Il s’agit de l’anthologie « Ogura Hyakunin Isshu » 1, plus connue sous le titre abrégé de « Hyakunin Isshu » 2 (« De cent poètes un poème » 3). Peu de recueils ont joui et jouissent toujours au Japon d’une vogue égale à celle de l’anthologie « Hyakunin Isshu ». On en attribue la paternité à l’aristocrate Fujiwara no Teika. Dans un journal qu’il a tenu tout au long de sa vie, le « Meigetsu-ki » 4 (« Journal de la lune claire » 5), en date du 27 mai 1235, Teika dit avoir calligraphié cent morceaux sur des papiers de couleur pour en décorer les cloisons mobiles d’une maison de campagne à Ogura. Le plus étonnant est que ces cent poèmes ont fini par devenir le recueil familier de chaque maison japonaise. Dès la fin du XVIIe siècle, en effet, nous les voyons employés comme livre pour éduquer les jeunes filles, en même temps que comme jeu pour amuser la famille en général. Ce jeu de « cartes poétiques » (« uta-garuta » 6) consiste à deviner la fin d’un poème que récite un meneur : « On prend pour cela un paquet de deux cents cartes [tirées du] “Hyakunin Isshu”. Cent de ces cartes portent, chacune, un poème différent — ce sont des “waka”, odes de trente et une syllabes composées par des poètes et des poétesses célèbres d’autrefois — et, en général, le portrait de l’auteur : elles servent à la lecture à haute voix. Les cent autres cartes ne portent que les deux derniers vers de chaque poème : elles servent au jeu proprement dit. L’un des joueurs lit un “waka”, et les autres se penchent sur les cartes rangées à même le tatami ou natte de paille, en scrutant le tas pour s’emparer rapidement de celle qui correspond au poème qu’on vient de lire », explique M. Shigeo Kimura 7.
ces cent poèmes ont fini par devenir le recueil familier de chaque maison japonaise
Aujourd’hui encore, tous les enfants japonais ou presque, pour peu qu’ils aient reçu quelque instruction, connaissent par cœur des poèmes du « Hyakunin Isshu » et se font un plaisir de les réciter. Cela ne veut pas dire, pour autant, qu’ils en comprennent pleinement les subtilités, ni même la signification, étant donné que les Empereurs, les dames de Cour, les ministres, les nobles qui en sont les auteurs ont vécu voilà dix, onze siècles : « Mais il en reste au moins le rythme [et] une certaine musicalité, car il ne faut pas oublier que le “waka”, le poème de langue japonaise — par opposition au “kanshi”, de langue chinoise — est avant tout un chant, “uta”. Il en reste aussi et surtout, [à travers] la connaissance de quelques centaines de mots, la plupart toujours usités, pris dans leur [sens] ancien, voire archaïque, la persistance de quelques dizaines d’images liées à la succession des quatre saisons », dit M. René Sieffert 8. Bref, si tous les Japonais sont poètes peu ou prou, c’est au « Hyakunin Isshu » qu’ils le doivent d’abord. Ce sont les images raffinées qu’il leur montre qui les poussent en pèlerinage au Fuji, aux cerisiers de Yoshino, aux érables d’Ogura, s’asseyant sous les arbres en fleur, célébrant la beauté de l’heure brève, alors même qu’au Japon, comme ailleurs, la modernisation étouffe les épanchements de cette sorte.
Il n’existe pas moins de quatre traductions françaises du « Hyakunin Isshu », mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle de M. René Sieffert.
「花さそふ
嵐の庭の
雪ならで
ふりゆくものは
わが身なりけり」— Poème dans la langue originale
« Ce n’est point la neige
De fleurs que sur mon jardin
Répand la tourmente
Mais celle que les années
Ont déposée sur ma tête »
— Poème dans la traduction de M. Sieffert
« Qui neige, emporté au jardin des Tempêtes ?
Des fleurs ? Ou mon corps qui s’en va ? »
— Poème dans la traduction de MM. René de Ceccatty et Ryôji Nakamura (dans « Mille Ans de littérature japonaise », éd. Ph. Picquier, coll. Picquier poche, Arles)
« La neige qui tombe n’est point celle des fleurs emportées par la tempête ; c’est celle de mes années. »
— Poème dans la traduction de Léon de Rosny (dans « Anthologie japonaise : poésies anciennes et modernes des insulaires du Nippon », XIXe siècle)
« Ce n’est pas seulement la neige
Du jardin, où la tempête
Entraîne les fleurs :
Ce qui tombe et passe,
C’est moi-même. »
— Poème dans la traduction de Michel Revon (dans « Anthologie de la littérature japonaise : des origines au XXe siècle », éd. Ch. Delagrave, coll. Pallas, Paris)
Téléchargez ces œuvres imprimées au format PDF
- Édition et traduction partielles de Léon de Rosny (1871) [Source : Americana]
- Édition et traduction partielles de Léon de Rosny (1871) ; autre copie [Source : Google Livres]
- Édition et traduction partielles de Léon de Rosny (1871) ; autre copie [Source : Google Livres]
- Édition et traduction partielles de Léon de Rosny (1871) ; autre copie [Source : Google Livres]
- Édition et traduction partielles de Léon de Rosny (1871) ; autre copie [Source : Bibliothèque nationale de France]
- Édition et traduction partielles de Léon de Rosny (1871) ; autre copie [Source : Google Livres]
- Édition et traduction partielles de Léon de Rosny (1871) ; autre copie [Source : Bibliothèque nationale de France]
- Édition et traduction partielles de Léon de Rosny (1871) ; autre copie [Source : Google Livres]
- Édition et traduction partielles de Léon de Rosny (1871) ; autre copie [Source : Hong Kong University Libraries (HKUL)]
- Traduction partielle de Michel Revon (1923) [Source : Google Livres]
- Traduction partielle de Michel Revon (1918) [Source : Google Livres]
- Traduction partielle de Michel Revon (1910) [Source : Bibliothèque nationale de France].
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Louis Aubert, « Hokusaï » dans « La Revue de Paris », vol. 20, nº 1, p. 721-753 [Source : Bibliothèque nationale de France]
- Shigeo Kimura, « Un Menu symbolique et délicieux » dans « Le Courrier de l’UNESCO », vol. 8, nº 12, p. 22-24 [Source : UNESCO]
- René Sieffert, « Fujiwara no Teika ou Sadaie (1162-1241) » dans « Encyclopædia universalis » (éd. électronique).
- En japonais « 小倉百人一首 ».
- En japonais « 百人一首 ». Autrefois transcrit « Hyakou-nin-is-syou » ou « Hyakouninn-isshou ».
- Parfois traduit « Cent poésies par cent poètes », « De cent hommes une poésie », « De cent hommes chacun un poème » ou « Collection des cent poètes ».
- En japonais « 明月記 », inédit en français. Autrefois transcrit « Méighétsou-ki ».