des ver­sions arabes, mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de l’abbé Lu­cien Le­roy.

« Mon fils, quand l’eau s’arrêtera dans le ca­nal, quand les oi­seaux s’envoleront jusqu’au ciel, quand les noirs cor­beaux de­vien­dront blancs, et que l’amertume de­vien­dra douce comme le miel, l’insensé et le stu­pide de­vien­dront in­tel­li­gents et sages. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de l’abbé Le­roy

« Si le fleuve peut re­mon­ter à sa source, si l’eau de la mer peut perdre son âcreté, si le cor­beau peut de­ve­nir blanc, vous avez quelque chose à es­pé­rer du mé­chant. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Jacques Ca­zotte et De­nis Cha­vis (« His­toire de Sin­ka­rib et de ses deux vi­zirs [Hi­car et Na­dan] », XVIIIe siècle)

« Si les oi­seaux pou­vaient s’élever jusqu’au ciel, le cor­beau de­ve­nir blanc, la myrrhe de­ve­nir aussi douce que le miel, les sots pour­raient com­prendre et s’instruire. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion d’Armand-Pierre Caus­sin de Per­ce­val (« His­toire du sage Hi­car », XIXe siècle)

« Quand l’eau s’arrêtera dans son cours, quand les oi­seaux at­tein­dront le ciel dans leur vol, quand le cor­beau de­vien­dra blanc, et que la myrrhe aura la dou­ceur du miel, alors les igno­rants et les in­sen­sés com­pren­dront la sa­gesse et pren­dront pour guide la rai­son. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Jo­seph Agoub (« Le Sage Hey­car : conte arabe », XIXe siècle)

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  1. En ara­méen אחיקר, en sy­riaque ܐܚܝܩܪ. Par­fois trans­crit Achi­char, Achi­qar, Achi­kar, Aḥi­car ou Aḥi­kar. On ren­contre aussi la gra­phie Ḥi­qar (ܚܝܩܪ). Par­fois trans­crit Hai­qâr, Haï­kar, Hey­car, Hi­car, Khi­kar ou Ḥi­kar. Haut
  2. « His­toire et Sa­gesse d’Aḥikar l’Assyrien ; tra­duc­tion des ver­sions sy­riaques par Fran­çois Nau », p. 236. Haut
  3. « Livre de To­bie », XIV, 10. Haut
  4. « Les Stro­mates », liv. I, ch. XV. Haut
  1. En grec « τὴν Ἀκικάρου στήλην ». Haut
  2. En grec « Ἀκίχαρος ». Haut
  3. Se­cond roi des As­sy­riens, qui avait suc­cédé à son père Bé­lus. Haut