Il s’agit de Li Shang yin 1, de son vrai nom Yi shan 2, poète symboliste de la fin des Tang (IXe siècle apr. J.-C.). « Aucun poème chinois, par définition, ne peut se réduire à son sens littéral. » 3 Cette vérité ne s’est jamais mieux fait sentir que dans les poèmes de Li Shang yin. Le moindre de ses vers a besoin de commentaires pour être bien compris. Les personnages sont peu connus. L’action où ils sont engagés est aussi obscure pour les gens du monde que pour les érudits. L’intelligence du lecteur, au lieu de s’attacher tout entière aux idées qui animent le poète, cherche à deviner le sens des symboles. Que signifie, par exemple :
« Lorsque le cheval céleste des Han eut engendré Pushao,
La luzerne et la grenade furent plantées partout dans les faubourgs.
Les jardins du palais ne surent que conserver le bec du phénix ;
Les chars de la suite n’ont plus dressé les longues plumes du faisan…
Qui avait prévu que Su Wu, devenu vieux, reviendrait au pays ?
À Mouling, sur les pins et les cyprès, la pluie tombe en sifflant, lugubre » 4 ?
cette luxuriance d’images, d’îlots de sens, d’allusions historiques et fabuleuses
Et pourtant, Li Shang yin a conquis les cœurs des lettrés chinois, qui l’ont imité jusqu’à l’abus. Il y a eu sûrement dans ce succès un peu de surprise littéraire. Il faut faire une part à l’étonnement causé chez leurs esprits rigides par l’étrangeté délicieuse de Li Shang yin, par cette luxuriance d’images, d’îlots de sens, d’allusions historiques et fabuleuses, par ces rapprochements si hermétiques, si originaux, si cadencés. Mais pour expliquer que Li Shang yin soit devenu chez les lettrés chinois ce qu’il est, il a fallu plus que cela. La fortune littéraire de ses poèmes tient à Li Shang yin lui-même. Sa vie n’a été qu’une longue suite de déceptions qu’aggravait toujours le chagrin de voir inemployés ses talents. C’est ce chagrin, comparable à celui d’un amoureux contrarié dans ses désirs, que partageaient en tout point les lettrés chinois. « Ce qui est caractéristique de la poésie de Li Shang yin et a attiré sur lui l’attention », explique M. Yves Hervouet 5, « est [l’]ambiguïté, par exemple, d’un certain nombre de poèmes d’amour, qui ont souvent été interprétés comme des poésies à la fois politiques et personnelles sur la situation précaire du poète dans le mandarinat. Que le prince ou le haut fonctionnaire puisse être représenté par une belle femme est un symbolisme fréquent dans la poésie chinoise depuis les “Élégies de Chu”, et les relations du poète avec lui seront évoquées sur le mode des relations entre amants ».
Il n’existe pas moins de douze traductions françaises des poèmes, mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle de M. Hervouet.
「君問歸期未有期,
巴山夜雨漲秋池.
何當共剪西窗燭,
卻話巴山夜雨時.」— Poème dans la langue originale
« Vous me demandez le jour de mon retour. Je ne sais.
Dans les monts de Ba 6, la pluie de la nuit a gonflé l’étang de l’automne.
Quand pourrons-nous ensemble moucher la chandelle à la fenêtre [de] l’Ouest ?
Lors, je vous conterai la pluie, la nuit, des monts de Ba. »
— Poème dans la traduction de M. Hervouet
« Pour quand est mon retour ? Répondre est hasardeux.
Nuit de pluie au mont Ba ! L’étang d’automne monte.
Quand donc moucherons-nous la chandelle tous deux
Pour que ma nuit de pluie au mont Ba je vous conte ? »
— Poème dans la traduction de M. Paul Jacob (dans « Vacances du pouvoir : poèmes des Tang », éd. Gallimard, coll. Connaissance de l’Orient, Paris)
« Vous me demandez quand je reviendrai. Je l’ignore.
La nuit, la pluie sur les monts Ba hausse l’étang d’automne.
Quand pourrons-nous couper la chandelle à la fenêtre d’Ouest
Et de nouveau parler par une nuit de pluie sur les monts Ba ? »
— Poème dans la traduction de M. Guilhem Fabre (dans « Instants éternels : cent et quelques poèmes connus par cœur en Chine », éd. La Différence, Paris)
« Vous me demandez le jour de mon retour ? Je ne sais.
Dans la montagne, sous la pluie nocturne, le lac d’automne déborde.
Puissions-nous, réunis un jour sous la chandelle devant la fenêtre de l’Ouest,
Évoquer ensemble le souvenir de cette nuit de pluie sur la montagne ! »
— Poème dans la traduction de M. Lo Ta-kang (dans « Cent Quatrains des T’ang », éd. O. Zeluck, Paris)
« Tu me demandes la date de mon retour. Il n’y en a pas.
Aux monts Ba, la pluie nocturne gonfle le lac automnal.
Quand, tous deux, devant la bougie à la fenêtre de l’Ouest,
Parlerons-nous, la nuit, de la pluie dans les monts Ba ? »
— Poème dans la traduction de Mme Florence Hu-Sterk (dans « Anthologie de la poésie chinoise », éd. Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, Paris)
« Je ne peux pas te dire quand je reviendrai :
Par la pluie, les étangs sont déjà débordés.
Oh ! quand pourrons-nous moucher la chandelle fine
Et parler de la pluie inondant les collines ? »
— Poème dans la traduction de M. Xu Yuan chong (dans « Choix de poèmes et de tableaux des Tang », éd. 五洲传播出版社, coll. de classiques chinois, Pékin)
« Vous me demandez quand je reviendrai. La date n’est pas décidée.
La pluie, la nuit sur les monts Bashan, enfle les étangs à l’automne.
Quand ensemble moucherons-nous la bougie à la fenêtre de l’Ouest,
Et te raconterai-je ce moment de pluie sur les monts Bashan ? »
— Poème dans la traduction de M. Jacques Pimpaneau (dans « Anthologie de la littérature chinoise classique », éd. Ph. Picquier, Arles)
« Vous me demandez la date de mon retour. Or, jamais cette date ne fut fixée.
Ce soir, seul dans la montagne de Pa, la pluie d’automne augmente l’eau de l’étang.
Quand nous nous reverrons devant la fenêtre, mouchant la mèche de la chandelle,
Quel plaisir de causer ensemble sur la pluie de cette triste soirée dans cette silencieuse montagne. »
— Poème dans la traduction de Tseng Tchong ming (dans « Essai historique sur la poésie chinoise », éd. J. Deprelle, Lyon)
« Tu me demandes : “Quand reviens-tu ?” Je ne sais pas.
La pluie nocturne descend du mont Pai troublant le lac d’automne.
Quand serons-nous tous deux autour de la chandelle à la fenêtre de l’Ouest
En train de parler ensemble de cette nuit où la pluie descendait du mont Pai ? »
— Poème dans la traduction de M. Claude Roy (dans « Le Voleur de poèmes : Chine », éd. Mercure de France, Paris)
« Tu demandes la date du retour
Aucune date n’est fixée encore.
La nuit dans les montagnes du Sichuan
La pluie d’automne — les points d’eau débordent.
Oh ! quand devant la fenêtre de l’Ouest
Resterons-nous ensemble à la bougie
En devisant de ce que fut la pluie
La nuit dans les montagnes du Sichuan ? »
— Poème dans la traduction indirecte de M. André Markowicz (dans « Ombres de Chine », éd. Inculte-Dernière Marge, Paris)Cette traduction n’a pas été faite sur l’original.
« Quand serai-je chez moi ?
Je ne le sais pas.
Dans les montagnes, par cette nuit pluvieuse
Le lac d’automne est en crue.
Un jour, nous nous retrouverons
À la lumière de la bougie près de la fenêtre qui donne à l’Ouest,
Et je te dirai quel souvenir j’ai eu de toi
Ce soir sur la montagne orageuse. »
— Poème dans la traduction indirecte de Mme Céline Leroy (dans Peter Heller, « La Constellation du chien : roman », éd. Actes Sud, Arles)Cette traduction n’a pas été faite sur l’original.
« Vous me demandez quand je vais venir :
Hélas, pas encore…
Comme la pluie fouettait les mares,
La nuit de notre rencontre !
Ah ! quand moucherons-nous ensemble encore
Des chandelles fumantes
En nous rappelant les heures gaies
De cette nuit de pluie ? »
— Poème dans la traduction indirecte d’Henri-Pierre Roché (« Poèmes chinois » dans « Vers et Prose », vol. 9, p. 35-43)Cette traduction n’a pas été faite sur l’original.
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- Traduction partielle du marquis Léon d’Hervey Saint-Denys (1862) [Source : Bibliothèque nationale de France]
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- Traduction partielle du marquis Léon d’Hervey Saint-Denys (éd. électronique) [Source : Chine ancienne]
- Traduction partielle de Sung-nien Hsu (éd. électronique) [Source : Université du Québec à Chicoutimi]
- Traduction indirecte et partielle d’Henri-Pierre Roché (1907) [Source : Bibliothèque nationale de France]
- Traduction indirecte et partielle d’Henri-Pierre Roché (1907) ; autre copie [Source : Google Livres].
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Georges Bonmarchand, « Les Notes de Li Yi-chan » dans « Bulletin de la Maison franco-japonaise », sér. 2, vol. 4, nº 3
- Yves Hervouet, « Li Shangyin (813-858) » dans « Encyclopædia universalis » (éd. électronique).
Bonjour,
Sauf erreur de ma part, je ne trouve pas de traductions sur votre site du célèbre poème de Li Shang yin « Xiang jian shi [nan] bie yi nan… ». Je ne connais que les traductions de Florence Hu-Sterk, François Cheng et Maurice Coyaud. Sauriez-vous m’indiquer [toutes les] traductions de ce poème ?
Cordialement à vous.
Il m’a été difficile de réunir ces onze traductions de « Xiang jian shi nan bie yi nan… » (« Les rencontres — difficiles ; les adieux — davantage… »). Il m’est plus difficile encore d’admettre qu’il y en a deux ou trois autres actuellement prêtées dans les bibliothèques de ma ville, et que je n’ai pas pu consulter. Celle de M. Yves Hervouet notamment :