Mot-clefPertev Naili Boratav

tra­duc­teur ou tra­duc­trice

« Quatre-vingt quatorze Proverbes turcs du XVe siècle, restés inédits »

dans « Oriens », vol. 7, nº 2, p. 223-249

dans « Oriens », vol. 7, no 2, p. 223-249

Il s’agit d’un re­cueil de pro­verbes turcs. Nul genre d’enseignement n’est plus an­cien que ce­lui des pro­verbes. Son ori­gine re­monte aux âges les plus re­cu­lés du globe. Dès que les hommes, mus par un ins­tinct ir­ré­sis­tible ou pous­sés par la vo­lonté di­vine, se furent réunis en so­ciété ; dès qu’ils eurent consti­tué un lan­gage suf­fi­sant à l’expression de leurs be­soins, les pro­verbes prirent nais­sance en tant que ré­sumé na­tu­rel des idées com­munes de l’humanité. « S’ils avaient pu se conser­ver, s’ils étaient par­ve­nus jusqu’à nous sous leur forme pri­mi­tive », dit Pierre-Ma­rie Qui­tard1, « ils se­raient le plus cu­rieux mo­nu­ment du pro­grès des pre­mières so­cié­tés ; ils jet­te­raient un jour mer­veilleux sur l’histoire de la ci­vi­li­sa­tion, dont ils mar­que­raient le point de dé­part avec une ir­ré­cu­sable fi­dé­lité. » La Bible, qui contient plu­sieurs livres de pro­verbes, dit : « Ce­lui qui ap­plique son âme à ré­flé­chir sur la Loi du Très-Haut… re­cherche le sens se­cret des pro­verbes et re­vient sans cesse sur les énigmes des maximes »2. Les sages de la Grèce eurent la même pen­sée que la Bible. Confu­cius imita les pro­verbes et fut à son tour imité par ses dis­ciples. De même que l’âge de l’arbre peut se ju­ger par le tronc ; de même, les pro­verbes nous ap­prennent le gé­nie ou l’esprit propre à chaque na­tion, et les dé­tails de sa vie pri­vée. On en te­nait cer­tains en telle es­time, qu’on les di­sait d’origine cé­leste : « C’est du ciel », dit Ju­vé­nal3, « que nous est ve­nue la maxime : “Connais-toi toi-même”. Il la fau­drait gra­ver dans son cœur et la mé­di­ter tou­jours. » C’est pour­quoi, d’ailleurs, on les gra­vait sur le de­vant des portes des temples, sur les co­lonnes et les marbres. Ces ins­crip­tions, très nom­breuses du temps de Pla­ton, fai­saient dire à ce phi­lo­sophe qu’on pou­vait faire un ex­cellent cours de mo­rale en voya­geant à pied, si l’on vou­lait les lire ; les pro­verbes étant « le fruit de l’expérience de tous les peuples et comme le bon sens de tous les siècles ré­duit en for­mules »

  1. « Études his­to­riques, lit­té­raires et mo­rales sur les pro­verbes fran­çais et le lan­gage pro­ver­bial », p. 2. Haut
  2. « Livre de l’Ecclésiastique », XXXIX, 1-3. Haut
  1. « Sa­tires », poème XI, v. 27-28. Haut

« Aventures merveilleuses sous terre et ailleurs d’Er-Töshtük, le géant des steppes : épopée du cycle de “Manas” »

éd. Gallimard, coll. Caucase, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Cau­case, Pa­ris

Il s’agit d’« Er-Tö­shtük »1, épo­pée kir­ghize d’environ douze mille trois cents vers, mo­nu­ment au­then­tique d’une tra­di­tion na­tio­nale mil­lé­naire (XVIIe-XXe siècle). L’épopée trans­mise ora­le­ment est le grand genre lit­té­raire des peuples no­mades d’Asie cen­trale, « moins sou­vent joyeux à la chasse et dans les ban­quets, qu’angoissés dans l’immensité des steppes et des dé­serts, ou dans la gran­deur gla­cée des hautes mon­tagnes »2. Les Kir­ghiz, en par­ti­cu­lier, sont un des rares peuples de la terre à avoir conservé jusqu’aujourd’hui, dans presque toute sa vi­ta­lité, leur tra­di­tion orale d’épopées. Sorte de re­cueil en­cy­clo­pé­dique de toutes leurs lé­gendes, de toutes leurs cou­tumes et de toutes leurs croyances, un cycle épique aux pro­por­tions gi­gan­tesques, ce­lui de « Ma­nas »3, do­mine leur lit­té­ra­ture, au point que les chan­teurs pro­fes­sion­nels d’épopées se nomment tous « ma­nast­chï »4, et que beau­coup de poèmes épiques se trouvent rat­ta­chés, plus ou moins ar­ti­fi­ciel­le­ment, à la grande tri­lo­gie cen­trale de « Ma­nas ». Cette tri­lo­gie, consa­crée au hé­ros prin­ci­pal Ma­nas, à son fils Se­me­tey5, et à son pe­tit-fils Sey­tek6, joint une ri­chesse de ca­ne­vas, une com­plexité de per­son­nages, un dé­ploie­ment gran­diose d’événements, à une élé­gance et à une force d’épithètes com­pa­rables à celles d’Ho­mère. Au­tour de cette tri­lo­gie gra­vitent des épo­pées de moindre éten­due, dé­si­gnées par les noms de leurs hé­ros, et dont les unes ap­par­tiennent au fond my­tho­lo­gique et sur­na­tu­rel (« Er-Tö­shtük », « Kojo-Jash »7), quelques autres au ro­man amou­reux (« Oljo-Bay me­nen Ki­shim-Jan »8), et la plus grande par­tie, en­fin, au genre hé­roïque.

  1. En kir­ghiz « Эр Төштүк ». Par­fois trans­crit « Er-Töštük ». Haut
  2. p. 26. Haut
  3. En kir­ghiz « Манас ». Haut
  4. En kir­ghiz манасчы. Par­fois trans­crit « ma­nast­schi », « ma­na­schi » ou « ma­nasçı ». Haut
  1. En kir­ghiz Семетей. Par­fois trans­crit Se­me­tei. Haut
  2. En kir­ghiz Сейтек. Par­fois trans­crit Sei­tek. Haut
  3. En kir­ghiz « Кожожаш ». Haut
  4. En kir­ghiz « Олжобай менен Кишимжан ». Par­fois trans­crit « Ol­jo­bai me­nen Ki­shim­jan ». Haut

« Autour de Nasreddin Hoca : textes et commentaires »

dans « Oriens », vol. 16, p. 194-223

dans « Oriens », vol. 16, p. 194-223

Il s’agit des plai­san­te­ries de Nas­red­din Hodja1, pro­duc­tions lé­gères de la lit­té­ra­ture turque qui tiennent une place qui ne leur est dis­pu­tée par au­cun autre ou­vrage. On peut même dire qu’elles consti­tuent, à elles seules, un genre spé­cial : le genre plai­sant. L’immense po­pu­la­rité ac­cor­dée, dans sa pa­trie, au Hodja et à ses fa­cé­ties ex­tra­va­gantes per­met de voir en lui la per­son­ni­fi­ca­tion même de cette belle hu­meur jo­viale, sou­vent ef­fron­tée, dé­dai­gnant toutes les conve­nances, har­die jusqu’à l’impudence, mais spi­ri­tuelle, mor­dante, ma­li­cieuse, par­fois grosse d’enseignements, qui fait la base de la conver­sa­tion turque. Ici, point de ces mé­ta­phores am­bi­tieuses dont les let­trés orien­taux peuvent, seuls, ap­pré­cier le mé­rite ; point de ces longues pé­riodes où la so­phis­ti­ca­tion et la re­cherche des ex­pres­sions font perdre à l’auteur le fil de son rai­son­ne­ment. Au lieu de ces or­ne­ments qui troublent le com­mun des mor­tels, on trouve de la bonne et franche gaieté ; un style simple, concis et na­tu­rel ; une verve naïve dont les éclairs in­at­ten­dus com­mandent le rire aux gens les plus sa­vants comme aux plus igno­rants, trop heu­reux de dé­ri­der leurs fronts sou­cieux, de dis­traire la mo­no­to­nie de leurs ré­flexions, de trom­per l’ennui de leurs veilles. « Il est peu pro­bable de trou­ver dans le monde en­tier », dit un cri­tique2, « un hé­ros du folk­lore poé­tique qui jouisse d’un tel in­té­rêt ou qui at­tire d’une telle force l’attention d’auteurs et de lec­teurs que Nas­red­din Hodja… La forme ser­rée qui en­ve­loppe l’idée des [anec­dotes] aide à les re­te­nir fa­ci­le­ment dans la mé­moire et à les dif­fu­ser… Il faut ajou­ter éga­le­ment que le per­son­nage de Nas­red­din Hodja marche sur les che­mins pous­sié­reux de l’Anatolie, dans les steppes de l’Azerbaïdjan et du Tad­ji­kis­tan et dans les vil­lages de [la pé­nin­sule bal­ka­nique] avec un dé­faut inné, ayant trou­blé plu­sieurs fois les orien­ta­listes et les folk­lo­ristes : il s’agit du ca­rac­tère contra­dic­toire du hé­ros qui est re­pré­senté tan­tôt comme un sot en trois lettres peu pers­pi­cace et im­pré­voyant, tan­tôt comme un sage pré­voyant et juste ; en tant que juge, il rend des sen­tences équi­tables ; en tant que dé­fen­seur des ac­cu­sés, il tranche des pro­cès em­brouillés que les juges of­fi­ciels ne sont pas ca­pables de ju­ger. »

  1. En turc Nas­red­din Hoca. On le dé­signe éga­le­ment comme Mulla (Molla) Nas­red­din, c’est-à-dire Maître Nas­red­din. Par­fois trans­crit Nas­re­din, Nas­ra­din, Nas­ri­din, Nas­ret­tin, Nas­tra­din, Nas­tra­tin, Nas­ret­din, Nas­rud­din, Nassr Ed­din ou Nazr-ed-din. Haut
  1. M. Vé­lit­chko Valt­chev. Haut