« Le “Kojiki”, Chronique des choses anciennes »

éd. G.-P. Maisonneuve et Larose, coll. Références, Paris

éd. G.-P. Mai­son­neuve et La­rose, coll. Ré­fé­rences, Pa­ris

Il s’agit du «Ko­jiki» 1Chro­nique des choses an­ciennes»), le plus vieux mo­nu­ment de la . «[C’est] une confuse, une es­pèce de re­cueil de et de tra­di­tions, conte­nant vrai­sem­bla­ble­ment, au mi­lieu d’une naïve et em­brouillée, quelques par­celles de his­to­rique», dit Paul Clau­del 2. Pro­jeté dès le VIIe siècle et mené à terme au VIIIe siècle apr. J.-C., le «Ko­jiki» est l’ouvrage qui dé­crit le mieux la in­di­gène du ; car le de mettre en avant le passé na­tio­nal, qui a pré­sidé à sa ré­dac­tion, fait peu de place à l’arrivée du et du . On peut donc le consi­dé­rer comme le livre ca­no­nique de la re­li­gion shintô, en même que l’épopée d’une in­su­laire qui a tou­jours aimé à se rap­pe­ler ses . Les faits et gestes my­thiques des s’y mêlent à l’ réelle des pre­miers , sou­vent re­ma­niée dans le des­sein de raf­fer­mir l’autorité du trône im­pé­rial et de pro­fes­ser la doc­trine du di­vin. Parmi toutes les croyances que l’on dé­couvre en li­sant le «Ko­jiki», la plus si­gni­fi­ca­tive est la en­vers les «ka­mis» 3, qui sont les dif­fé­rentes di­vi­ni­tés du et de la qu’on trouve dans le shin­toïsme. Non seule­ment des êtres hu­mains, mais aussi des cerfs et des loups, des et des — tout ce qui sort de l’ordinaire et qui est su­pé­rieur, tout ce qui nous ins­pire l’ s’appelle «kami» : le , par exemple, en tant que source de , per­son­ni­fié par Grande-Au­guste-Kami-Illu­mi­nant-le-Ciel; ou les , sou­vent ceux de grande taille ou d’une forme par­ti­cu­lière, qui sont dou­ble­ment sa­crés en tant que «ka­mis» et en tant que lieux de ré­si­dence pour les «ka­mis». «Rien de plus net­te­ment océa­nien et de plus étran­ger à l’esprit mo­ra­li­sa­teur et pé­dan­tesque des », dit Paul Clau­del 4. «Dès ce mo­ment, s’affirme l’originalité pro­fonde de cet es­prit et de cet art qu’on a si sot­te­ment contes­tée.»

le livre ca­no­nique de la re­li­gion shintô

Pen­dant des siècles, ce do­cu­ment d’une va­leur in­es­ti­mable pour la connais­sance de la pé­riode ar­chaïque resta dans l’ombre, né­gligé par les éru­dits ja­po­nais, et il ne fut vrai­ment re­dé­cou­vert et porté au pi­nacle qu’au XVIIIe siècle par les pro­mo­teurs du mo­derne, tels que Mo­toori No­ri­naga 5 et Hi­rata At­su­tane 6. Il de­vint entre leurs mains une for­mi­dable ma­chine et mi­li­taire; ces , en fi­nis­sant par ne plus en­sei­gner qu’une aveugle obéis­sance aux ordres de l’Empereur, trans­for­mèrent la re­li­gion shintô en un moyen de ré­duire le à un état presque com­plet d’. «À la suite de [leurs] pro­cla­ma­tions», ex­plique un his­to­rien 7, «le fon­de­ment de l’État ja­po­nais fut jeté d’une fa­çon in­ébran­lable, et une hié­rar­chie pri­mor­diale s’établit entre l’Empereur et ses su­jets. Ce ne sont que les des­cen­dants di­rects de la “kami” du so­leil qui ont le droit de mon­ter sur le trône im­pé­rial du Ja­pon, et ainsi de jouir de l’autorité ab­so­lue de l’État… So­cio­lo­gi­que­ment, la na­tion ja­po­naise s’est dé­ve­lop­pée de la souche com­mune de ce qu’on ap­pelle “la tribu cé­leste”, di­ri­gée par la Grande-Au­guste-Kami-Illu­mi­nant-le-Ciel, et les des­cen­dants di­rects de la “kami” étaient des­ti­nés, par le rap­port pri­mor­dial et spon­tané du , à as­su­mer le sceptre du sou­ve­rain». L’écrivain Aki­nari Ueda fut le pre­mier ad­ver­saire de ces théo­ries, qu’il n’hésita pas à qua­li­fier de «sot­tises de rus­tiques iso­lés» et de «bo­ni­ments de », avant d’ajouter : «Dans tout pays, l’esprit du na­tio­na­lisme est sa puan­teur» 8.

Il n’existe pas moins de quatre tra­duc­tions fran­çaises du «Ko­jiki», mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de M. Ma­sumi Shi­bata et Mme Ma­ryse Shi­bata.

「於是其弟,泣患居海邊之時,鹽椎神來,問曰:『何虛空津日高之泣患所由?』答言:『我與兄易鉤而,失其鉤.是乞其鉤故,雖償多鉤,不受,云:『猶欲得其本鉤』.故,泣患之』.爾鹽椎神,云:『我爲汝命,作善議』.」

 Pas­sage dans la ori­gi­nale

«Alors que le jeune frère de­meu­rait en san­glots sur la plage, Kami-Es­prit-du-Cou­rant-Ma­rin vint et lui de­manda : “Pour­quoi le prince du ciel pleure-t-il?” Il lui ré­pon­dit : “Mon frère aîné et -même avions échangé nos ins­tru­ments et j’ai perdu son ha­me­çon. Il me le ré­clama, et je lui en ai donné plu­sieurs en com­pen­sa­tion. Mais, les re­fu­sant, il me dit qu’il vou­lait l’ancien. C’est pour­quoi je pleure”. Kami-Es­prit-du-Cou­rant-Ma­rin lui dit : “Je dres­se­rai un bon plan pour vous, Ma­jesté”.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de M. et Mme Shi­bata

«Alors que le frère ca­det pleu­rait et se la­men­tait sur la plage, Shi­hot­su­chi-no-kami vint et lui de­manda : “So­ratsu-hiko, quelle est la de vos et de vos la­men­ta­tions?”. Il ré­pon­dit : “Mon frère aîné et moi avons échangé nos ha­me­çons, et j’ai perdu le sien. Comme il ré­cla­mait après son ha­me­çon, je lui ai of­fert en com­pen­sa­tion de nom­breux ha­me­çons, mais il ne les ac­cepta point, di­sant : ‘C’est tou­jours l’hameçon ori­gi­nel que je veux’. C’est pour cela que je pleure et me la­mente”. Alors, Shi­hot­su­chi-no-kami dit : “Je vais vous in­di­quer un bon moyen”.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de M. Jean- Ber­thon (dans «Re­li­gions, croyances et tra­di­tions po­pu­laires du Ja­pon», éd. Mai­son­neuve et La­rose, coll. École pra­tique des hautes études-Centre d’études sur les re­li­gions et tra­di­tions po­pu­laires du Ja­pon, Pa­ris, p. 153-155)

«Ce­pen­dant que le ben­ja­min se la­men­tait,
Pleu­rant sur le ri­vage, le Su­pé­rieur Maître-du-Sel
Vint et lui de­manda : “Pour­quoi
Pleures-tu ainsi, Prince-So­leil-des-Huit?”
L’autre dit : “J’ai reçu de mon frère un ha­me­çon,
Mal­heu­reu­se­ment je l’ai perdu; et comme il me le ré­cla­mait
Ins­tam­ment je lui ai donné une mul­ti­tude d’hameçons,
Pour com­pen­ser — mais il ne les prit pas,
Il di­sait : ‘Je veux l’original!’
Voilà pour­quoi je pleure et me la­mente”.
Alors Maître-du-Sel lui dit : “Je vais
Don­ner un bon conseil à Votre Ma­jesté”.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion in­di­recte de M. Pierre Vin­clair («“Ko­jiki”, Chro­nique des faits an­ciens», éd. Le Cor­ri­dor , Amiens)

Icône Avertissement Cette tra­duc­tion n’a pas été faite sur l’original.

«Là-des­sus, comme le frère ca­det pleu­rait et se la­men­tait sur le ri­vage, le Vé­né­rable--des-Eaux-sa­lées vint et l’interrogea, di­sant : “Pour quelle cause (le prince) Haut-comme-le-So­leil-du-ciel pleure-t-il et se la­mente-t-il ainsi?” Il ré­pon­dit, di­sant : “J’avais échangé un ha­me­çon avec mon frère aîné, et j’ai perdu cet ha­me­çon; et comme il me le ré­cla­mait, je lui ai donné de nom­breux ha­me­çons en com­pen­sa­tion, mais il ne veut pas les re­ce­voir, di­sant : ‘J’ai be­soin de l’hameçon ori­gi­naire’. C’est pour cela que je pleure et me la­mente”. Alors le Vé­né­rable-dieu-des-Eaux-sa­lées dit : “Je vais don­ner un bon conseil à ton au­guste per­sonne”.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Mi­chel Re­von (dans « de la lit­té­ra­ture ja­po­naise : des ori­gines au XXe siècle», éd. Ch. De­la­grave, coll. Pal­las, Pa­ris)

Téléchargez ces enregistrements sonores au format M4A

Téléchargez ces œuvres imprimées au format PDF

Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  1. En ja­po­nais «古事記». Icône Haut
  2. «Ex­trême-Orient. Tome II», p. 396. Icône Haut
  3. En ja­po­nais . Icône Haut
  4. «Ex­trême-Orient. Tome II», p. 396. Icône Haut
  1. En ja­po­nais 本居宣長. Icône Haut
  2. En ja­po­nais 平田篤胤. Au­tre­fois trans­crit Hi­rata At­sou­tané. Icône Haut
  3. Chi­kao Fu­ji­sawa. Icône Haut
  4. En ja­po­nais «どこの国でも其国のたましいが国の臭気也». Icône Haut