Il s’agit de « L’Étrange Histoire du dispensaire de Barberousse » (« Akahige shinryôtan »1) de M. Satomu Shimizu2, romancier japonais, plus connu sous le surnom de Shûgorô Yamamoto3. M. Shimizu naquit en 1903. Faute de moyens financiers, il abandonna ses études secondaires et entra en tant que commis dans une librairie de Tôkyô, dont le patron le prit en affection et lui permit d’étudier chaque soir. Mais le grand tremblement de terre de 1923 contraignit la librairie à fermer ses portes. Après un séjour à Ôsaka, où il fit ses débuts dans un journal local, M. Shimizu regagna Tôkyô et décida de se consacrer à l’écriture. Une nouvelle inspirée de son séjour et intitulée « Au bord du temple de Suma » (« Sumadera fukin »4) marqua son entrée dans le monde littéraire. Une faute de l’éditeur attribua pourtant cette nouvelle à Shûgorô Yamamoto, le défunt patron de la librairie, que M. Shimizu considérait comme son père spirituel. L’écrivain gardera désormais ce surnom. À la manière d’Émile Zola, M. Shimizu savait remuer longuement et tristement tous les dessous de la société humaine ; ramasser des têtes éparses en une masse formidable ; mettre la foule en mouvement : « Il s’attarde aux bas-fonds de la bête humaine, au jeu des forces du sang et des nerfs en ce qu’elles ont de plus insultant pour l’orgueil humain. Il fouille et étale les laideurs secrètes de la chair et ses malfaisances… Il y a dans presque tous ses romans, autour des protagonistes, une quantité de personnages secondaires, un “servum pecus”5 qui souvent marche en bande, qui fait le fond de la scène et qui s’en détache et prend la parole par intervalles, à la façon du chœur antique »6. Ce sont, dans « L’Étrange Histoire du dispensaire de Barberousse », le chœur des malades et celui des laissés pour compte ; dans « Le Quartier sans saisons » (« Kisetsu no nai machi »7), le chœur des misérables et celui des sans-le-sou ; dans « Le Sapin, seul, est resté » (« Momi no ki wa nokotta »8), le chœur des chefs provinciaux intimidés par le shôgun ; dans le « Conte du bateau de pêche bleu » (« Aobeka monogatari »9), le chœur des pêcheurs. Par eux, les figures du premier plan se trouvent mêlées à une large portion d’humanité ; et comme cette humanité est mêlée elle-même à la vie des choses, il se dégage de ces vastes ensembles une impression de fourmilière immense, profonde, grouillant dans l’ombre ou, au contraire, pétillant au soleil, déroulant des vies qui se suivent sans fin.
une impression de fourmilière immense, profonde
Voici un passage qui donnera une idée de la manière de M. Shimizu : « Le maître des lieux finit par poser son pinceau et se tourner vers eux. Il avait un visage anguleux au front large et dégarni ; une moustache et une barbe épaisse lui couvraient le tour de la bouche et le menton. Sous les sourcils, qu’il avait longs et épais, signe de longue vie selon un adage populaire, les yeux brillaient d’un éclat autoritaire. Ce regard et le pli serré de ses lèvres indiquaient clairement une curiosité presque enfantine jointe à une ironie pleine de cynisme.
“Je comprends mieux son surnom”, songea Noboru.
La barbe de l’homme était, en fait, d’un gris mêlé de blanc plutôt que rousse, mais l’énergie qui émanait de ses traits justifiait ce surnom de “Barberousse” »10.
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Nicole Coulom, « Yamamoto Shūgorō (1903-1967) » dans « Cinéma et Littérature au Japon : de l’ère Meiji à nos jours » (éd. Centre Georges Pompidou, coll. Cinéma singulier, Paris), p. 114-115
- Jules Lemaître, « Les Contemporains : études et portraits littéraires. Tome I. Ernest Renan • Ferdinand Brunetière • Émile Zola • Guy de Maupassant • etc. » (XIXe siècle) [Source : Canadiana]
- Françoise Rambaud, « Yamamoto Shūgorō » dans « Dictionnaire universel des littératures » (éd. Presses universitaires de France, Paris).