Nâm-dev, « Psaumes du tailleur, ou la Religion de l’Inde profonde »

éd. Gallimard, coll. Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Connais­sance de l’Orient, Pa­ris

Il s’agit de Nâm-dev1, poète dé­vot hin­dou (XIVe siècle apr. J.-C.). On lui doit un nombre im­por­tant de poèmes, sur­tout des « Psaumes » (« Abhang »2), dont soixante et un sont re­pris dans le « Gou­rou Granth Sa­hib », le livre saint des si­khs. On le sur­nomme « le tailleur de Pand­har­pour », car il na­quit au sein d’une fa­mille de tailleurs, dont il em­brassa d’abord la pro­fes­sion. En ce temps-là, les simples gens n’étaient plus sa­tis­faits de leurs dieux ni de leurs prêtres : ils ré­cla­maient un seul Dieu et qui par­lât une langue orale qui Le dis­pen­sât des in­ter­prètes, des tra­duc­teurs, des im­pos­teurs. Alors, Dieu Se mit à par­ler ma­rathe ; et les or­fèvres, tis­seurs et autres fa­bri­cants de belles choses se mirent à dan­ser de joie et à fa­bri­quer des poèmes au lieu de bi­joux et d’étoffes. « Pour­quoi pas moi ? », se dit Nâm-dev, et de tailleur, il de­vint poète. « Je ne fais que coudre les ha­bits de [Dieu]… Ai­guilles et fils, mètres et ci­seaux sont les ins­tru­ments de mon constant bon­heur », écrit-il3. Et plus loin : « À coudre ainsi le Nom [di­vin] sans me las­ser, les nœuds de la mort se dé­nouent. Je couds, je couds en­core, je couds tou­jours ; com­ment pour­rais-je vivre sans [le Sei­gneur] ? Mon ai­guille est ma jouis­sance ; mon fil est mon amour »4. Le jeune tailleur tissa tant de poèmes, que sa re­nom­mée se ré­pan­dit à tra­vers toute l’Inde. On vint de par­tout l’écouter, on le pro­clama « le pre­mier poète-saint de notre âge kali »5. On ra­conte plu­sieurs évé­ne­ments qui montrent sa sain­teté. Une fois, par exemple, il alla faire ses dé­vo­tions dans le temple de Pand­har­pour, où se ren­daient les pè­le­rins et les dé­vots les plus cé­lèbres. Mais ce temple était de­venu la pro­priété des brah­manes badvé, ap­pe­lés par le peuple les « ma­tra­queurs » en rai­son de leur pro­pen­sion à user de leurs gour­dins pour em­pê­cher les fi­dèles de basses castes d’y pé­né­trer. Quand Nâm-dev vou­lut en­trer, les em­ployés du temple, mé­con­tents, lui don­nèrent cinq à sept coups sur la tête et le mirent de­hors en le re­pous­sant. Mais lui, il n’en conçut pas la moindre co­lère dans son cœur ; s’étant re­tiré der­rière le temple, il s’assit et se mit à chan­ter ses « Psaumes ». Lorsqu’il acheva son chant, il dit : « Ô Sei­gneur, cette pu­ni­tion est peut-être juste, mais néan­moins, dès aujourd’hui, ceci sera le lieu où je fe­rai en­tendre mon [chant]. Que Vous l’écoutiez ou non, je ne re­tour­ne­rai plus [à la fa­çade de] Votre temple »6. La lé­gende dit qu’à ces mots, l’Invisible tourna le sanc­tuaire de fa­çon que Nâm-dev fût en face, et que les brah­manes fussent à dos. Ces der­niers se cou­vrirent de confu­sion ; et tom­bant aux pieds de Nâm-dev, ils lui de­man­dèrent le par­don de leur faute.

Voici un pas­sage qui don­nera une idée de la ma­nière de Nâm-dev :
« À quoi bon la caste, à quoi bon le rang,
Si­non, jour et nuit, à ser­vir [Dieu] le Roi !
Mon cœur prend les me­sures, ma langue coupe la toile,
Avec [Dieu] l’Adorable je coupe les lacs de la mort
 »7.

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  1. En ma­rathe नामदेव. Par­fois trans­crit Nā­ma­deva, Nam Déo ou Namd­haio. Haut
  2. En ma­rathe « अभंग ». Par­fois trans­crit « Abhanga » ou « Abhaṃg ». Lit­té­ra­le­ment « Vers in­in­ter­rom­pus ». Haut
  3. Psaume « Du bon­heur d’être tailleur ». Haut
  4. Psaume « À quoi bon la caste… ». Haut
  1. En hindi « कलिजुगि प्रथमि नामदे भईयौ » (Anan­ta­dâs, « Nâm-dev par­caî », in­édit en fran­çais). Haut
  2. Dans Gar­cin de Tassy, « His­toire de la lit­té­ra­ture hin­doui et hin­dous­tani, 2e édi­tion. Tome II », p. 437. Haut
  3. p. 39. Haut