Il s’agit d’un recueil de proverbes turcs. Nul genre d’enseignement n’est plus ancien que celui des proverbes. Son origine remonte aux âges les plus reculés du globe. Dès que les hommes, mus par un instinct irrésistible ou poussés par la volonté divine, se furent réunis en société ; dès qu’ils eurent constitué un langage suffisant à l’expression de leurs besoins, les proverbes prirent naissance en tant que résumé naturel des idées communes de l’humanité. « S’ils avaient pu se conserver, s’ils étaient parvenus jusqu’à nous sous leur forme primitive », dit Pierre-Marie Quitard1, « ils seraient le plus curieux monument du progrès des premières sociétés ; ils jetteraient un jour merveilleux sur l’histoire de la civilisation, dont ils marqueraient le point de départ avec une irrécusable fidélité. » La Bible, qui contient plusieurs livres de proverbes, dit : « Celui qui applique son âme à réfléchir sur la Loi du Très-Haut… recherche le sens secret des proverbes et revient sans cesse sur les énigmes des maximes »2. Les sages de la Grèce eurent la même pensée que la Bible. Confucius imita les proverbes et fut à son tour imité par ses disciples. De même que l’âge de l’arbre peut se juger par le tronc ; de même, les proverbes nous apprennent le génie ou l’esprit propre à chaque nation, et les détails de sa vie privée. On en tenait certains en telle estime, qu’on les disait d’origine céleste : « C’est du ciel », dit Juvénal3, « que nous est venue la maxime : “Connais-toi toi-même”. Il la faudrait graver dans son cœur et la méditer toujours. » C’est pourquoi, d’ailleurs, on les gravait sur le devant des portes des temples, sur les colonnes et les marbres. Ces inscriptions, très nombreuses du temps de Platon, faisaient dire à ce philosophe qu’on pouvait faire un excellent cours de morale en voyageant à pied, si l’on voulait les lire ; les proverbes étant « le fruit de l’expérience de tous les peuples et comme le bon sens de tous les siècles réduit en formules »
Pertev Naili Boratav
traducteur ou traductrice
« Aventures merveilleuses sous terre et ailleurs d’Er-Töshtük, le géant des steppes : épopée du cycle de “Manas” »
Il s’agit d’« Er-Töshtük »1, épopée kirghize d’environ douze mille trois cents vers, monument authentique d’une tradition nationale millénaire (XVIIe-XXe siècle). L’épopée transmise oralement est le grand genre littéraire des peuples nomades d’Asie centrale, « moins souvent joyeux à la chasse et dans les banquets, qu’angoissés dans l’immensité des steppes et des déserts, ou dans la grandeur glacée des hautes montagnes »2. Les Kirghiz, en particulier, sont un des rares peuples de la terre à avoir conservé jusqu’aujourd’hui, dans presque toute sa vitalité, leur tradition orale d’épopées. Sorte de recueil encyclopédique de toutes leurs légendes, de toutes leurs coutumes et de toutes leurs croyances, un cycle épique aux proportions gigantesques, celui de « Manas »3, domine leur littérature, au point que les chanteurs professionnels d’épopées se nomment tous « manastchï »4, et que beaucoup de poèmes épiques se trouvent rattachés, plus ou moins artificiellement, à la grande trilogie centrale de « Manas ». Cette trilogie, consacrée au héros principal Manas, à son fils Semetey5, et à son petit-fils Seytek6, joint une richesse de canevas, une complexité de personnages, un déploiement grandiose d’événements, à une élégance et à une force d’épithètes comparables à celles d’Homère. Autour de cette trilogie gravitent des épopées de moindre étendue, désignées par les noms de leurs héros, et dont les unes appartiennent au fond mythologique et surnaturel (« Er-Töshtük », « Kojo-Jash »7), quelques autres au roman amoureux (« Oljo-Bay menen Kishim-Jan »8), et la plus grande partie, enfin, au genre héroïque.
« Autour de Nasreddin Hoca : textes et commentaires »
Il s’agit des plaisanteries de Nasreddin Hodja1, productions légères de la littérature turque qui tiennent une place qui ne leur est disputée par aucun autre ouvrage. On peut même dire qu’elles constituent, à elles seules, un genre spécial : le genre plaisant. L’immense popularité accordée, dans sa patrie, au Hodja et à ses facéties extravagantes permet de voir en lui la personnification même de cette belle humeur joviale, souvent effrontée, dédaignant toutes les convenances, hardie jusqu’à l’impudence, mais spirituelle, mordante, malicieuse, parfois grosse d’enseignements, qui fait la base de la conversation turque. Ici, point de ces métaphores ambitieuses dont les lettrés orientaux peuvent, seuls, apprécier le mérite ; point de ces longues périodes où la sophistication et la recherche des expressions font perdre à l’auteur le fil de son raisonnement. Au lieu de ces ornements qui troublent le commun des mortels, on trouve de la bonne et franche gaieté ; un style simple, concis et naturel ; une verve naïve dont les éclairs inattendus commandent le rire aux gens les plus savants comme aux plus ignorants, trop heureux de dérider leurs fronts soucieux, de distraire la monotonie de leurs réflexions, de tromper l’ennui de leurs veilles. « Il est peu probable de trouver dans le monde entier », dit un critique2, « un héros du folklore poétique qui jouisse d’un tel intérêt ou qui attire d’une telle force l’attention d’auteurs et de lecteurs que Nasreddin Hodja… La forme serrée qui enveloppe l’idée des [anecdotes] aide à les retenir facilement dans la mémoire et à les diffuser… Il faut ajouter également que le personnage de Nasreddin Hodja marche sur les chemins poussiéreux de l’Anatolie, dans les steppes de l’Azerbaïdjan et du Tadjikistan et dans les villages de [la péninsule balkanique] avec un défaut inné, ayant troublé plusieurs fois les orientalistes et les folkloristes : il s’agit du caractère contradictoire du héros qui est représenté tantôt comme un sot en trois lettres peu perspicace et imprévoyant, tantôt comme un sage prévoyant et juste ; en tant que juge, il rend des sentences équitables ; en tant que défenseur des accusés, il tranche des procès embrouillés que les juges officiels ne sont pas capables de juger. »