Sénèque le philosophe, « Lettres à Lucilius. Tome III. Livres VIII-XIII »

éd. Les Belles Lettres, coll. des universités de France, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. des uni­ver­si­tés de France, Pa­ris

Il s’agit des « Lettres (mo­rales) à Lu­ci­lius »1 (« Ad Lu­ci­lium epis­tulæ (mo­rales) ») de Sé­nèque le phi­lo­sophe2, mo­ra­liste la­tin dou­blé d’un psy­cho­logue, dont les œuvres as­sez dé­cou­sues, mais riches en re­marques in­es­ti­mables, sont « un tré­sor de mo­rale et de bonne phi­lo­so­phie »3. Il na­quit à Cor­doue vers 4 av. J.-C. Il en­tra, par le conseil de son père, dans la car­rière du bar­reau, et ses dé­buts eurent tant d’éclat que le prince Ca­li­gula, qui avait des pré­ten­tions à l’éloquence, ja­loux du bruit de sa re­nom­mée, parla de le faire mou­rir. Sé­nèque ne dut son sa­lut qu’à sa santé chan­ce­lante, mi­née par les veilles stu­dieuses à la lueur de la lampe. On rap­porta à Ca­li­gula que ce jeune phti­sique avait à peine le souffle, que ce se­rait tuer un mou­rant. Et Ca­li­gula se ren­dit à ces rai­sons et se contenta d’adresser à son ri­val des cri­tiques quel­que­fois fon­dées, mais tou­jours mal­veillantes, ap­pe­lant son style « du sable sans chaux » (« arena sine calce »), et ses dis­cours ora­toires — « de pures ti­rades théâ­trales ». Dès lors, Sé­nèque ne pensa qu’à se faire ou­blier ; il s’adonna tout en­tier à la phi­lo­so­phie et n’eut d’autres fré­quen­ta­tions que des stoï­ciens. Ce­pen­dant, son père, crai­gnant qu’il ne se fer­mât l’accès aux hon­neurs, l’exhorta de re­ve­nir à la car­rière pu­blique. Celle-ci mena Sé­nèque de com­pro­mis en com­pro­mis et d’épreuve en épreuve, dont la plus fa­tale sur­vint lorsqu’il se vit confier par Agrip­pine l’éducation de Né­ron. On sait ce que fut Né­ron. Ja­mais Sé­nèque ne put faire un homme re­com­man­dable de ce sale gar­ne­ment, de ce triste élève « mal élevé, va­ni­teux, in­so­lent, sen­suel, hy­po­crite, pa­res­seux »4. Né­ron en re­vanche fit de notre au­teur un « ami » forcé, un col­la­bo­ra­teur in­vo­lon­taire, un conseiller mal­gré lui, le char­geant de ré­di­ger ses al­lo­cu­tions au sé­nat, dont celle où il re­pré­sen­tait le meurtre de sa mère Agrip­pine comme un bon­heur in­es­péré pour Rome. En l’an 62 apr. J.-C., Sé­nèque cher­cha à échap­per à ses hautes, mais désho­no­rantes fonc­tions. Il de­manda de par­tir à la cam­pagne en re­non­çant à tous ses biens qui, dit-il, l’exposaient à l’envie gé­né­rale. Mal­gré les re­fus ré­ité­rés de Né­ron, qui se ren­dait compte que la re­traite du pré­cep­teur se­rait in­ter­pré­tée comme un désa­veu de la po­li­tique im­pé­riale, Sé­nèque ne re­cula pas. « En réa­lité, sa vertu lui fai­sait ha­bi­ter une autre ré­gion de l’univers ; il n’avait [plus] rien de com­mun avec vous » (« At illum in aliis mundi fi­ni­bus sua vir­tus col­lo­ca­vit, ni­hil vo­bis­cum com­mune ha­ben­tem »)5. Il se re­tira du monde et des af­faires du monde avec sa femme, Pau­line, et il pré­texta quelque ma­la­die pour ne point sor­tir de chez lui.

« des conseils d’hygiène mo­rale, des for­mules », comme il dit, « de mé­di­ca­tion pra­tique »

Sé­nèque tra­vailla dé­sor­mais pour le compte de la pos­té­rité. Il son­gea à elle en com­po­sant des œuvres qu’il es­pé­rait pro­fi­tables. Il y consi­gna des pré­ceptes de sa­gesse hu­maine à l’usage des hon­nêtes gens, « des conseils d’hygiène mo­rale, des for­mules », comme il dit6, « de mé­di­ca­tion pra­tique, non sans avoir éprouvé leur vertu sur ses propres plaies ». Ja­mais dans l’histoire ro­maine, le be­soin de per­fec­tion­ne­ment mo­ral et per­son­nel ne s’était fait plus vi­ve­ment sen­tir qu’au temps de Sé­nèque. La Ré­pu­blique étant morte, il n’y avait plus de voie ou­verte aux nobles am­bi­tions et aux dé­voue­ments à la pa­trie ; il fal­lait flat­ter sans cesse, se prê­ter aux moindres ca­prices de maîtres dé­bau­chés et cruels. Où trou­ver, au mi­lieu de cette cor­rup­tion am­biante, une paix, une sé­ré­nité et un mi­ni­mum d’idéal sans les­quels, pour l’âme bien née, la vie ne va­lait rien ? Sé­nèque lui-même, ren­fermé dans son re­fuge et éloi­gné des af­faires pu­bliques, put à peine trou­ver ces conso­la­tions, puisque, dès le mo­ment où il ma­ni­festa à Né­ron son dé­sir de s’en éloi­gner, il fut voué à la per­sé­cu­tion et à la mort. Son sui­cide fut digne d’un phi­lo­sophe, ou plu­tôt d’un di­rec­teur de conscience. Car exa­mi­ner ce sage comme un phi­lo­sophe qui au­rait un sys­tème bien dé­ter­miné et suivi, ce se­rait se trom­per. Les païens ont déjà re­mar­qué son peu de goût pour la pure spé­cu­la­tion. Et si les chré­tiens, frap­pés par ses écrits, ont voulu faire de lui un en­fant de l’Église, c’est qu’il as­pi­rait à don­ner aux âmes une dis­ci­pline in­té­rieure, et non des dogmes. « Lorsque le phi­lo­sophe déses­père de faire le bien », ex­plique Di­de­rot dans son ma­gni­fique « Es­sai sur les règnes de Claude et de Né­ron », « il re­nonce à la fonc­tion in­utile et pé­rilleuse… pour s’occuper dans le si­lence et l’obscurité de la re­traite… Il s’exhorte à la vertu et ap­prend à se rai­dir contre le tor­rent des mau­vaises mœurs qui en­traîne au­tour de lui la masse gé­né­rale de la na­tion. [Ainsi] des hommes ver­tueux, re­con­nais­sant la dé­pra­va­tion de notre âge, fuient le com­merce de la mul­ti­tude et le tour­billon des so­cié­tés, avec au­tant de soin qu’ils en ap­por­te­raient à se mettre à cou­vert d’une tem­pête ; et la so­li­tude est un port où ils se re­tirent. Ces sages au­ront beau se ca­cher loin de la foule des per­vers, ils se­ront connus des dieux et des hommes qui aiment la vertu. De cet ho­no­rable exil où ils vivent… ils ver­ront sans en­vie l’admiration du vul­gaire pro­di­guée à des fourbes qui le sé­duisent, et les ré­com­penses des grands ver­sées sur des bouf­fons qui les flattent ou… amusent ».

Il n’existe pas moins de douze tra­duc­tions fran­çaises des « Lettres à Lu­ci­lius », mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle d’Henri No­blot.

« Quam­diu vi­de­ba­tur fu­rere De­mo­cri­tus ? Vix re­ce­pit So­cra­ten fama. Quam­diu Ca­to­nem ci­vi­tas igno­ra­vit ? Re­spuit nec in­tel­lexit nisi cum per­di­dit. Ru­tili in­no­cen­tia ac vir­tus la­te­ret, nisi ac­ce­pis­set in­ju­riam : dum vio­la­tur, ef­ful­sit. Num­quid non sorti suæ gra­tias egit et exi­lium suum com­plexus est ? De his lo­quor quos illus­tra­vit For­tuna dum vexat. Quam mul­to­rum pro­fec­tus in no­ti­tiam eva­sere post ip­sos ! Quam mul­tos fama non ex­ce­pit, sed eruit ! »
— Pas­sage dans la langue ori­gi­nale

« Pen­dant com­bien d’années Dé­mo­crite a-t-il passé pour fou7 ? La re­nom­mée fit des dif­fi­cul­tés pour ac­cueillir So­crate. Com­bien de temps Ca­ton ne fut-il pas mé­connu de son conci­toyens ? Ils le re­je­tèrent ; ils ne le com­prirent qu’après l’avoir perdu. L’innocence et la vertu de Ru­ti­lius se­raient en­fouies dans l’ombre sans l’injustice qu’il a su­bie : l’outrage l’a fait res­plen­dir. Ne dou­tons pas qu’il n’ait rendu grâces à sa des­ti­née, chéri son exil. Je parle de per­son­nages que les ava­nies de la For­tune ont tout de suite illus­trés. Com­bien dont l’œuvre spi­ri­tuelle n’est ve­nue au grand jour qu’après leur dis­pa­ri­tion ! Com­bien de noms né­gli­gés par la re­nom­mée, puis ex­hu­més par elle ! »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de No­blot

« Com­bien de temps Dé­mo­crite a-t-il passé pour fou ? La ré­pu­ta­tion de So­crate a eu du mal à s’établir. Com­bien de temps Rome a-t-elle ignoré Ca­ton ? Elle l’a d’abord re­jeté et ne l’a com­pris qu’après l’avoir perdu. La pro­bité et la vertu de Ru­ti­lius se­raient igno­rées s’il n’avait été vic­time de l’injustice : ce sont les vio­lences dont il a souf­fert qui l’ont fait connaître. Dès lors, n’a-t-il pas dû re­mer­cier sa des­ti­née et ché­rir son exil ? Et je parle là de gens que la For­tune a mis en lu­mière en les per­sé­cu­tant. Mais comme ils sont nom­breux ceux qui n’ont pro­fité de la no­to­riété qu’après leur mort ! Que de grands hommes ont été, non ac­cueillis, mais ar­ra­chés du tom­beau par la gloire ! »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Fran­çois Ri­chard et Pierre Ri­chard (éd. Gar­nier frères, coll. Clas­siques Gar­nier, Pa­ris)

« Com­bien de temps Dé­mo­crite n’a-t-il point passé pour un fou ? La re­nom­mée eut peine à ac­cueillir So­crate. Com­bien de temps Ca­ton ne fut-il pas mé­connu de Rome ? On le re­poussa ; on ne le com­prit qu’après l’avoir perdu. L’innocence et la vertu de Ru­ti­lius se­raient igno­rées sans l’iniquité qu’il a su­bie : l’outrage l’a fait res­plen­dir. Ne dut-il pas rendre grâce à son in­for­tune, et ché­rir son exil ? Je parle ici d’hommes que le sort a illus­trés en les per­sé­cu­tant. Mais com­bien d’œuvres mé­ri­toires ve­nues au grand jour après la mort de leurs au­teurs ! Que de noms né­gli­gés et puis ex­hu­més par la gloire ! »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Jo­seph Baillard, 2e ver­sion (XIXe siècle)

« Com­bien de temps Dé­mo­crite a-t-il passé pour un fou ? À peine si la re­nom­mée a rendu jus­tice à So­crate. Com­bien de temps Ca­ton n’a-t-il pas été mé­connu de ses conci­toyens ? On le re­pous­sait ; on ne l’a ap­pré­cié qu’après l’avoir perdu. L’innocence et la vertu de Ru­ti­lius se­raient igno­rées sans l’injustice qu’il a su­bie ; on veut le désho­no­rer, on le couvre de gloire. Ne dut-il pas re­mer­cier le des­tin, et ché­rir son exil comme un bien­fait ? Je ne parle en­core que des hommes que la For­tune a illus­trés en vou­lant les abais­ser. Com­bien en est-il dont les per­fec­tions ne se sont ré­vé­lées qu’après leur mort ! Com­bien en est-il que la re­nom­mée a dû dé­ter­rer ! »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion d’Alphonse Tro­gnon (XIXe siècle)

« Com­bien de temps Dé­mo­crite a-t-il passé pour un fou ? À peine si la re­nom­mée a rendu jus­tice à So­crate. Com­bien de temps Ca­ton fut-il mé­connu de Rome ? Elle le re­pous­sait et ne le com­prit qu’après l’avoir perdu. L’innocence et la vertu de Ru­ti­lius se­raient igno­rées sans l’injustice qu’il a su­bie ; la per­sé­cu­tion lui donna de l’éclat. Ne dut-il pas re­mer­cier le des­tin, et ché­rir son exil comme un bien­fait ? Je parle de ceux que la For­tune a illus­trés en vou­lant les abais­ser. Com­bien en est-il dont les ver­tus ne se sont ré­vé­lées qu’après leur mort ! Com­bien en est-il que la re­nom­mée a dû dé­ter­rer ! »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion d’Alphonse Tro­gnon, re­vue par Jean-Pierre Char­pen­tier et Fé­lix Le­maistre (XIXe siècle)

« Com­bien de temps Dé­mo­crite n’a-t-il pas été re­gardé comme un fou ! Quelle peine n’a pas eu la re­nom­mée à dé­cou­vrir So­crate ! Com­bien d’années Ca­ton n’a-t-il pas été ignoré de ses conci­toyens ! On le mé­pri­sait, on ne connut son prix que par sa perte. Le dés­in­té­res­se­ment et la vertu de Ru­ti­lius se­raient res­tés en­se­ve­lis s’il n’eut reçu un ou­trage : il dut son lustre à la tache même qu’on vou­lut lui im­pri­mer. Ne dut-il pas rendre grâces au des­tin et ché­rir son exil avec re­con­nais­sance ? Je ne parle en­core que des hommes illus­trés par les re­vers de la For­tune. Com­bien de per­son­nages dont les pro­grès n’ont été connus qu’après leur mort, et que la re­nom­mée a, pour ainsi dire, dé­ter­rés ! »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de … La­grange (XVIIIe siècle)

« Com­bien a-t-on as­suré que Dé­mo­crite était fou fu­rieux ? À peine So­crate a-t-il joui de sa ré­pu­ta­tion. Rome n’a-t-elle pas ignoré pen­dant long­temps qu’elle pos­sé­dait Ca­ton ? Elle ne l’a bien connu qu’après l’avoir perdu. (la­cune) »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Charles Sa­blier (XVIIIe siècle)

« Com­bien de temps Dé­mo­crite a-t-il passé pour un fou ? La ré­pu­ta­tion de So­crate eut peine à s’établir. Rome ignora fort long­temps ce que va­lait Ca­ton. Elle le mé­prisa et ne le connut que lorsqu’elle le per­dit. La vertu de Ru­ti­lius se­rait de­meu­rée ca­chée sans l’injustice qu’on lui fit : la per­sé­cu­tion lui donna de l’éclat. N’en re­mer­cia-t-il pas sa des­ti­née ? N’eut-il pas de l’estime pour son ban­nis­se­ment ? Je parle de ceux que la For­tune a ren­dus fa­meux par leurs mal­heurs. Mais com­bien y en a-t-il de qui la science ou la vertu n’a été connue qu’après leur mort ! Com­bien y en a-t-il que la gloire, qui les avait aban­don­nés du­rant leur vie, a ti­rés du tom­beau pour en faire des per­son­nages illustres ! »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Pierre Pin­trel, re­vue par Jean de La Fon­taine (XVIIe siècle)

« Com­bien de temps pen­sez-vous qu’on a tenu que Dé­mo­crite fût hors de sens ? Com­bien a fait de mer­veilles So­crate de­vant qu’on ait parlé de lui ? Et quant à Ca­ton, on l’ignora tel­le­ment dans Rome, qu’il y re­çut une in­fi­nité d’affronts, et ja­mais il n’y fut connu pour juste, si­non qu’après qu’il fut perdu. L’injustice qu’on fit à Ru­ti­lius donna ré­pu­ta­tion à sa prud’homie : en la pres­sant8, on la fit luire. Mais aussi, comme en re­mer­cia-t-il son mal­heur et comme fit-il cas de son ban­nis­se­ment. Je parle de ceux que la For­tune a fait ve­nir au monde en les en chas­sant. Com­bien ont eu les siècles pas­sés de grands et suf­fi­sants per­son­nages qui n’ont été re­con­nus qu’après qu’ils n’ont plus été ! Com­bien avons-nous aujourd’hui de noms illustres que la for­tune n’a point mis entre les mains du peuple, mais qu’elle-même est [al­lée] qué­rir sous terre, pour les mettre au jour et les pu­blier ! »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Fran­çois de Mal­herbe (XVIIe siècle)

« Com­bien de temps pen­sez-vous qu’on a tenu que Dé­mo­crite fût hors de sens ? Com­bien a fait de mer­veilles So­crate de­vant qu’on ait parlé de lui ? Et quant à Ca­ton, on l’ignora tel­le­ment dans Rome, qu’il y re­çut une in­fi­nité d’affronts, et ja­mais il n’y fut connu pour juste, si­non qu’après qu’il fut perdu. L’injustice qu’on fit à Ru­ti­lius donna ré­pu­ta­tion à sa pro­bité : en la pres­sant, on la fit luire. Mais aussi, com­ment en re­mer­cia-t-il son mal­heur et com­ment fit-il cas de son ban­nis­se­ment. Je parle de ceux que la For­tune a rendu illustres en les per­sé­cu­tant. Com­bien ont eu les siècles pas­sés de grands hommes qui n’ont été re­con­nus qu’après qu’ils n’ont plus été ! Com­bien avons-nous aujourd’hui de noms illustres que la for­tune n’a point mis entre les mains du peuple, mais qu’elle-même est [al­lée] qué­rir sous terre, pour les mettre au jour et les pu­blier ! »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Fran­çois de Mal­herbe, re­vue par Pierre Du Ryer (XVIIe siècle)

« Com­bien de temps vé­cut De­mo­cri­tus qu’on l’estimait fu­rieux ? À grand-peine So­crates a pu avoir ré­pu­ta­tion. Com­bien de temps fut Rome à connaître Ca­ton ? Elle le chassa et ne le connut que lorsqu’elle le per­dit. L’innocence et la vertu de Ru­ti­lius se­rait ca­chée si on ne lui eut fait in­jus­tice : mais quand il fut of­fensé, c’est lors qu’il re­lui­sit plus. [Ne] ren­dit-il pas grâces à sa for­tune et ne fut-il pas bien aise de son ban­nis­se­ment ? Je parle de ceux que la For­tune a ren­dus illustres en les vou­lant ac­ca­bler. Com­bien en voit-on des­quels le tra­vail et les œuvres ne sont ve­nus en connais­sance qu’après eux ! Com­bien en voit-on que la gloire n’a pas fa­vo­ri­sés du­rant leur vie, ains les va ar­ra­cher du tom­beau ! »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Ma­thieu de Chal­vet (XVIIe siècle)

« Com­bien de temps s’est passé que l’on te­nait De­mo­cri­tus pour fu­rieux et in­sensé ? À peine So­crates a-t-il ac­quis nom et ré­pu­ta­tion. Ca­ton a été lon­gue­ment in­connu entre les Ro­mains : ils l’ont re­buté et n’ont su quel per­son­nage c’était, si­non après l’avoir perdu. L’innocence et la vertu de Ru­ti­lius de­meu­re­rait en­se­ve­lie si on ne lui eut fait in­jure : en la vou­lant éteindre, on l’a fait pa­raître. [N’]a-t-il pas re­mer­cié sa for­tune et em­brassé son ban­nis­se­ment ? Je parle de ceux à qui la For­tune a donné lustre en les af­fli­geant. Com­bien d’hommes ver­tueux ont été connus après ceux-là ! Que de gens ti­rés du tom­beau par la re­nom­mée ! »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Si­mon Gou­lart (XVIe siècle)

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  1. Au­tre­fois tra­duit « Cent Vingt-quatre Épîtres, ou Di­vers Dis­cours phi­lo­so­phiques à Lu­ci­lius » ou « Épîtres ». Haut
  2. En la­tin Lu­cius Annæus Se­neca. Haut
  3. le comte Jo­seph de Maistre, « Œuvres com­plètes. Tome V. Les Soi­rées de Saint-Pé­ters­bourg (suite et fin) ». Haut
  4. René Waltz, « Vie de Sé­nèque » (éd. Per­rin, Pa­ris), p. 160. Haut
  1. « De la constance du sage », ch. XV, sect. 2. Haut
  2. « Lettres à Lu­ci­lius », lettre VIII, sect. 2. Haut
  3. Voyez « De la Pro­vi­dence », liv. I, ch. VI, sect. 2 de Sé­nèque : « Dé­mo­crite se dé­pouilla de ses ri­chesses, qui n’étaient à ses yeux qu’un far­deau pour le sage ». Ce fut sans doute à cause de ce dés­in­té­res­se­ment poussé si loin que, se­lon les mots de La Fon­taine :

    « Son pays le crut fou : pe­tits es­prits ! Mais quoi ?
    Au­cun n’est pro­phète chez soi.
    Ces gens étaient les fous, Dé­mo­crite — le sage
     » (« Dé­mo­crite et les Ab­dé­ri­tains »). Haut

  4. « Pres­ser » au sens d’« ac­ca­bler, op­pri­mer, op­pres­ser ». Haut