Il s’agit de la « Correspondance » de Françoise de Graffigny1, femme de lettres française (XVIIIe siècle), dont le bel esprit et l’élégance du style firent dirent à un critique2 « qu’elle faisait infidélité à son sexe, en usurpant les talents du nôtre ». Née Françoise d’Happoncourt, elle fut mariée — ou pour mieux dire — sacrifiée à François Huguet de Graffigny, homme emporté, jaloux et extrêmement violent. Dès les premières années de vie conjugale, elle se vit exposée aux mépris et aux insultes ; des injures, son mari en vint aux coups, et la chose fit tant d’éclat qu’étant parvenue à la police, il y eut ordre d’emprisonner cet homme brutal qui, sitôt relâché, fit suivre ses premiers excès par quantité d’autres. Il lui arriva plusieurs fois de terrasser son épouse à coups de pied et de poing, et après une fausse couche qu’elle eut, de lui mettre l’épée nue sur l’estomac. La pauvre femme perdit tous ses enfants en bas âge et eut beaucoup à souffrir ; la lettre suivante le montre assez : « Mon cher père », y dit Graffigny3, « je suis obligée dans l’extrémité où je me trouve de vous supplier de ne me point abandonner et de m’envoyer au plus vite chercher par M. de Rarécourt, car je suis en grand danger et suis toute brisée de coups. Je me jette à votre miséricorde et vous prie que ce soit bien vite ». Après avoir pendant de longues années donné des preuves d’une patience héroïque, elle parvint à obtenir une séparation juridique. Libérée des horribles chaînes qu’elle avait trop longtemps portées, elle vint à Paris. Sa vie n’avait été qu’un tissu de malheurs et de désagréments, et ce fut dans ces malheurs qu’elle puisa le sentiment d’une immense tristesse, d’une mélancolie de tous les instants qui caractérisa son roman « Lettres d’une Péruvienne » : « Il ne me reste », y dit-elle4, « que la triste consolation de [vous] peindre mes douleurs… Que j’ai de joie à [vous les] dire, à leur donner toutes les sortes d’existences qu’elles peuvent avoir ! Je voudrais les tracer sur le plus dur métal, sur les murs de ma chambre, sur mes habits, sur tout ce qui m’environne, et les exprimer dans toutes les langues ». Mais ce roman et un ou deux autres qu’elle écrivit n’égalèrent jamais tout à fait celui de sa vie ; et plus encore que dans les « Lettres d’une Péruvienne », les lecteurs trouveront de l’intérêt dans les milliers de lettres qui constituent sa véritable « Correspondance ».
Sa vie n’avait été qu’un tissu de malheurs et de désagréments
Voici un passage qui donnera une idée du style de la « Correspondance » : « Allons, causons pendant que l’on fait ma chambre. Je ne suis pas de si mauvaise humeur qu’à l’ordinaire, et voici pourquoi : c’est que demain j’aurai fini mon “Éducation inutile”5, que je la trouve charmante. Voilà la petitesse qui me donne un peu de gaieté, et je la prends comme si elle était bien solide — c’est toujours autant. On ne me dira peut-être que trop tôt qu’elle ne vaut rien, et il faudra recommencer à la finir. Si tu es curieux de la voir, il faudra que je t’envoie le brouillon, car cela est trop long pour que le petit Brachet t’en fasse une copie. Peut-être aussi que ma petite joie a plus de solidité que je ne crois »6.
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Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Étienne-Guillaume Colombe, « Les Plaisirs d’un jour, ou la Journée d’une provinciale à Paris » (XVIIIe siècle)
- Charles Augustin Sainte-Beuve, « Lettres de Mme de Grafigny, ou Voltaire à Cirey » dans « Causeries du lundi. Tome II », p. 208-225 [Source : Google Livres]
- English Showalter, « Françoise de Graffigny : sa vie, son œuvre » (éd. Hermann, coll. de la République des lettres, Paris).