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Hamadhânî, « Le Livre des vagabonds : séances d’un beau parleur impénitent »

éd. Phébus, coll. Domaine arabe, Paris

éd. Phé­bus, coll. Do­maine , Pa­ris

Il s’agit des «Ma­qâ­mât» 1Séances») de Ha­madhânî 2 (Xe siècle apr. J.-C.), lit­té­ra­teur d’expression arabe, éga­le­ment connu sous le sur­nom de Badî‘ al-Za­mân 3le mi­racle de son siècle»). Les «Ma­qâ­mât» sont des al­lo­cu­tions d’apparat ou joutes d’, des acro­ba­ties poé­tiques ou pres­ti­di­gi­ta­tions lexi­co­gra­phiques, que pra­ti­quaient en­semble les gens de lettres. Cette ma­nière de briller, dans les cercles et les com­pa­gnies, par des pièces en vers et en prose était aussi fré­quente parmi les Orien­taux, qu’elle l’avait été au­tre­fois chez les Athé­niens, et qu’elle le sera plus tard dans les sa­lons mon­dains de Pa­ris. Les Orien­taux ont plu­sieurs de ces «Ma­qâ­mât», qui passent parmi eux pour des -d’œuvre du bel es­prit et du beau . Ha­madhânî a été le pre­mier à en pu­blier. Ha­rîrî l’a imité et, de l’avis gé­né­ral, sur­passé; en sorte que M. , tra­duc­teur arabe, dit que «le livre de Ha­rîrî est sans , aux cô­tés des “Mille et une Nuits”, la meilleure in­tro­duc­tion que nous sa­chions aux mys­tères de l’ arabe, et aux se­crets de l’arme qu’elle a tou­jours pri­vi­lé­giée : la » 4. Il n’est pas pos­sible, en ef­fet, de pé­né­trer et d’approfondir les fi­nesses de la arabe sans l’étude préa­lable de ces «Ma­qâ­mât», sortes d’écrins de la mu­sul­mane. Le ca­ne­vas sur le­quel Ha­madhânî et Ha­rîrî ont brodé ces com­po­si­tions est un des plus ori­gi­naux de la lit­té­ra­ture uni­ver­selle. C’est la sé­rie des mé­ta­mor­phoses et des tra­ves­tis­se­ments d’un men­diant let­tré, sorte de co­quin éhonté, aussi exercé en sub­ti­li­tés gram­ma­ti­cales qu’en es­cro­que­ries, ne fai­sant ser­vir sa science lit­té­raire qu’à ex­tor­quer quelque au­mône, et payant ses dî­ners en bons mots et en ti­rades dé­nuées de points dia­cri­tiques. Tour à tour imam ou pè­le­rin, mar­chand am­bu­lant ou faux mé­de­cin, aveugle ou pied-bot, ri­gide cen­seur ou vo­leur avide, il sait re­tour­ner sa veste et contre­faire sa , gri­mer sa et far­der son es­prit, chan­ger ses mé­tiers et va­rier ses prin­cipes se­lon la cir­cons­tance. «Aujourd’hui ver­tueux et dé­vot, il édi­fie par son hu­mi­lité ceux que la veille il scan­da­li­sait par son ef­fronté», dit Au­guste Cher­bon­neau 5. «Tan­tôt re­vêtu de haillons, il vante la fru­gale et prêche la ; tan­tôt paré des ha­bits de l’opulence, il chante la bonne chère et les joyeux plai­sirs. Vi­vant d’artifices… il raille les sots, dupe les âmes cré­dules, et par­vient tou­jours à mettre les rieurs de son côté.»

  1. En arabe «مقامات». Par­fois trans­crit «Me­qâ­mât», «Mé­ka­mat», «Mé­ca­mat», «Mo­ca­mat», «Ma­qua­mates», «Ma­quâmes», «Ma­ca­mat» ou «Maḳāmāt». Icône Haut
  2. En per­san همدانی. Par­fois trans­crit Ha­ma­dâny ou Ha­madānī. Icône Haut
  3. En per­san بدیع‌الزمان. Par­fois trans­crit Bédi-al­zé­man, Badi uz-Za­man, Bady-l-ze­mân, Badī‘ az-Zamān ou Badî al-Za­mâne. Icône Haut
  1. «Pré­face au “Livre des ma­lins : séances d’un va­ga­bond de de Ha­rîrî», p. 10. Icône Haut
  2. «Pré­face à “Ex­trait des Mé­ka­mat de Ha­riri. XXXe séance : la noce des men­diants”», p. IV. Icône Haut

Harîrî, « Le Livre des malins : séances d’un vagabond de génie »

éd. Phébus, coll. Domaine arabe, Paris

éd. Phé­bus, coll. Do­maine , Pa­ris

Il s’agit des «Ma­qâ­mât» 1Séances») d’al-Qâsim al-Ha­rîrî 2, lit­té­ra­teur (XIe siècle apr. J.-C.). Les «Ma­qâ­mât» sont des al­lo­cu­tions d’apparat ou joutes d’, des acro­ba­ties poé­tiques ou pres­ti­di­gi­ta­tions lexi­co­gra­phiques, que pra­ti­quaient en­semble les gens de lettres. Cette ma­nière de briller, dans les cercles et les com­pa­gnies, par des pièces en vers et en prose était aussi fré­quente parmi les Orien­taux, qu’elle l’avait été au­tre­fois chez les Athé­niens, et qu’elle le sera plus tard dans les sa­lons mon­dains de Pa­ris. Les Orien­taux ont plu­sieurs de ces «Ma­qâ­mât», qui passent parmi eux pour des -d’œuvre du bel es­prit et du beau . Ha­madhânî a été le pre­mier à en pu­blier. Ha­rîrî l’a imité et, de l’avis gé­né­ral, sur­passé; en sorte que M. , tra­duc­teur arabe, dit que «le livre de Ha­rîrî est sans , aux cô­tés des “Mille et une Nuits”, la meilleure in­tro­duc­tion que nous sa­chions aux mys­tères de l’ arabe, et aux se­crets de l’arme qu’elle a tou­jours pri­vi­lé­giée : la » 3. Il n’est pas pos­sible, en ef­fet, de pé­né­trer et d’approfondir les fi­nesses de la arabe sans l’étude préa­lable de ces «Ma­qâ­mât», sortes d’écrins de la mu­sul­mane. Le ca­ne­vas sur le­quel Ha­madhânî et Ha­rîrî ont brodé ces com­po­si­tions est un des plus ori­gi­naux de la lit­té­ra­ture uni­ver­selle. C’est la sé­rie des mé­ta­mor­phoses et des tra­ves­tis­se­ments d’un men­diant let­tré, sorte de co­quin éhonté, aussi exercé en sub­ti­li­tés gram­ma­ti­cales qu’en es­cro­que­ries, ne fai­sant ser­vir sa science lit­té­raire qu’à ex­tor­quer quelque au­mône, et payant ses dî­ners en bons mots et en ti­rades dé­nuées de points dia­cri­tiques. Tour à tour imam ou pè­le­rin, mar­chand am­bu­lant ou faux mé­de­cin, aveugle ou pied-bot, ri­gide cen­seur ou vo­leur avide, il sait re­tour­ner sa veste et contre­faire sa , gri­mer sa et far­der son es­prit, chan­ger ses mé­tiers et va­rier ses prin­cipes se­lon la cir­cons­tance. «Aujourd’hui ver­tueux et dé­vot, il édi­fie par son hu­mi­lité ceux que la veille il scan­da­li­sait par son ef­fronté», dit Au­guste Cher­bon­neau 4. «Tan­tôt re­vêtu de haillons, il vante la fru­gale et prêche la ; tan­tôt paré des ha­bits de l’opulence, il chante la bonne chère et les joyeux plai­sirs. Vi­vant d’artifices… il raille les sots, dupe les âmes cré­dules, et par­vient tou­jours à mettre les rieurs de son côté.»

  1. En arabe «مقامات». Par­fois trans­crit «Me­qâ­mât», «Mé­ka­mat», «Mé­ca­mat», «Mo­ca­mat», «Ma­qua­mates», «Ma­quâmes», «Ma­ca­mat» ou «Maḳāmāt». Icône Haut
  2. En arabe القاسم الحريري. Par­fois trans­crit al-Cas­sem al-Ha­riri, êl Qâ­cem êl Hha­ryry, el Kas­sam el Ha­reery ou al-Ḳā­sim al-Ḥarīrī. Icône Haut
  1. p. 10. Icône Haut
  2. «Pré­face à “Ex­trait des Mé­ka­mat de Ha­riri. XXXe séance : la noce des men­diants”», p. IV. Icône Haut

Kumar, « Un Amour sans mesure »

éd. Gallimard, coll. Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Connais­sance de l’, Pa­ris

Il s’agit de «Tyâg­pa­tra» 1Un sans me­sure», ou lit­té­ra­le­ment «La Lettre de dé­mis­sion») de M. Anandi Lal 2, plus connu sous le sur­nom de Jai­nen­dra Ku­mar 3 (XXe siècle). Pour cet écri­vain et pes­si­miste in­dien, dis­ciple de Gandhi, l’ est un être qui va ac­cu­mu­lant en lui-même la — de en dou­leur — jusqu’à en être rem­pli. C’est cette souf­france ac­cu­mu­lée qui donne à l’ une force et une puis­sante dont l’éclat res­plen­dit sur la noir­ceur du des­tin hu­main. «Hor­mis ce dou­lou­reux éclat, ce ne sont que té­nèbres… La souf­france de l’âme est le joyau qui fait vivre, c’est le sel de la », dit M. Ku­mar 4. La est donc du côté des humbles et des ré­si­gnés; elle est dans l’acceptation in­té­grale de cette souf­france en de­hors de la­quelle toute connais­sance est , toute pré­ten­tion est vain . Par son œuvre, M. Ku­mar veut sa­luer ceux qui ont ac­cepté li­bre­ment le poids du des­tin hu­main, qui l’ont porté sans se plaindre, qui ont souf­fert sans un mot, puis qui, le mo­ment venu, au terme de leurs tri­bu­la­tions, s’en sont al­lés de la même fa­çon : en si­lence. «Leur fin, qu’en pen­ser? Je ne dé­sire rien en pen­ser. Mais je peux quand même avoir cette , cette unique pen­sée, que leur [] ne peut pas, ne pourra ja­mais s’oublier, et que peut-être leur pu­reté est en elle-même as­sez par­faite pour for­cer les portes du pa­ra­dis à s’ouvrir de­vant eux», dit-il 5. «Dans un in­ci­sif, per­cu­tant… ses ro­mans ex­cellent à dé­peindre l’exacerbation des affres de la do­mes­tique d’une couche de la po­pu­la­tion in­dienne — la classe moyenne ur­baine — dont il est issu, en ac­cu­sant un tour vo­lon­tiers pro­vo­cant; ainsi dans “Su­nîtâ” 6, œuvre de 1935 qui fit scan­dale, où se trouve poussé jusqu’à l’extrême le prin­cipe gand­hien de ré­sis­tance pas­sive», ex­pliquent MM. Ro­bert Laf­font et Va­len­tino Bom­piani.

  1. En «त्यागपत्र». Par­fois trans­crit «Tyāg patr» ou «Tyā­ga­pa­tra». Icône Haut
  2. En hindi आनंदीलाल. Icône Haut
  3. En hindi जैनेंद्रकुमार. Icône Haut
  1. «Un Amour sans me­sure», p. 94. Icône Haut
  2. id. p. 95. Icône Haut
  3. En hindi «सुनीता», in­édit en . Par­fois trans­crit «Su­neeta». Icône Haut

Graffigny, « Lettres d’une Péruvienne »

éd. Voltaire Foundation, coll. Vif, Oxford

éd. Vol­taire Foun­da­tion, coll. Vif, Ox­ford

Il s’agit des «Lettres d’une Pé­ru­vienne» de  1, femme de lettres fran­çaise (XVIIIe siècle), dont le bel es­prit et l’élégance du firent dirent à un  2 «qu’elle fai­sait in­fi­dé­lité à son sexe, en usur­pant les ta­lents du nôtre». Née Fran­çoise d’Happoncourt, elle fut ma­riée — ou pour mieux dire — sa­cri­fiée à Fran­çois Hu­guet de Graf­fi­gny, em­porté, ja­loux et ex­trê­me­ment violent. Dès les pre­mières an­nées de conju­gale, elle se vit ex­po­sée aux mé­pris et aux in­sultes; des , son mari en vint aux coups, et la chose fit tant d’éclat qu’étant par­ve­nue à la po­lice, il y eut ordre d’emprisonner cet homme bru­tal qui, si­tôt re­lâ­ché, fit suivre ses pre­miers ex­cès par quan­tité d’autres. Il lui ar­riva plu­sieurs fois de ter­ras­ser son épouse à coups de pied et de poing, et après une fausse couche qu’elle eut, de lui mettre l’épée nue sur l’estomac. La pauvre femme per­dit tous ses en bas âge et eut beau­coup à souf­frir; la lettre sui­vante le montre as­sez : «Mon cher père», y dit Graf­fi­gny 3, «je suis obli­gée dans l’extrémité où je me trouve de vous sup­plier de ne me point aban­don­ner et de m’envoyer au plus vite cher­cher par M. de Ra­ré­court, car je suis en grand dan­ger et suis toute bri­sée de coups. Je me jette à votre et vous prie que ce soit bien vite». Après avoir pen­dant de longues an­nées donné des preuves d’une pa­tience hé­roïque, elle par­vint à ob­te­nir une sé­pa­ra­tion ju­ri­dique. Li­bé­rée des hor­ribles chaînes qu’elle avait trop long­temps por­tées, elle vint à Pa­ris. Sa vie n’avait été qu’un tissu de mal­heurs et de désa­gré­ments, et ce fut dans ces mal­heurs qu’elle puisa le sen­ti­ment d’une im­mense tris­tesse, d’une de tous les ins­tants qui ca­rac­té­risa son «Lettres d’une Pé­ru­vienne» : «Il ne me reste», y dit-elle 4, «que la triste de [vous] peindre mes dou­leurs… Que j’ai de à [vous les] dire, à leur don­ner toutes les sortes d’existences qu’elles peuvent avoir! Je vou­drais les tra­cer sur le plus dur mé­tal, sur les murs de ma chambre, sur mes ha­bits, sur tout ce qui m’environne, et les ex­pri­mer dans toutes les langues». Mais ce ro­man et un ou deux autres qu’elle écri­vit n’égalèrent ja­mais tout à fait ce­lui de sa vie; et plus en­core que dans les «Lettres d’une Pé­ru­vienne», les lec­teurs trou­ve­ront de l’intérêt dans les mil­liers de lettres qui consti­tuent sa vé­ri­table «Cor­res­pon­dance».

  1. On ren­contre aussi les gra­phies Gra­fi­gny, Gra­fi­gni et Graf­fi­gni. Icône Haut
  2. Étienne-Guillaume Co­lombe. Icône Haut
  1. «Cor­res­pon­dance. Tome I», p. 1. Icône Haut
  2. «Lettres d’une Pé­ru­vienne», p. 155. Icône Haut

Voltaire, « Contes et Romans. Tome III »

éd. Presses universitaires de France-Sansoni, Paris-Florence

éd. Presses uni­ver­si­taires de -San­soni, Pa­ris-Flo­rence

Il s’agit de «La Prin­cesse de Ba­by­lone» et autres de Vol­taire (XVIIIe siècle). Tout grand écri­vain a un ou­vrage par le­quel on le ré­sume, à tort ou à . «C’est dans ses contes qu’il faut cher­cher Vol­taire», «“Can­dide” est tout Vol­taire», dit-on de nos jours. Il est vrai que c’est là que Vol­taire s’est le plus en­joué des mi­sères de la condi­tion hu­maine, dans un aussi ab­surde que ce­lui des et des sup­plices, des bruits de et des pestes ef­froyables; c’est là éga­le­ment qu’il a réussi à por­ter un der­nier coup, sec et bru­tal, à cet op­ti­misme conso­la­teur des chré­tiens qu’il ju­geait béat. Lui, qui jusque-là avait re­tenu le amer de son im­piété, semble faire ré­son­ner à tra­vers ses contes un ri­ca­ne­ment de Sa­tan. «[Ces contes sont] d’une gaieté in­fer­nale», ex­plique la ba­ronne de Staël 1, «car ils semblent par un être d’une autre que nous, in­dif­fé­rent à notre sort, content de nos souf­frances et riant comme un dé­mon — ou comme un singe — des mi­sères de cette es­pèce hu­maine avec la­quelle il n’a rien de com­mun.» Alors, de­man­dons-nous : Vol­taire le conteur «dont le rire est un ric­tus, la grâce — une po­lis­son­ne­rie, l’esprit — un dard trempé dans le poi­son ou l’ordure» 2 peut-il éga­ler Vol­taire le phi­lo­sophe, l’ de goût, de sa­voir et de rai­son dont le «Dic­tion­naire phi­lo­so­phique» avait écarté l’obscurantisme et la bar­ba­rie des siècles pré­cé­dents; peut-il éga­ler Vol­taire l’homme du monde dont la «Cor­res­pon­dance», qui em­brasse un de soixante-sept ans, est une œuvre de pre­mier plan, un mo­dèle de naï­veté, d’esprit et de grâce? Non, je ne le crois pas. Il ne faut cher­cher dans ses contes ni , ni sé­rieuse, ni de ces nobles qu’on ren­contre dans quelques-uns de ses -d’œuvre; mais seule­ment une bi­lieuse et cy­nique et peut-être une ca­chée qui, ne trou­vant pas de sens à la ici-bas, pré­fère ac­ca­bler de mo­que­ries les les plus graves et les plus gé­né­reuses, les croyances les plus ca­pables de conso­ler les hommes, les es­pé­rances les plus propres à leur don­ner le pour sup­por­ter leur condi­tion. «Vol­taire [le conteur]», dit Cha­teau­briand 3, «n’aperçoit que le côté ri­di­cule des choses et des et [il] montre, sous un jour hi­deu­se­ment gai, l’homme à l’homme. Il charme et fa­tigue par sa ; il vous en­chante et vous dé­goûte.» Son , qui veut être édi­fiant, et qui sou­vent n’est que cruel et mor­dant, est ce­lui qui se rap­proche le plus des sa­ti­ristes .

  1. «Œuvres com­plètes. Tome II», p. 176. Icône Haut
  2. l’abbé Mi­chel-Ulysse May­nard. Icône Haut
  1. «Le Gé­nie du chris­tia­nisme», part. 2, liv. I, ch. V. Icône Haut

Voltaire, « Contes et Romans. Tome II »

éd. Presses universitaires de France-Sansoni, Paris-Florence

éd. Presses uni­ver­si­taires de -San­soni, Pa­ris-Flo­rence

Il s’agit de «Can­dide» et autres de Vol­taire (XVIIIe siècle). Tout grand écri­vain a un ou­vrage par le­quel on le ré­sume, à tort ou à . «C’est dans ses contes qu’il faut cher­cher Vol­taire», «“Can­dide” est tout Vol­taire», dit-on de nos jours. Il est vrai que c’est là que Vol­taire s’est le plus en­joué des mi­sères de la condi­tion hu­maine, dans un aussi ab­surde que ce­lui des et des sup­plices, des bruits de et des pestes ef­froyables; c’est là éga­le­ment qu’il a réussi à por­ter un der­nier coup, sec et bru­tal, à cet op­ti­misme conso­la­teur des chré­tiens qu’il ju­geait béat. Lui, qui jusque-là avait re­tenu le amer de son im­piété, semble faire ré­son­ner à tra­vers ses contes un ri­ca­ne­ment de Sa­tan. «[Ces contes sont] d’une gaieté in­fer­nale», ex­plique la ba­ronne de Staël 1, «car ils semblent par un être d’une autre que nous, in­dif­fé­rent à notre sort, content de nos souf­frances et riant comme un dé­mon — ou comme un singe — des mi­sères de cette es­pèce hu­maine avec la­quelle il n’a rien de com­mun.» Alors, de­man­dons-nous : Vol­taire le conteur «dont le rire est un ric­tus, la grâce — une po­lis­son­ne­rie, l’esprit — un dard trempé dans le poi­son ou l’ordure» 2 peut-il éga­ler Vol­taire le phi­lo­sophe, l’ de goût, de sa­voir et de rai­son dont le «Dic­tion­naire phi­lo­so­phique» avait écarté l’obscurantisme et la bar­ba­rie des siècles pré­cé­dents; peut-il éga­ler Vol­taire l’homme du monde dont la «Cor­res­pon­dance», qui em­brasse un de soixante-sept ans, est une œuvre de pre­mier plan, un mo­dèle de naï­veté, d’esprit et de grâce? Non, je ne le crois pas. Il ne faut cher­cher dans ses contes ni , ni sé­rieuse, ni de ces nobles qu’on ren­contre dans quelques-uns de ses -d’œuvre; mais seule­ment une bi­lieuse et cy­nique et peut-être une ca­chée qui, ne trou­vant pas de sens à la ici-bas, pré­fère ac­ca­bler de mo­que­ries les les plus graves et les plus gé­né­reuses, les croyances les plus ca­pables de conso­ler les hommes, les es­pé­rances les plus propres à leur don­ner le pour sup­por­ter leur condi­tion. «Vol­taire [le conteur]», dit Cha­teau­briand 3, «n’aperçoit que le côté ri­di­cule des choses et des et [il] montre, sous un jour hi­deu­se­ment gai, l’homme à l’homme. Il charme et fa­tigue par sa ; il vous en­chante et vous dé­goûte.» Son , qui veut être édi­fiant, et qui sou­vent n’est que cruel et mor­dant, est ce­lui qui se rap­proche le plus des sa­ti­ristes .

  1. «Œuvres com­plètes. Tome II», p. 176. Icône Haut
  2. l’abbé Mi­chel-Ulysse May­nard. Icône Haut
  1. «Le Gé­nie du chris­tia­nisme», part. 2, liv. I, ch. V. Icône Haut

Voltaire, « Contes et Romans. Tome I »

éd. Presses universitaires de France-Sansoni, Paris-Florence

éd. Presses uni­ver­si­taires de -San­soni, Pa­ris-Flo­rence

Il s’agit de «Mi­cro­mé­gas» et autres de Vol­taire (XVIIIe siècle). Tout grand écri­vain a un ou­vrage par le­quel on le ré­sume, à tort ou à . «C’est dans ses contes qu’il faut cher­cher Vol­taire», «“Can­dide” est tout Vol­taire», dit-on de nos jours. Il est vrai que c’est là que Vol­taire s’est le plus en­joué des mi­sères de la condi­tion hu­maine, dans un aussi ab­surde que ce­lui des et des sup­plices, des bruits de et des pestes ef­froyables; c’est là éga­le­ment qu’il a réussi à por­ter un der­nier coup, sec et bru­tal, à cet op­ti­misme conso­la­teur des chré­tiens qu’il ju­geait béat. Lui, qui jusque-là avait re­tenu le amer de son im­piété, semble faire ré­son­ner à tra­vers ses contes un ri­ca­ne­ment de Sa­tan. «[Ces contes sont] d’une gaieté in­fer­nale», ex­plique la ba­ronne de Staël 1, «car ils semblent par un être d’une autre que nous, in­dif­fé­rent à notre sort, content de nos souf­frances et riant comme un dé­mon — ou comme un singe — des mi­sères de cette es­pèce hu­maine avec la­quelle il n’a rien de com­mun.» Alors, de­man­dons-nous : Vol­taire le conteur «dont le rire est un ric­tus, la grâce — une po­lis­son­ne­rie, l’esprit — un dard trempé dans le poi­son ou l’ordure» 2 peut-il éga­ler Vol­taire le phi­lo­sophe, l’ de goût, de sa­voir et de rai­son dont le «Dic­tion­naire phi­lo­so­phique» avait écarté l’obscurantisme et la bar­ba­rie des siècles pré­cé­dents; peut-il éga­ler Vol­taire l’homme du monde dont la «Cor­res­pon­dance», qui em­brasse un de soixante-sept ans, est une œuvre de pre­mier plan, un mo­dèle de naï­veté, d’esprit et de grâce? Non, je ne le crois pas. Il ne faut cher­cher dans ses contes ni , ni sé­rieuse, ni de ces nobles qu’on ren­contre dans quelques-uns de ses -d’œuvre; mais seule­ment une bi­lieuse et cy­nique et peut-être une ca­chée qui, ne trou­vant pas de sens à la ici-bas, pré­fère ac­ca­bler de mo­que­ries les les plus graves et les plus gé­né­reuses, les croyances les plus ca­pables de conso­ler les hommes, les es­pé­rances les plus propres à leur don­ner le pour sup­por­ter leur condi­tion. «Vol­taire [le conteur]», dit Cha­teau­briand 3, «n’aperçoit que le côté ri­di­cule des choses et des et [il] montre, sous un jour hi­deu­se­ment gai, l’homme à l’homme. Il charme et fa­tigue par sa ; il vous en­chante et vous dé­goûte.» Son , qui veut être édi­fiant, et qui sou­vent n’est que cruel et mor­dant, est ce­lui qui se rap­proche le plus des sa­ti­ristes .

  1. «Œuvres com­plètes. Tome II», p. 176. Icône Haut
  2. l’abbé Mi­chel-Ulysse May­nard. Icône Haut
  1. «Le Gé­nie du chris­tia­nisme», part. 2, liv. I, ch. V. Icône Haut

Shen Fu, « Récits d’une vie fugitive : mémoires d’un lettré pauvre »

éd. Gallimard, coll. UNESCO d’œuvres représentatives-Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. UNESCO d’œuvres re­pré­sen­ta­tives-Connais­sance de l’, Pa­ris

Il s’agit des «Six Ré­cits au fil in­cons­tant des jours» 1 sheng liu ji» 2) de Shen Fu 3. Ces six ré­cits — qui, en , ne sont que quatre, les deux der­niers n’étant pas jusqu’à nous — consti­tuent un mo­nu­ment élevé par Shen Fu à la de Yun, son épouse dé­funte. «C’était le 30 mars 1803», dit-il 4. «Sa main agrip­pant la mienne, Yun vou­lut par­ler…; mais, sans forces, elle ne put que ré­pé­ter dans un souffle : “lai shi, lai shi”… “l’ fu­ture”… 5 Sou­dain, elle ha­leta, sa mâ­choire se rai­dit et son di­laté prit une fixité sai­sis­sante. Je l’appelai et l’appelai de nou­veau et en­core; mais en vain. Elle ne pou­vait plus pro­fé­rer une . Deux ruis­seaux de larmes conti­nuèrent à cou­ler le long de ses joues. Bien­tôt, son souffle s’affaiblit, ses larmes se ta­rirent et en­fin son s’éteignit.» Ce sont des ré­cits uniques jusque-là dans la par leurs pe­tits faits exacts et par leurs dé­tails fa­mi­liers sur la conju­gale. Nous nous trou­vons in­tro­duits, sans pré­ten­tion et en toute sim­pli­cité, dans l’intimité d’un pauvre let­tré qui ma­nie la clas­sique d’une ma­nière certes mal­ha­bile, mais dont l’austère sin­cé­rité nous émeut par­fois : «Mon re­gret», dit-il 6, «est de n’avoir reçu, étant en­fant, qu’une ins­truc­tion in­com­plète et d’être borné dans mes connais­sances. Aussi, ne re­la­te­rai-je, sans or­ne­ment, que des vrais et des faits réels. Re­cher­cher le dans ce que j’écris se­rait comme exi­ger l’éclat d’un non poli». Pa­ra­doxa­le­ment, c’est ce ca­rac­tère or­di­naire de Shen Fu qui fait son ex­tra­or­di­naire et qui est la ma­jeure du que connut son ou­vrage de­puis qu’il a été trouvé sur l’étal d’un bro­can­teur en 1849.

  1. Au­tre­fois tra­duit «Six Cha­pitres d’une vie flot­tante» ou «Six Mé­moires sur une vie flot­tante». Icône Haut
  2. En «浮生六記». Au­tre­fois trans­crit «Fou-cheng lieou-ki» ou «Fou­sheng liuji». Titre em­prunté au poème «Chun ye yan li yuan xu» («春夜宴桃李園序») de Li Po : «L’univers n’est que [la halte] des créa­tures, et le — l’hôte pro­vi­soire de l’éternité; “au fil in­cons­tant des jours”, notre vie n’est qu’un songe», etc. Icône Haut
  3. En chi­nois 沈復. Au­tre­fois trans­crit Chen Fou. Icône Haut
  1. p. 98. Icône Haut
  2. En chi­nois 來世. C’est, se­lon les croyances boud­dhiques, l’existence qui vient im­mé­dia­te­ment après l’existence ac­tuelle. Icône Haut
  3. p. 21. Icône Haut

Chateaubriand, « Les Natchez. Tome II »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des «Nat­chez» de , au­teur et , père du chré­tien. Le , le grand mal de Cha­teau­briand fut d’être né entre deux siècles, «comme au confluent de deux fleuves» 1, et de voir les ca­rac­tères op­po­sés de ces deux siècles se ren­con­trer dans ses opi­nions. Sorti des en­trailles de l’ancienne , de l’ancienne , il se plaça contre la , dès qu’il la vit dans ses pre­mières vio­lences, et il resta roya­liste, sou­vent contre son ins­tinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la de Na­po­léon Bo­na­parte. Même fougue, même éclat, même mo­derne. Si les Bour­bons avaient mieux ap­pré­cié Cha­teau­briand, il est pos­sible qu’il eût été moins vul­né­rable au de l’Empereur de­venu res­plen­dis­sant comme un «large ». Le pa­ral­lèle qu’il fait dans ses «Mé­moires d’outre-tombe» entre l’Empire et la mo­nar­chie bour­bo­nienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sin­cère de la concep­tion de l’auteur, tel­le­ment plus vraie que celle du po­li­tique : «Re­tom­ber de Bo­na­parte et de l’Empire à ce qui les a sui­vis, c’est tom­ber de la dans le néant; du som­met d’une mon­tagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas ter­miné avec Na­po­léon?… Com­ment nom­mer Louis XVIII en place de l’Empereur? Je rou­gis en [y] pen­sant». Triste jusqu’au déses­poir, sans amis et sans es­pé­rance, il était ob­sédé par un passé à ja­mais éva­noui et tombé dans le néant. «Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mé­pri­ser cette », écri­vait-il 2 en son­geant qu’il était lui-même une ruine en­core plus chan­ce­lante. Au­cune ne ve­nait le conso­ler ex­cepté la chré­tienne, à la­quelle il était re­venu avec et avec vé­hé­mence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conver­sion : «Ma mère, après avoir été je­tée à soixante-douze ans dans des ca­chots où elle vit pé­rir une par­tie de ses , ex­pira en­fin sur un gra­bat, où ses mal­heurs l’avaient re­lé­guée. Le sou­ve­nir de mes éga­re­ments [le de mon “Es­sai sur les ”] ré­pan­dit sur ses der­niers jours une grande amer­tume; elle char­gea, en mou­rant, une de mes sœurs de me rap­pe­ler à cette re­li­gion dans la­quelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le der­nier vœu de ma mère. Quand la lettre me par­vint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus; elle était morte aussi des suites de son . Ces deux sor­ties du tom­beau, cette qui ser­vait d’interprète à la mort, m’ont frappé; je suis de­venu chré­tien»

  1. «Mé­moires d’outre-tombe», liv. XLIII, ch. VIII. Icône Haut
  1. «Études his­to­riques». Icône Haut

Chateaubriand, « Les Natchez. Tome I »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des «Nat­chez» de , au­teur et , père du chré­tien. Le , le grand mal de Cha­teau­briand fut d’être né entre deux siècles, «comme au confluent de deux fleuves» 1, et de voir les ca­rac­tères op­po­sés de ces deux siècles se ren­con­trer dans ses opi­nions. Sorti des en­trailles de l’ancienne , de l’ancienne , il se plaça contre la , dès qu’il la vit dans ses pre­mières vio­lences, et il resta roya­liste, sou­vent contre son ins­tinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la de Na­po­léon Bo­na­parte. Même fougue, même éclat, même mo­derne. Si les Bour­bons avaient mieux ap­pré­cié Cha­teau­briand, il est pos­sible qu’il eût été moins vul­né­rable au de l’Empereur de­venu res­plen­dis­sant comme un «large ». Le pa­ral­lèle qu’il fait dans ses «Mé­moires d’outre-tombe» entre l’Empire et la mo­nar­chie bour­bo­nienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sin­cère de la concep­tion de l’auteur, tel­le­ment plus vraie que celle du po­li­tique : «Re­tom­ber de Bo­na­parte et de l’Empire à ce qui les a sui­vis, c’est tom­ber de la dans le néant; du som­met d’une mon­tagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas ter­miné avec Na­po­léon?… Com­ment nom­mer Louis XVIII en place de l’Empereur? Je rou­gis en [y] pen­sant». Triste jusqu’au déses­poir, sans amis et sans es­pé­rance, il était ob­sédé par un passé à ja­mais éva­noui et tombé dans le néant. «Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mé­pri­ser cette », écri­vait-il 2 en son­geant qu’il était lui-même une ruine en­core plus chan­ce­lante. Au­cune ne ve­nait le conso­ler ex­cepté la chré­tienne, à la­quelle il était re­venu avec et avec vé­hé­mence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conver­sion : «Ma mère, après avoir été je­tée à soixante-douze ans dans des ca­chots où elle vit pé­rir une par­tie de ses , ex­pira en­fin sur un gra­bat, où ses mal­heurs l’avaient re­lé­guée. Le sou­ve­nir de mes éga­re­ments [le de mon “Es­sai sur les ”] ré­pan­dit sur ses der­niers jours une grande amer­tume; elle char­gea, en mou­rant, une de mes sœurs de me rap­pe­ler à cette re­li­gion dans la­quelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le der­nier vœu de ma mère. Quand la lettre me par­vint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus; elle était morte aussi des suites de son . Ces deux sor­ties du tom­beau, cette qui ser­vait d’interprète à la mort, m’ont frappé; je suis de­venu chré­tien»

  1. «Mé­moires d’outre-tombe», liv. XLIII, ch. VIII. Icône Haut
  1. «Études his­to­riques». Icône Haut

Chateaubriand, « Atala • René • Les Aventures du dernier Abencérage »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit d’«Atala» et autres œuvres de , au­teur et , père du chré­tien. Le , le grand mal de Cha­teau­briand fut d’être né entre deux siècles, «comme au confluent de deux fleuves» 1, et de voir les ca­rac­tères op­po­sés de ces deux siècles se ren­con­trer dans ses opi­nions. Sorti des en­trailles de l’ancienne , de l’ancienne , il se plaça contre la , dès qu’il la vit dans ses pre­mières vio­lences, et il resta roya­liste, sou­vent contre son ins­tinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la de Na­po­léon Bo­na­parte. Même fougue, même éclat, même mo­derne. Si les Bour­bons avaient mieux ap­pré­cié Cha­teau­briand, il est pos­sible qu’il eût été moins vul­né­rable au de l’Empereur de­venu res­plen­dis­sant comme un «large ». Le pa­ral­lèle qu’il fait dans ses «Mé­moires d’outre-tombe» entre l’Empire et la mo­nar­chie bour­bo­nienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sin­cère de la concep­tion de l’auteur, tel­le­ment plus vraie que celle du po­li­tique : «Re­tom­ber de Bo­na­parte et de l’Empire à ce qui les a sui­vis, c’est tom­ber de la dans le néant; du som­met d’une mon­tagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas ter­miné avec Na­po­léon?… Com­ment nom­mer Louis XVIII en place de l’Empereur? Je rou­gis en [y] pen­sant». Triste jusqu’au déses­poir, sans amis et sans es­pé­rance, il était ob­sédé par un passé à ja­mais éva­noui et tombé dans le néant. «Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mé­pri­ser cette », écri­vait-il 2 en son­geant qu’il était lui-même une ruine en­core plus chan­ce­lante. Au­cune ne ve­nait le conso­ler ex­cepté la chré­tienne, à la­quelle il était re­venu avec et avec vé­hé­mence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conver­sion : «Ma mère, après avoir été je­tée à soixante-douze ans dans des ca­chots où elle vit pé­rir une par­tie de ses , ex­pira en­fin sur un gra­bat, où ses mal­heurs l’avaient re­lé­guée. Le sou­ve­nir de mes éga­re­ments [le de mon “Es­sai sur les ”] ré­pan­dit sur ses der­niers jours une grande amer­tume; elle char­gea, en mou­rant, une de mes sœurs de me rap­pe­ler à cette re­li­gion dans la­quelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le der­nier vœu de ma mère. Quand la lettre me par­vint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus; elle était morte aussi des suites de son . Ces deux sor­ties du tom­beau, cette qui ser­vait d’interprète à la mort, m’ont frappé; je suis de­venu chré­tien»

  1. «Mé­moires d’outre-tombe», liv. XLIII, ch. VIII. Icône Haut
  1. «Études his­to­riques». Icône Haut

Yamamoto, « Barberousse : roman »

éd. du Rocher, coll. Série japonaise, Monaco

éd. du Ro­cher, coll. Sé­rie ja­po­naise, Mo­naco

Il s’agit de «L’Étrange du dis­pen­saire de Bar­be­rousse» («Aka­hige shin­ryô­tan» 1) de M. Sa­tomu Shi­mizu 2, ro­man­cier , plus connu sous le sur­nom de Shû­gorô Ya­ma­moto 3. M. Shi­mizu na­quit en 1903. Faute de moyens fi­nan­ciers, il aban­donna ses études se­con­daires et en­tra en tant que com­mis dans une li­brai­rie de Tô­kyô, dont le pa­tron le prit en af­fec­tion et lui per­mit d’étudier chaque soir. Mais le grand trem­ble­ment de de 1923 contrai­gnit la li­brai­rie à fer­mer ses portes. Après un sé­jour à Ôsaka, où il fit ses dé­buts dans un jour­nal lo­cal, M. Shi­mizu re­ga­gna Tô­kyô et dé­cida de se consa­crer à l’. Une ins­pi­rée de son sé­jour et in­ti­tu­lée «Au bord du de Suma» («Su­ma­dera fu­kin» 4) mar­qua son en­trée dans le lit­té­raire. Une faute de l’éditeur at­tri­bua pour­tant cette nou­velle à Shû­gorô Ya­ma­moto, le dé­funt pa­tron de la li­brai­rie, que M. Shi­mizu consi­dé­rait comme son père spi­ri­tuel. L’écrivain gar­dera dé­sor­mais ce sur­nom. À la ma­nière d’Émile Zola, M. Shi­mizu sa­vait re­muer lon­gue­ment et tris­te­ment tous les des­sous de la hu­maine; ra­mas­ser des têtes éparses en une masse for­mi­dable; mettre la foule en mou­ve­ment : «Il s’attarde aux bas-fonds de la bête hu­maine, au jeu des forces du et des nerfs en ce qu’elles ont de plus in­sul­tant pour l’ hu­main. Il fouille et étale les lai­deurs se­crètes de la chair et ses mal­fai­sances… Il y a dans presque tous ses ro­mans, au­tour des pro­ta­go­nistes, une quan­tité de se­con­daires, un “ser­vum pe­cus” 5 qui sou­vent marche en bande, qui fait le fond de la scène et qui s’en dé­tache et prend la par in­ter­valles, à la fa­çon du chœur an­tique» 6. Ce sont, dans «L’Étrange His­toire du dis­pen­saire de Bar­be­rousse», le chœur des ma­lades et ce­lui des lais­sés pour compte; dans «Le Quar­tier sans sai­sons» («Ki­setsu no nai ma­chi» 7), le chœur des mi­sé­rables et ce­lui des sans-le-sou; dans «Le Sa­pin, seul, est resté» («Momi no ki wa no­kotta» 8), le chœur des pro­vin­ciaux in­ti­mi­dés par le shô­gun; dans le «Conte du ba­teau de » («Ao­beka mo­no­ga­tari» 9), le chœur des pê­cheurs. Par eux, les fi­gures du pre­mier plan se trouvent mê­lées à une large por­tion d’; et comme cette hu­ma­nité est mê­lée elle-même à la des choses, il se dé­gage de ces vastes en­sembles une im­pres­sion de four­mi­lière im­mense, pro­fonde, grouillant dans l’ombre ou, au contraire, pé­tillant au , dé­rou­lant des vies qui se suivent sans fin.

  1. En ja­po­nais «赤ひげ診療譚». Icône Haut
  2. En ja­po­nais 清水三十六. Icône Haut
  3. En ja­po­nais 山本周五郎. Icône Haut
  4. En ja­po­nais «須磨寺附近», in­édit en . Icône Haut
  5. Un «trou­peau ser­vile». Icône Haut
  1. Jules Le­maître, «Les Contem­po­rains. Tome I». Icône Haut
  2. En ja­po­nais «季節のない街», in­édit en fran­çais. Icône Haut
  3. En ja­po­nais «樅ノ木は残った», in­édit en fran­çais. Icône Haut
  4. En ja­po­nais «青べか物語», in­édit en fran­çais. Icône Haut

Hugo, « Les Misérables. Tome V »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit des «Mi­sé­rables» et autres œuvres de (XIXe siècle). Il faut re­con­naître que Hugo est non seule­ment le pre­mier en rang des de fran­çaise, de­puis que cette langue a été fixée; mais le seul qui ait un vrai­ment à ce titre d’écrivain dans sa pleine ac­cep­tion. Toutes les ca­té­go­ries de l’ lit­té­raire se trouvent en lui dé­jouées. La qui vou­drait dé­mê­ler cette ti­ta­nique, stu­pé­fiante, te­nant quelque chose de la di­vi­nité, est en pré­sence du pro­blème le plus in­so­luble. Fut-il poète, ro­man­cier ou pen­seur? Fut-il spi­ri­tua­liste ou réa­liste? Il fut tout cela et plus en­core. Nou­veau Qui­chotte, cet est allé por­ter ses pas sur tous les che­mins de l’esprit, mon­ter sur toutes les bar­ri­cades qu’il ren­con­trait, sou­tien des faibles et pour­fen­deur des ty­rans, son­neur de clai­rons et amant de la vio­lette; si bien qu’aucune des fa­milles qui se par­tagent l’espèce hu­maine au et au mo­ral ne peut se l’attribuer en­tiè­re­ment. Tan­tôt égal à la , com­paré à la mon­tagne, rap­pro­ché du , as­si­milé à l’ouragan, tan­tôt phi­lo­sophe, re­dres­seur des abus du siècle, pro­fes­seur d’histoire et guide , tan­tôt chargé d’apitoyer le sur la femme, de le mettre à ge­noux de­vant le vieillard pour le vé­né­rer et de­vant l’enfant pour le conso­ler, il fut je ne sais quel suc­cé­dané de la . Avec sa , c’est un monde cy­clo­péen d’idées et d’impressions qui est parti, un conti­nent de gra­nit qui s’est dé­ta­ché et a roulé avec fra­cas au fond des abîmes. «Qui pour­rait dire : “J’aime ceci ou cela dans Hugo”?», dit Édouard Dru­mont 1. «Comme l’océan, comme la mon­tagne, comme la fo­rêt, ce éveille l’idée de l’. Ce qu’on aime dans l’océan, ce n’est point une vague, ce sont des vagues in­ces­sam­ment re­nou­ve­lées; ce qu’on aime dans la fo­rêt, ce n’est point un arbre ou une feuille, ce sont ces mil­liers d’ et ces mil­liers de feuilles qui confondent leur ver­dure et leur bruit.»

  1. «Vic­tor Hugo de­vant l’opinion», p. 104. Icône Haut