Mujû, « Collection de sable et de pierres, “Shasekishû” »

éd. Gallimard-UNESCO, coll. UNESCO d’œuvres représentatives-Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard-UNESCO, coll. UNESCO d’œuvres re­pré­sen­ta­tives-Connais­sance de l’Orient, Pa­ris

Il s’agit de la « Col­lec­tion de sable et de pierres »1 (« Sha­seki-shû » ou « Sa­seki-shû »2), re­cueil de contes amu­sants ou édi­fiants, de lé­gendes re­li­gieuses ap­par­te­nant à un genre que le Ja­pon a cultivé avec bon­heur — ce­lui des « set­suwa »3 (« anec­dotes boud­dhiques pour pro­fanes »). Fruit de toute une vie pas­sée à prê­cher de­vant le com­mun du peuple, la « Col­lec­tion de sable et de pierres » est l’œuvre d’un moine, Ichien Mujû4 (XIIIe siècle apr. J.-C.), qui ne s’est ja­mais vrai­ment éloi­gné de ce peuple. Son nom Mujû, qui veut dire « sans de­meure », prend un sens bien lit­té­ral si l’on consi­dère l’existence er­rante de cet or­phe­lin élevé à la cam­pagne, sans grande édu­ca­tion, et qui, dans le souci d’échapper aux en­nuis de ce monde, s’était fait moine. Dans la pré­face à sa « Col­lec­tion de sable et de pierres », il se dé­crit lui-même comme un vieillard qui de­vrait, à l’approche de la mort, ac­cu­mu­ler des pro­vi­sions pour le che­min vers les rives de l’autre monde ; mais qui, au lieu de cela, ras­semble des anec­dotes in­si­gni­fiantes, qui ins­truisent en fai­sant rire, sou­vent d’ailleurs aux dé­pens de membres du clergé comme lui : « Me ré­veillant de mon som­meil de vieillard », dit-il, « j’ai donc, d’une main lé­gère, ras­sem­blé et noté ce que j’ai vu et ce que j’ai en­tendu, en sui­vant le cours de mes sou­ve­nirs, comme on cueille des herbes ma­rines ici et là, sans sé­pa­rer le bon du mau­vais ». De même que l’or s’obtient en amas­sant du sable, et que les joyaux se trouvent dans des pierres brutes qu’il faut po­lir ; de même, dit-il, il y a des prin­cipes pro­fonds de la vé­rité boud­dhique en­fouis au mi­lieu des tri­via­li­tés et des ba­var­dages où le conte prend sa source. C’est pour­quoi il choi­sit de don­ner à son re­cueil le titre de « Col­lec­tion de sable et de pierres ».

« comme on cueille des herbes ma­rines ici et là, sans sé­pa­rer le bon du mau­vais »

À la fin du cha­pitre LXXVII, il écrit : « En ras­sem­blant dans ce cha­pitre des his­toires ri­di­cules et im­pu­dentes, mon des­sein est d’ainsi me­ner les êtres sur la Voie de la sa­gesse ». Il est per­mis de se de­man­der si ces his­toires ont bien eu l’effet ré­demp­teur dé­siré ; mais il n’est pas per­mis de mettre en doute la sin­cé­rité fon­da­men­tale de Mujû. « Dans ses [ou­vrages] comme dans sa vie, il n’y a rien de par­ti­cu­liè­re­ment élé­gant. Beau­coup de sim­pli­cité, de la ro­bus­tesse, une forme d’expression di­recte, par­fois mo­queuse… Il cher­cha dans le boud­dhisme la rai­son d’être d’une vie pri­vée de tout confort… Et l’on peut bien s’étonner de l’énergie fan­tas­tique avec la­quelle il pour­sui­vit sa tâche jusqu’à la mort, consa­crant ses der­nières an­nées à écrire ver­te­ment, alors que son corps, de­puis long­temps la proie d’une ma­la­die in­cu­rable, se main­te­nait à force de vo­lonté, et peut-être de foi », dit Mme Jac­que­line Go­lay. Jusqu’aux tout der­niers ins­tants, Mujû garda un es­prit opi­niâtre et un rien mo­queur en­vers lui-même ; té­moin cet au­to­por­trait :

« Mes yeux ne voient plus
Mes oreilles n’entendent plus
Ma voix ne porte plus :
Comme il est fa­cile
D’être sage !
 »5

Il n’existe pas moins de deux tra­duc­tions fran­çaises de la « Col­lec­tion de sable et de pierres », mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de M. Hart­mut Ro­ter­mund.

「常陸ノ國中郡ト云所ニ草堂有.藥師如來ヲ安置ス.其堂チカキ家ニ.十二三バカリナル小童有ケリ.ワロキ病ヲシ.イキ絶ニケリ.チカキ野へステツ.一兩日鳥獸モクハズ.」

— Pas­sage dans la langue ori­gi­nale

« À l’endroit ap­pelé le Dis­trict du mi­lieu, dans le pays de Hi­ta­chi, on avait ins­tallé dans un pe­tit temple au toit de chaume une sta­tue de Ya­ku­shi Nyo­rai6. Dans une mai­son au­près de ce temple vi­vait un jeune gar­çon de douze à treize ans. À la suite d’une ma­la­die ef­frayante, il ex­pira. On aban­donna alors le ca­davre dans un champ du voi­si­nage. Pen­dant un ou deux jours, les oi­seaux et les bêtes ne le dé­vo­rèrent pas. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de M. Ro­ter­mund

« Dans la pro­vince de Hi­ta­chi, à un en­droit nommé Chû­gun, se trouve un pe­tit temple à toit de chaume où l’on vé­nère une sta­tue de Ya­ku­shi Nyo­rai. Dans une mai­son proche de ce temple vi­vait un pe­tit gar­çon de douze ou treize ans. Il mou­rut d’une ma­la­die grave, et son corps fut aban­donné dans la lande voi­sine. Au bout de deux jours, les oi­seaux et même les bêtes sau­vages ne l’avaient point dé­voré. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Mme Jac­que­line Go­lay (« Le “Sha­se­ki­shû” : mi­roir d’une per­son­na­lité, mi­roir d’une époque », éd. Uni­ver­sity of Bri­tish Co­lum­bia (UBC), Van­cou­ver)

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  1. Au­tre­fois tra­duit « Re­cueil de ro­chers et de sable » ou « Col­lec­tion de sable et de ga­lets ». Haut
  2. En ja­po­nais « 沙石集 ». Haut
  3. En ja­po­nais 説話. Haut
  1. En ja­po­nais 無住一円. Éga­le­ment connu sous le nom de Dô­gyô Mujû (無住道暁). Haut
  2. Mujû, « Col­lec­tion d’entretiens va­riés » (« 雑談集 »), in­édite en fran­çais. Haut
  3. La sta­tue de Ya­ku­shi Nyo­rai (Boud­dha mé­de­cin) est cen­sée gué­rir toutes les souf­frances et ma­la­dies. Haut