Narasiṃha, « Au point du jour : les “prabhātiyāṃ” »

éd. École française d’Extrême-Orient, coll. Publications de l’École française d’Extrême-Orient, Paris

éd. École fran­çaise d’Extrême-Orient, coll. Pu­bli­ca­tions de l’École fran­çaise d’Extrême-Orient, Pa­ris

Il s’agit des « Prières du ma­tin » (« Prabhâ­tiyâṃ »1) de Na­ra­siṃha Ma­hetâ2, poète et saint hin­dou (XVe siècle apr. J.-C.), éga­le­ment connu sous le nom sim­pli­fié de Narsi Mehta. L’État du Gu­ja­rat vé­nère en lui son plus grand écri­vain, son « âdi kavi » (son « pre­mier poète »). Na­ra­siṃha ne fut pas, en réa­lité, le pre­mier. Les dé­cou­vertes mo­dernes ont ré­vélé toute une lit­té­ra­ture gu­ja­ra­tie da­tant déjà du XIIe siècle. Mais il reste vrai que Na­ra­siṃha est le pre­mier en im­por­tance, et le seul dont l’œuvre a été trans­mise de gé­né­ra­tion en gé­né­ra­tion, jouis­sant tou­jours d’une grande po­pu­la­rité. Gandhi, l’autre fils cé­lèbre du Gu­ja­rat, s’est ré­féré à lui à maintes re­prises et lui a em­prunté le terme « fi­dèles de Dieu » pour dé­si­gner les in­tou­chables. En ef­fet, dans un de ses poèmes au­to­bio­gra­phiques, Na­ra­siṃha nous ra­conte com­ment les in­tou­chables le sup­plièrent, un jour, de ve­nir faire un ré­ci­tal chez eux, et com­ment il ac­cepta d’y al­ler, en fai­sant fi des in­ter­dits. Toute sa vie en­suite, il fut per­sé­cuté par les sar­casmes et le mé­pris des brah­manes nâ­gara, aux­quels il ap­par­te­nait, et qui for­maient la caste la plus éle­vée du Gu­ja­rat ; une fois, il se vit forcé de leur ré­pondre dans une dis­cus­sion pu­blique : « Je suis ainsi, je suis tel que vous me dites ! Le seul mau­vais, plus mau­vais que le plus mau­vais ! Trai­tez-moi comme vous vou­drez, mais mon amour est en­core plus fort. Je suis ce Na­ra­siṃha qui agit à la lé­gère, mais… tous ceux qui se croient su­pé­rieurs aux “fi­dèles de Dieu”, vai­ne­ment passent leur vie »3. La lé­gende rap­porte qu’à ces mots, Viṣṇu Lui-même ap­pa­rut au mi­lieu du cé­nacle et, en guise d’approbation, jeta une guir­lande au­tour du cou de notre poète.

courtes pièces ly­riques des­ti­nées à la piété

Les poèmes de Na­ra­siṃha, écrits dans une langue har­mo­nieuse et ac­ces­sible à cha­cun, res­tent en re­trait de la tra­di­tion brah­ma­nique. Ce sont de courtes pièces ly­riques des­ti­nées à la piété. Na­ra­siṃha en au­rait com­posé plus d’un « lakh » (« cent mille ») ! Celles que l’on a re­cen­sées se li­mitent à un nombre beau­coup plus rai­son­nable : en­vi­ron deux mille. Les plus connues sont les « Prières du ma­tin » chan­tées, comme leur nom l’indique, au ré­veil avant le le­ver du so­leil. C’est là un ins­tant unique à ne pas perdre ; un mo­ment de grâce où toutes les pu­ri­fi­ca­tions sont pos­sibles. « Pour tous les Hin­dous, de quelles castes qu’ils soient », ex­plique Mme Fran­çoise Mal­li­son4, « le cou­cher du so­leil pré­fi­gure les té­nèbres, le mal, les at­taques des es­prits ma­lins dont il faut se gar­der. En contraste, le re­nou­veau du jour et de la lu­mière an­nonce la dé­li­vrance de ces maux. C’est un mys­tère qu’il faut être prêt à cé­lé­brer par une pa­role ou une prière ap­pro­priées… Les temps mo­dernes, il est vrai, ont vu cette pra­tique di­mi­nuer, sur­tout dans les villes… Mais d’Ahmedabad à Raj­kot [villes du Gu­ja­rat], pas un poste émet­teur ne com­men­ce­rait ses émis­sions sans avoir au­pa­ra­vant dif­fusé un pro­gramme de “Prières du ma­tin”. »

Voici un pas­sage qui don­nera une idée de la ma­nière de Na­ra­siṃha :
« Dieu ! Tu es le com­men­ce­ment, Tu es le mi­lieu, Tu es la fin…
Tu es l’Unique, l’Unique Tu es, c’est Toi l’Unique…
Des mil­lions de lunes et de so­leils oc­cupent le crois­sant de lune de Ses ongles.
Même si vous cher­chez à Le voir, ja­mais Il n’atteindra votre vue,
Comme il est im­pos­sible de dis­cer­ner l’obscurité dans la lu­mière du so­leil.
Les Vé­das ne peuvent dire de Lui que “neti, neti”
5 »6.

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  1. En gu­ja­rati « પ્રભાતિયાં ». Haut
  2. En gu­ja­rati નરસિંહ મહેતા. Par­fois trans­crit Nar­sinh Mehta, Nar­singh Mehta, Nar­simha Mehta ou Na­ra­sinha Mehta. Lui-même a choisi, par hu­mi­lité, de ne don­ner le plus sou­vent que le di­mi­nu­tif de son nom : Na­ra­saiṃyo (નરસૈંયો). Haut
  3. p. 21. Haut
  1. p. 37. Haut
  2. Comme on re­fuse à l’Être su­prême toute dé­fi­ni­tion, on n’en peut ab­so­lu­ment rien dire de po­si­tif. On ne sau­rait ré­pondre à toute qua­li­fi­ca­tion po­si­tive que « नेति नेति » (« neti, neti »), c’est-à-dire « ce n’est pas ceci, ce n’est pas cela », se­lon la for­mule clas­sique des Vé­das. Haut
  3. p. 149. Haut