Il s’agit de la « Collection de sable et de pierres » 1 (« Shaseki-shû » ou « Saseki-shû » 2), recueil de contes amusants ou édifiants, de légendes religieuses appartenant à un genre que le Japon a cultivé avec bonheur — celui des « setsuwa » 3 (« anecdotes bouddhiques pour profanes »). Fruit de toute une vie passée à prêcher devant le commun du peuple, la « Collection de sable et de pierres » est l’œuvre d’un moine, Ichien Mujû 4 (XIIIe siècle apr. J.-C.), qui ne s’est jamais vraiment éloigné de ce peuple. Son nom Mujû, qui veut dire « sans demeure », prend un sens bien littéral si l’on considère l’existence errante de cet orphelin élevé à la campagne, sans grande éducation, et qui, dans le souci d’échapper aux ennuis de ce monde, s’était fait moine. Dans la préface à sa « Collection de sable et de pierres », il se décrit lui-même comme un vieillard qui devrait, à l’approche de la mort, accumuler des provisions pour le chemin vers les rives de l’autre monde ; mais qui, au lieu de cela, rassemble des anecdotes insignifiantes, qui instruisent en faisant rire, souvent d’ailleurs aux dépens de membres du clergé comme lui : « Me réveillant de mon sommeil de vieillard », dit-il, « j’ai donc, d’une main légère, rassemblé et noté ce que j’ai vu et ce que j’ai entendu, en suivant le cours de mes souvenirs, comme on cueille des herbes marines ici et là, sans séparer le bon du mauvais ». De même que l’or s’obtient en amassant du sable, et que les joyaux se trouvent dans des pierres brutes qu’il faut polir ; de même, dit-il, il y a des principes profonds de la vérité bouddhique enfouis au milieu des trivialités et des bavardages où le conte prend sa source. C’est pourquoi il choisit de donner à son recueil le titre de « Collection de sable et de pierres ».
« comme on cueille des herbes marines ici et là, sans séparer le bon du mauvais »
À la fin du chapitre LXXVII, il écrit : « En rassemblant dans ce chapitre des histoires ridicules et impudentes, mon dessein est d’ainsi mener les êtres sur la Voie de la sagesse ». Il est permis de se demander si ces histoires ont bien eu l’effet rédempteur désiré ; mais il n’est pas permis de mettre en doute la sincérité fondamentale de Mujû. « Dans ses [ouvrages] comme dans sa vie, il n’y a rien de particulièrement élégant. Beaucoup de simplicité, de la robustesse, une forme d’expression directe, parfois moqueuse… Il chercha dans le bouddhisme la raison d’être d’une vie privée de tout confort… Et l’on peut bien s’étonner de l’énergie fantastique avec laquelle il poursuivit sa tâche jusqu’à la mort, consacrant ses dernières années à écrire vertement, alors que son corps, depuis longtemps la proie d’une maladie incurable, se maintenait à force de volonté, et peut-être de foi », dit Mme Jacqueline Golay. Jusqu’aux tout derniers instants, Mujû garda un esprit opiniâtre et un rien moqueur envers lui-même ; témoin cet autoportrait :
« Mes yeux ne voient plus
Mes oreilles n’entendent plus
Ma voix ne porte plus :
Comme il est facile
D’être sage ! » 5
Il n’existe pas moins de deux traductions françaises de la « Collection de sable et de pierres », mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle de M. Hartmut Rotermund.
「常陸ノ國中郡ト云所ニ草堂有.藥師如來ヲ安置ス.其堂チカキ家ニ.十二三バカリナル小童有ケリ.ワロキ病ヲシ.イキ絶ニケリ.チカキ野へステツ.一兩日鳥獸モクハズ.」
— Passage dans la langue originale
« À l’endroit appelé le District du milieu, dans le pays de Hitachi, on avait installé dans un petit temple au toit de chaume une statue de Yakushi Nyorai 6. Dans une maison auprès de ce temple vivait un jeune garçon de douze à treize ans. À la suite d’une maladie effrayante, il expira. On abandonna alors le cadavre dans un champ du voisinage. Pendant un ou deux jours, les oiseaux et les bêtes ne le dévorèrent pas. »
— Passage dans la traduction de M. Rotermund
« Dans la province de Hitachi, à un endroit nommé Chûgun, se trouve un petit temple à toit de chaume où l’on vénère une statue de Yakushi Nyorai. Dans une maison proche de ce temple vivait un petit garçon de douze ou treize ans. Il mourut d’une maladie grave, et son corps fut abandonné dans la lande voisine. Au bout de deux jours, les oiseaux et même les bêtes sauvages ne l’avaient point dévoré. »
— Passage dans la traduction de Mme Jacqueline Golay (« Le “Shasekishû” : miroir d’une personnalité, miroir d’une époque », éd. University of British Columbia (UBC), Vancouver)
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- Traduction partielle de Mme Jacqueline Golay (1974) [Source : University of British Columbia (UBC) Library].
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- « Shaseki-shū » dans « Dictionnaire historique du Japon » (éd. Librairie Kinokuniya-Maison franco-japonaise, coll. Publications de la Maison franco-japonaise, Tôkyô) [Source : Persée]
- André Bareau, « Compte rendu sur “Collection de sable et de pierres” » dans « Revue de l’histoire des religions », vol. 198, nº 2, p. 230-231 [Source : Persée]
- Hartmut Rotermund, « “Ars prædicandi” : théorie et pratique dans le Japon médiéval et moderne » dans « Comptes rendus des séances de l’Académie des inscriptions et belles-lettres », vol. 146, nº 3, p. 935-967 [Source : Persée].