Il s’agit de « L’Etna » (« Ætna »), poème scientifique, qui décrit et explique les causes naturelles des divers phénomènes physiques que présente le célèbre volcan de ce nom (Ier siècle apr. J.-C.). On ne sait pas précisément qui en est l’auteur. On lit dans Sénèque (« Lettres à Lucilius », lettre LXXIX) que Virgile, Ovide et Cornelius Severus ont écrit successivement sur l’Etna. Il est possible d’attribuer le poème à l’un de ces grands noms. Toutefois, dans le même passage, Sénèque invite Lucilius le Jeune (Lucilius Junior), son ami et son correspondant, à profiter de sa tournée administrative en Sicile pour « aborder [lui] aussi une matière qui attire tous les poètes » et insiste sur les excellentes dispositions où est ce dernier, à la fois par ses penchants philosophiques et littéraires et par ses connaissances locales sur la Sicile, pour traiter du majestueux rival du Vésuve. Cela concourt à le faire accepter comme l’auteur. Sénèque ne lui dit-il pas : « Je ne te connais pas, ou l’Etna te fait déjà venir l’eau à la bouche : tu aspires à composer quelque grand ouvrage égal à ce qu’ont produit tes devanciers » ? « L’Etna » compte, selon les éditions, de 640 à 648 vers hexamètres, écrits avec une rare précision de style. Postérieur d’un demi-siècle aux « Astronomiques », il procède à peu près du même esprit. Comme Manilius, l’auteur de « L’Etna » est un homme dur pour les fables menteuses répandues par les poètes : « D’abord, qu’on ne se laisse pas abuser par les fictions des poètes » (« Principio, ne quem capiat fallacia vatum ») ; « c’est en vain que j’essayerais d’expliquer la cause de chaque phénomène, si vous persistez dans une opinion mensongère » (« frustra certis disponere singula causis tentamus, si firma manet tibi fabula mendax »). Il veut donc des faits, rien que des faits, mais des faits bien avérés ; il s’y passionne. Comme Lucrèce, il chante « la délicieuse volupté » (« jucunda voluptas ») de la certitude scientifique, la joie triomphale de la découverte : « Toutes ces merveilles qui frappent nos yeux dans ce vaste Univers, ne pas les laisser dispersées et confondues dans la masse des phénomènes, mais les observer, les classer par leur caractère distinctif : voilà pour l’esprit un plaisir délicieux et divin ». Enfin, il déplore que nous autres, mortels, nous nous tourmentions misérablement pour des riens, nous supportions mille fatigues dans le vain espoir de faire fortune, alors que « chose honteuse ! les sciences qui… enseignent le vrai sont réduites au silence et délaissées comme indifférentes ou stériles ».
Comme Lucrèce, il chante « la délicieuse volupté » (« jucunda voluptas ») de la certitude scientifique
« On reprochera peut-être à [Lucilius] d’avoir eu… recours à la divinité, après avoir promis de rendre raison des embrasements du mont Etna et d’en expliquer les causes physiques… Mais si l’on veut bien y faire quelque attention, on verra que le poète, en… ces endroits, remonte à la cause première ; qu’il reconnaît que la matière qui sert à entretenir les feux du mont Etna ne s’est point formée toute seule, et qu’elle ne peut être sa propre cause à elle-même… ; le poète reconnaît en un mot qu’il y a un Être souverain, dont la Providence prend soin de tout et dirige l’Univers. N’est-ce pas là juger de la nature de la cause première par la nature de l’effet qui en résulte ? Et pourrait-on [fustiger] un philosophe païen qui, en étudiant avec soin les causes physiques des merveilles de la nature, rend hommage à la main divine qui y préside ? Pour moi — j’ose le dire — ce sont ces traits qui doivent rendre [Lucilius] plus estimable », dit Accarias de Sérionne.
Il n’existe pas moins de sept traductions françaises de « L’Etna », mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle de Chenu.
« Non oculis solum pecudum miranda tueri
More nec effusos in humum grave pascere corpus,
Nosse fidem rerum, dubiasque exquirere causas,
Ingenium sacrare (var. Sacra perurgentem) caputque attollere cælo ;
Scire quot et quæ sint magno natalia mundo
Principia ; occasus metuunt ? ad sæcula pergunt ?
Et firma æterno religata est machina vinclo ? ;
Solis scire modum, et quanto minor orbita Lunæ est ;
Hæc brevior cur sic bissenos (var. cur bissenos cita) pervolet orbes,
Annuus ille meet… »
— Passage dans la langue originale
« L’homme ne doit pas, comme la brute, contempler des yeux seulement ces objets merveilleux, et couché sur la terre, se borner à satisfaire de grossiers appétits. Il doit se rendre raison des faits, en chercher les causes encore peu connues ; pénétrer ces mystères sacrés, et lever sa tête jusqu’aux cieux ; savoir le nombre et la nature des éléments dont se composait dans le principe ce vaste Univers ; si les siècles auront une fin, ou s’ils dureront toujours, et si cette immense machine est assujettie par un lien éternel ; connaître les mouvements du Soleil, et combien est moindre l’orbite de la Lune ; pourquoi celle-ci, dans sa courte révolution, parcourt douze fois un cercle que celui-là n’achève que dans l’année… »
— Passage dans la traduction de Chenu
« Ne pas se borner, comme les animaux, à contempler du regard ces merveilles ni, en se penchant vers le sol, à repaître son corps alourdi ; se rendre un compte réel des choses et en rechercher les causes incertaines ; sanctifier son intelligence et dresser sa tête vers les cieux ; savoir le nombre et la nature des éléments qui ont formé le monde à l’origine ; ont-ils une fin à redouter ? existeront-ils dans la suite des siècles ? et la machine du monde est-elle soutenue par des liens éternels ? ; connaître le mouvement du Soleil, savoir pourquoi la Lune, avec sa marche d’autant plus courte que son orbite est moindre, accomplit douze fois par an sa révolution, alors que le Soleil ne l’accomplit qu’une fois… »
— Passage dans la traduction de Jules Vessereau, 2e version (éd. Les Belles Lettres, Paris)
« Ne pas se borner, comme les animaux, à contempler du regard des merveilles, à satisfaire, étendus sur le sol, les grossiers appétits du corps ; se rendre un compte réel des choses et en rechercher les causes incertaines ; sanctifier son intelligence et dresser sa tête jusque dans les cieux ; savoir le nombre et la nature des éléments qui ont formé l’Univers à l’origine ; ont-ils une fin à redouter ? existeront-ils dans la suite des siècles ? et la machine du monde est-elle soutenue par des liens éternels ? ; connaître le mouvement du Soleil, savoir pourquoi la Lune, avec sa marche d’autant plus courte que son orbite est moindre, accomplit douze fois par an sa révolution, alors que le Soleil ne l’accomplit qu’une fois… »
— Passage dans la traduction de Jules Vessereau, 1re version (éd. A. Fontemoing, Paris)
« L’homme ne doit pas, comme la bête, voir seulement des yeux les merveilles de la nature, et les attachant à la terre, ne songer qu’à nourrir son corps. Il peut s’assurer de l’existence des choses, éclaircir ses doutes, sonder les plus profonds mystères, lever la tête au ciel et connaître le nombre, l’essence des éléments, s’ils annoncent à l’Univers sa fin, aux siècles leur durée, et s’il doit être éternel le lien qui tient unie toute la machine du monde. Il peut apprendre quel est le mouvement du Soleil, combien est inférieur l’orbite1 de la Lune, pourquoi celle-ci, dans sa marche rapide, parcourt douze fois un cercle que celui-là n’achève que dans l’année… »
— Passage dans la traduction de l’abbé … Delutho (XIXe siècle)
« C’est un grand avantage à l’homme de ne pas voir seulement des yeux, comme les animaux, les merveilles de la nature ; de n’être point comme eux courbé vers la terre et occupé du seul soin du corps ; mais de pouvoir pénétrer les causes de ce qui arrive, d’en approfondir les plus cachées ; de s’attacher aux objets les plus sublimes, et porter sa vue jusques dans le ciel ; de connaître la nature, le nombre des éléments, et de prévoir si leur dissolution n’entraînera pas la ruine entière de l’Univers, ou si le cours des siècles doit toujours durer, et si les liens qui font subsister la machine du monde seront éternels ; de savoir quel est le mouvement du Soleil, de combien l’orbite de la Lune est plus petit que celui de cet astre ; pourquoi celle-ci se hâte de parcourir la Terre douze fois en un an, pendant que le Soleil ne la parcourt qu’une seule fois… »
— Passage dans la traduction de Jacques Accarias de Sérionne (XVIIIe siècle)
« C’est pour l’homme un grand avantage de ne pas voir seulement des yeux, comme les animaux, les merveilles de la nature ; de n’être point comme eux courbé vers la terre et occupé du seul soin du corps ; mais de pouvoir pénétrer les causes de ce qui arrive, d’en approfondir les plus cachées ; de s’attacher aux objets les plus sublimes, de porter la vue jusque dans le ciel ; de connaître la nature et le nombre des éléments, et de savoir si leur dissolution n’entraînera pas la ruine entière de l’Univers, si le cours des siècles doit toujours durer, si les liens qui font subsister la machine du monde seront éternels ; quel est le mouvement du Soleil, de combien l’orbite de la Lune est plus petit que celui de cet astre ; pourquoi celle-ci se hâte de parcourir la Terre douze fois en un an, pendant que le Soleil ne la parcourt qu’une seule fois… »
— Passage dans la traduction de Jacques Accarias de Sérionne, revue par Charles Nisard (XIXe siècle)
« Et regardant ceci, c’est peu d’être étonnés,
Comme les animaux qui toujours, de leur nez
Et de leurs yeux baissés, ne cherchent que la terre ;
Mais c’est un grand plaisir que l’esprit se resserre
Pour s’ouvrir aux objets qui lui sont présentés,
Les regardant au fond et de tous les côtés,
Étant divinement infus pour bien connaître
Les raisons du sensible et de ce qui peut être.
Levons la tête en haut pour contempler le ciel,
Regardant le formel dans le matériel.
Sachons quels sont aussi les principes du monde
S’il ne s’en trouve qu’un dans la machine ronde ;
Comment, si de plusieurs, la crainte de tomber
Les empêche si bien entre eux de succomber ?
Comment dans l’Univers la machine éternelle
Est tellement unie et d’accord avec elle,
Que rien ne peut changer ses liens mutuels,
Rien ne les saurait rompre, étant perpétuels ?
Connaître quelle borne au Soleil est prescrite,
Que celle de la Lune est beaucoup plus petite,
Puisqu’elle fait son cours douze fois en un an
Contre une seule fois de celui de Titan2,
Du Soleil dont la course est d’une année entière ? »
— Passage dans la traduction de l’abbé Michel de Marolles (XVIIe siècle)
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- Stanislas Bormans, « Collation des 167 premiers vers de l’“Ætna” de Lucilius Junior » (XIXe siècle) [Source : Google Livres]
- Louis Delatte, « Lucilius, l’ami de Sénèque » dans « Les Études classiques », vol. 4, p. 367-385 & 546-590
- René Pichon, « Histoire de la littérature latine, 9e édition » (éd. Hachette, Paris) [Source : Google Livres].
- Ce traducteur et le suivant font le mot « orbite » masculin. L’emploi du mot au féminin est meilleur et a fini par l’emporter, puisqu’« orbite » n’est que la transcription du féminin « orbita ».
- Il faut admettre que ce traducteur s’écarte de la mythologie traditionnelle et qu’il fait du Soleil un Titan, à l’exemple du poète Virgile dans ces deux vers de « L’Énéide » : « dès que le Titan se lèvera, et que ses rayons dégageront le monde de son voile d’ombre » (« ubi primos crastinus ortus / extulerit Titan radiisque retexerit orbem »).