Il s’agit de l’« Abrégé concernant les bienséances des soufis et de ceux qui cheminent dans la voie de Dieu » (« Mokhtasar fî âdâb al-sûfiyya wa-l-sâlikîn li-tarîq al-Haqq » 1) de Khwâdja ‘Abdullâh Ansârî 2, mystique musulman né en l’an 1006 apr. J.-C. dans la ville de Hérat, dans l’actuel Afghanistan ; surnommé pour cette raison Harawî 3 (« l’homme de Hérat »). Peu connu en Occident, n’ayant laissé chez les Arabes que le souvenir d’un polémiste virulent qui « passait à l’injure dès qu’il constatait la moindre divergence de vues avec son interlocuteur » (selon Ibn Rajab Baghdâdî 4), Ansârî n’a pas cessé pourtant de rayonner sur les peuples de langue persane, pour lesquels il représente l’un des plus anciens monuments de leur prose. Pour le peuple afghan surtout qui partage sa culture et sa finesse, en même temps que son tempérament bouillant et altier, il demeure un protecteur et un intercesseur. Sa tombe à Hérat reste l’objet de pèlerinages, et les napperons de soie rêche que l’on aime y offrir aux hôtes étrangers, portent, encadrés d’une mosquée stylisée, ses « Cris du cœur » ; celui-ci par exemple : « Mon Dieu ! Tu es dans les soupirs des hommes généreux, et présent dans les cœurs de ceux qui se souviennent. On dit que tu es près, et tu es bien plus que cela ; on dit que tu es loin, et tu es plus proche que l’âme ! Je ne sais si tu es dans l’âme, ou si l’âme même c’est toi. À vrai dire, tu n’es ni ceci ni cela. À l’âme il faut la vie, et cette vie c’est toi » 5. Enfant prodige qui maniait le persan et l’arabe avec une égale aisance, en une prose rythmée, Ansârî vivait dans un siècle extrêmement agité, où s’écroulait l’Empire ghaznévide et naissait l’Empire seldjoukide ; où s’entrechoquaient les idées, souvent avec violence. Il s’engagea à fond dans les polémiques de son temps, tout en étudiant les sciences religieuses. Une rencontre bouleversante avec Kharaqânî, un vieux soufi illettré qui lira dans les lettres de son cœur, réveillera en lui une foi sans faille qui motivera ses travaux, qui fournira la trame de son enseignement spirituel et qui soutiendra son courage dans toutes les persécutions menées par ses adversaires. Devenu aveugle sur la fin de sa vie, il dictera ses ouvrages les plus imposants à des disciples jeunes et fervents au cours de promenades au milieu de tulipes.
Sa tombe à Hérat reste l’objet de pèlerinages
Voici un passage qui donnera une idée du style de l’« Abrégé concernant les bienséances des soufis et de ceux qui cheminent dans la voie de Dieu » : « Si quelqu’un lui fait une invitation, le soufi doit y répondre, à moins que ce repas ne soit offert au détriment des orphelins ou qu’il le sache provenir de biens mal acquis. Lorsqu’il se rend à l’invitation, qu’il prenne place là où son hôte le fait asseoir ; qu’il se conforme aux désirs de son hôte et ne prenne congé que lorsque ce dernier lui en aura donné l’autorisation. Qu’il mange autant qu’il est besoin, mais qu’il n’emporte rien de ce qui est sur la table, à moins que son hôte ne lui donne quelque chose de son propre gré. Après avoir mangé, qu’il ne s’occupe pas de faire la conversation, car Dieu dit : “Retirez-vous après avoir mangé, sans entreprendre des conversations familières” 6. Qu’il ne s’attarde pas, à moins que son hôte ne l’invite à rester. Dans la maison de son hôte, qu’il ne regarde pas de tous côtés et ne demande pas : “Qu’est-ce que c’est que ce tapis ?”, “Qu’est-ce que c’est que ce plat ouvragé ?”, ce qui serait l’équivalent d’un soupçon » 7.
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- Traduction du père Serge de Beaurecueil (1959) [Source : Institut français d’archéologie orientale (IFAO)].
- En arabe « مختصرفى آداب الصوفية و السالكين الطريق الحق ». Parfois transcrit « Mokhtaṣar fī ādāb aṣ-ṣūfiyya wa-s-sālikīn li-ṭarīq al-Ḥaqq ».
- En persan خواجه عبدالله انصاری. Autrefois transcrit Khawâdjâ ‘Abd Allâh Ansârî, Khwâja Abdallah Ançâri ou Khajeh Abdollah Ansari.
- En arabe هروي. Parfois transcrit Heravī ou Herawi.
- Dans « Khwādja ‘Abdullāh Anṣārī : mystique hanbalite », p. 130.