Schiller et Gœthe, « Correspondance (1794-1805). Tome II »

éd. Gallimard, Paris

éd. Gal­li­mard, Pa­ris

Il s’agit de la « Cor­res­pon­dance entre Schil­ler et Gœthe » (« Brief­wech­sel zwi­schen Schil­ler und Goethe »). Il est dif­fi­cile d’apprécier la ren­contre, le choc sym­pa­thique, l’alliance se­reine et fé­conde de deux gé­nies tels que l’auteur de « Faust » et l’auteur de « Wal­len­stein », à moins de connaître exac­te­ment leur an­ti­pa­thie de dé­part. Écou­tons-les se ju­ger l’un l’autre, au mo­ment où, ar­ri­vés tous deux à l’apogée de leur re­nom­mée par des che­mins concur­rents et pa­ral­lèles, ils te­naient l’admiration de l’Allemagne en sus­pens : « Je dé­tes­tais Schil­ler, parce que son ta­lent vi­gou­reux, mais sans ma­tu­rité, avait dé­chaîné à tra­vers l’Allemagne, comme un tor­rent im­pé­tueux, tous les pa­ra­doxes mo­raux et dra­ma­tiques dont je m’étais ef­forcé de pu­ri­fier mon in­tel­li­gence », di­sait Gœthe. « Je se­rais mal­heu­reux si je me ren­con­trais sou­vent avec Gœthe. Il n’a pas un seul mo­ment d’expansion, même avec ses amis les plus in­times. Il an­nonce son exis­tence par les bien­faits, mais à la ma­nière des dieux, sans se don­ner lui-même », di­sait Schil­ler. Étant très grands l’un et l’autre, ils étaient en même temps très dif­fé­rents et très op­po­sés. « Ja­mais deux hommes ne sont par­tis de si loin pour se ren­con­trer », dit un cri­tique1. Gœthe était un réa­liste, tourné vers la na­ture ex­té­rieure en spec­ta­teur im­mo­bile et pai­sible ; Schil­ler, au contraire, était un idéa­liste, ne voyant le monde qu’à tra­vers les brumes de ses rêves, et le voyant plus vi­brant et plus en­traî­nant qu’il n’apparaissait à la plu­part des gens. Bien­tôt pour­tant, ces deux âmes al­laient unir leurs sen­ti­ments et leurs pen­sées ; ces deux es­prits al­laient se com­plé­ter, s’enrichir mu­tuel­le­ment, prendre un même es­sor vers de nou­velles ré­gions de la lit­té­ra­ture, et s’insuffler une se­conde jeu­nesse ; tout cela à un âge où ils étaient plei­ne­ment for­més l’un et l’autre. « On peut com­prendre par là toute la va­leur de [leurs] lettres : elles ne contiennent pas seule­ment des confi­dences pleines de charme et d’intérêt ; elles forment un vé­ri­table cours de lit­té­ra­ture, où les ques­tions les plus im­por­tantes de l’art et de la poé­sie sont trai­tées avec la lar­geur de vue et le sen­ti­ment pro­fond qui n’appartiennent qu’au gé­nie. Ce sont deux poètes qui nous livrent, en quelque sorte, le se­cret de leur art ; qui nous ini­tient à leurs plus in­times pré­oc­cu­pa­tions, et nous font en­trer ainsi dans ce qu’a de plus pro­fond leur es­prit par­ti­cu­lier, d’abord, et en­suite l’esprit de leur race », dit un tra­duc­teur2.

Il n’existe pas moins de trois tra­duc­tions fran­çaises de la « Cor­res­pon­dance entre Schil­ler et Gœthe », mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de Lu­cien Herr.

« Es ist mein recht herz­li­cher Wunsch, daß sich die Stim­mung zu ei­ner poe­ti­schen Ar­beit recht bald wie­der bei Ih­nen fin­den möchte. Lei­der ist Ihre Lage im Gar­ten von ei­ner Seite so ungüns­tig als sie von der an­dern güns­tig ist, be­son­ders da Sie sich mit dem Bauen ein­ge­las­sen ha­ben. Ich kenne lei­der, aus frü­hern Zei­ten, diese wun­der­bare Ablei­tung nur all­zu­sehr, und habe un­glau­blich viel Zeit da­durch ver­dor­ben. Die me­cha­nische Bes­chäf­ti­gung der Men­schen, das hand­werksmäßige Ents­te­hen eines neuen Ge­gens­tandes, un­te­rhält uns an­ge­nehm, in­dem un­sere Tä­tig­keit da­bei Null wird. Es ist bei­nahe wie das Ta­ba­krau­chen. »
— Pas­sage dans la langue ori­gi­nale

« Je sou­haite de tout mon cœur que vous re­trou­viez bien­tôt l’état d’esprit né­ces­saire à la pro­duc­tion poé­tique ; mal­heu­reu­se­ment, votre ré­si­dence cam­pa­gnarde pré­sente à cet égard au­tant d’inconvénients que d’avantages, main­te­nant sur­tout que vous vous êtes laissé en­traî­ner à bâ­tir. Je n’ai que trop connu, au temps ja­dis, les dan­ge­reux ef­fets de cette sin­gu­lière sé­duc­tion, et j’y ai perdu mon temps jusqu’à un point qu’on ne croi­rait pas. Le tra­vail mé­ca­nique des hommes, la nais­sance d’un ob­jet nou­veau sous les doigts ha­biles d’un ar­ti­san, sont pour nous un di­ver­tis­se­ment qui flatte notre pa­resse, parce qu’à les contem­pler notre propre ef­fort est ré­duit à zéro. C’est un plai­sir ana­logue à ce­lui qu’on prend en fu­mant du ta­bac. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Herr

« Je dé­sire de tout mon cœur que l’inspiration poé­tique vous re­vienne le plus tôt pos­sible. Le sé­jour de votre jar­din vous sera fa­vo­rable sous un rap­port, et nui­sible sous un autre, sur­tout parce que vous vous êtes lancé dans les construc­tions. Je ne connais que trop bien cette bi­zarre dis­trac­tion, car elle m’a ja­dis fait perdre un temps in­ouï. Les tra­vaux des ou­vriers, la nais­sance mé­ca­nique d’un ob­jet nou­veau, nous amusent très agréa­ble­ment, mais notre propre ac­ti­vité se trouve ré­duite à zéro. Cela res­semble à la pas­sion de fu­mer du ta­bac. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de la ba­ronne Aloïse de Car­lo­witz (XIXe siècle)

« Je sou­haite de tout mon cœur que l’inspiration poé­tique vous re­vienne au plus tôt. Mal­heu­reu­se­ment, le sé­jour de votre jar­din vous fait au­tant de mal que de bien, sur­tout de­puis que vous vous êtes mis à bâ­tir. Je connais trop bien, par ma propre ex­pé­rience, cette sin­gu­lière dis­trac­tion ; elle m’a fait perdre ja­dis un temps in­croyable. Le tra­vail des ou­vriers, la créa­tion mé­tho­dique d’un ob­jet nou­veau, est un agréable passe-temps, qui ré­duit notre ac­ti­vité à zéro. Il en est à peu près de cela comme de fu­mer. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Ben­ja­min Lévy (XIXe siècle)

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