Il s’agit du « Kojiki »1 (« Chronique des choses anciennes »), le plus vieux monument de la littérature japonaise. « [C’est] une épopée confuse, une espèce de recueil de folklore et de traditions, contenant vraisemblablement, au milieu d’une cosmogonie naïve et embrouillée, quelques parcelles de vérité historique », dit Paul Claudel2. Projeté dès le VIIe siècle et mené à terme au VIIIe siècle apr. J.-C., le « Kojiki » est l’ouvrage qui décrit le mieux la religion indigène du Japon ; car le désir de mettre en avant le passé national, qui a présidé à sa rédaction, fait peu de place à l’arrivée du bouddhisme et du confucianisme. On peut donc le considérer comme le livre canonique de la religion shintô, en même temps que l’épopée d’une nation insulaire qui a toujours aimé à se rappeler ses origines. Les faits et gestes mythiques des dieux s’y mêlent à l’histoire réelle des premiers Empereurs, souvent remaniée dans le dessein de raffermir l’autorité du trône impérial et de professer la doctrine du droit divin. Parmi toutes les croyances que l’on découvre en lisant le « Kojiki », la plus significative est la vénération envers les « kamis »3, qui sont les différentes divinités du ciel et de la terre qu’on trouve dans le shintoïsme. Non seulement des êtres humains, mais aussi des cerfs et des loups, des lacs et des montagnes — tout ce qui sort de l’ordinaire et qui est supérieur, tout ce qui nous inspire l’émerveillement s’appelle « kami » : le soleil, par exemple, en tant que source de vie, personnifié par Grande-Auguste-Kami-Illuminant-le-Ciel ; ou les arbres, souvent ceux de grande taille ou d’une forme particulière, qui sont doublement sacrés en tant que « kamis » et en tant que lieux de résidence pour les « kamis ». « Rien de plus nettement océanien et de plus étranger à l’esprit moralisateur et pédantesque des Chinois », dit Paul Claudel4. « Dès ce moment, s’affirme l’originalité profonde de cet esprit et de cet art japonais qu’on a si sottement contestée. »
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Akinari, « Contes de pluie et de lune, “Ugetsu-monogatari” »
Il s’agit de contes fantastiques d’Akinari Ueda1, la figure la plus attachante de la littérature japonaise du XVIIIe siècle. Fils d’une courtisane et d’un père inconnu, le jeune Akinari mena quelque temps une vie dissolue, avant de rencontrer le philologue Katô Umaki2, de séjour à Ôsaka. Il se mit aussitôt à l’école de celui qui devint pour lui le maître et l’ami. Ce fut une révélation : « Le maître passait ses heures de loisir près de ma demeure. Au hasard des questions que je lui posais sur des mots anciens, nous en vînmes à parler du “Dit du genji”. Je lui posai çà et là quelques questions, puis je copiai en regard du texte ma traduction en termes vulgaires ; comme je lui exposais en outre ma propre façon de comprendre, il sourit avec un signe d’approbation… Je lui demandai sept ans des renseignements par lettres »3. Le résultat de cette liaison fut d’élever peu à peu les horizons d’Akinari ; de le détourner des succès faciles qu’il avait obtenus jusque-là pour le conduire à cet art véritable qu’il conquerra, la plume à la main, dans son « Ugetsu-monogatari »4 (« Dit de pluie et de lune »). Par « ugetsu », c’est-à-dire « pluie et lune », Akinari fait allusion au calme après la pluie, quand la lune se couvre de brumes — temps idéal pour les spectres et les démons qui peuplent ses contes. Par « monogatari », c’est-à-dire « dit », Akinari indique qu’il renoue par son grand style, par sa manière noble et agréable de s’exprimer, avec les lettres anciennes de la Chine et du Japon. « L’originalité, dans l’“Ugetsu-monogatari”, réside, en effet, dans le style d’Akinari, même quand il traduit, même lorsqu’il compose — comme c’est le cas pour la “Maison dans les roseaux” — des paragraphes entiers avec des fragments glanés dans les classiques les mieux connus de tous. Dans le second cas, le plaisir du lecteur japonais est parfait : il y retrouve à profusion les allusions littéraires dont il est friand, mais il les retrouve dans un agencement nouveau qui leur rend une intensité inattendue, de telle sorte que, sous le pinceau d’Akinari, les poncifs les plus éculés se chargent d’une signification nouvelle », dit M. René Sieffert