Lessing, « Dramaturgie de Hambourg »

éd. Klincksieck, coll. Germanistique, Paris

éd. Klinck­sieck, coll. Ger­ma­nis­tique, Pa­ris

Il s’agit de la « de Ham­bourg» («Ham­bur­gische Dra­ma­tur­gie») de , écri­vain hos­tile aux conven­tions en vogue, aux pré­ju­gés de classe, à l’esprit de ser­vi­lité et de rou­tine, à tout ce qui pa­ra­ly­sait le (XVIIIe siècle). Sans être le plus grand d’entre les plus grands, ce­lui qui a mé­rité que Henri Heine dise de lui : «Les­sing, de tous les , est ce­lui que je ché­ris le plus» 1 a cer­tai­ne­ment le d’être consi­déré comme l’un des de cette triom­phante où, se­lon le mot de la ba­ronne de Staël 2, «[même] les du se­cond et du troi­sième ordre ont en­core des connais­sances as­sez ap­pro­fon­dies pour être ailleurs». Il fut tour à tour phi­lo­sophe, , tra­duc­teur, dra­ma­turge, fa­bu­liste, se­cré­taire d’un gé­né­ral, bi­blio­thé­caire d’un duc, ou­vrant dans toutes les di­rec­tions des voies nou­velles, pour­sui­vant par­tout la . Car Les­sing eut une pas­sion pour la vé­rité. Il la cher­cha «avec ca­rac­tère, avec éner­gique constance», comme dit Gœthe 3, et il eut même plus de à la cher­cher qu’à la trou­ver, comme le chas­seur qui prend plus de plai­sir à cou­rir le lièvre qu’à l’attraper. «Si », dit Les­sing 4, «te­nait dans sa main droite toutes les vé­ri­tés et dans sa main gauche l’effort in­fa­ti­gable vers la vé­rité… et qu’il me di­sait : “Choi­sis!”, je m’inclinerais avec déses­poir vers sa main gauche, en lui di­sant : “Père, donne! La pure vé­rité n’est que pour toi seul!”» Tel Lu­ther, Les­sing fut un éman­ci­pa­teur, qui ne se conten­tait pas de sa per­son­nelle, mais qui sou­hai­tait éga­le­ment celle de ses lec­teurs. Il pen­sait tout haut de­vant eux et leur don­nait en­vie de pen­ser. Il es­ti­mait qu’ils étaient non moins ha­biles que lui à gé­rer leurs opi­nions et leurs goûts. «La li­berté fut l’ de tous ses ou­vrages; on ci­te­rait dif­fi­ci­le­ment une ligne de lui qui ne vise quelque ser­vi­tude», ex­plique Vic­tor Cher­bu­liez 5. En , il lutta pour l’avènement d’une re­li­gion hu­ma­ni­taire et uni­ver­selle. Il ima­gina une grande hu­maine, une de tous les croyants unis plu­tôt dans la pra­tique de la que dans celle du culte. En lit­té­ra­ture, il af­fran­chit son pays de la ri­gi­dité, de l’imitation ser­vile. Jusque-là, on n’avait joué sur la scène al­le­mande que des de pièces fran­çaises, elles-mêmes imi­tées du ; il fit voir le ri­di­cule de cette fausse , em­prun­tée de se­conde main. Il contri­bua au contraire à ré­vé­ler au pu­blic les tra­gé­dies de Sha­kes­peare, dont le ca­rac­tère ter­rible avait in­fi­ni­ment plus de rap­port avec ce­lui des Al­le­mands. Il as­sura que Sha­kes­peare seul pou­vait sus­ci­ter un ori­gi­nal et po­pu­laire; et que, si Sha­kes­peare igno­rait Aris­tote, que Cor­neille avait si bien étu­dié, des deux tra­gé­diens c’est Sha­kes­peare qui l’avait le mieux suivi! Ce­pen­dant, quels que fussent les pa­ra­doxes aux­quels Les­sing se laissa en­traî­ner par l’ardeur et par les né­ces­si­tés de la contro­verse, il sema des neuves, des aper­çus fé­conds.

«il sera tou­jours un ins­pi­ra­teur, l’un de ces hé­ros de l’ qu’il est bon de fré­quen­ter»

«Les­sing fut un pro­di­gieux rai­son­neur», conclut Cher­bu­liez 6. «Rai­son­ner fut sa prin­ci­pale oc­cu­pa­tion et la joie sou­ve­raine de sa … S’il ne peut nous ser­vir d’oracle, il sera tou­jours un ins­pi­ra­teur, l’un de ces hé­ros de l’intelligence qu’il est bon de fré­quen­ter parce qu’on ap­prend d’eux… le de la . Quand l’esprit hu­main s’engourdit et me­nace de s’arrêter, il lui faut des Vol­taire et des Les­sing pour le re­mettre en mou­ve­ment… La contro­verse était pour Les­sing une sorte de gym­nas­tique dont il se trou­vait bien; [où] il re­trem­pait ses forces. Dans l’émotion d’une que­relle, son es­prit je­tait de plus vives clar­tés, il dis­po­sait plus li­bre­ment de ses idées, il se sen­tait vivre.»

Il n’existe pas moins de deux tra­duc­tions fran­çaises de la «Dra­ma­tur­gie de Ham­bourg», mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de M. Jean-Ma­rie Va­len­tin.

«Was man von dem Ho­mer ge­sagt hat, es lasse sich dem Her­kules eher seine Keule, als ihm ein Vers abrin­gen, das lässt sich voll­kom­men auch vom Sha­kes­peare sa­gen. Auf die ge­ring­ste von sei­nen Schön­hei­ten ist ein Stem­pel ge­druckt, wel­cher gleich der gan­zen Welt zu­ruft : “Ich bin Sha­kes­peares!”. Und wehe der frem­den Schön­heit, die das Herz hat, sich ne­ben ihr zu stel­len!»
— Pas­sage dans la ori­gi­nale

«Ce que l’on a dit à pro­pos d’Ho­mère — il se­rait plus aisé d’arracher sa mas­sue à Her­cule, que de lui re­tran­cher un vers —, on peut par­fai­te­ment le dire aussi de Sha­kes­peare. La moindre de ses beau­tés porte une marque qui crie au en­tier : “Je suis à Sha­kes­peare!”. Et mal­heur à la beauté ve­nue d’ailleurs qui a le cœur de se pla­cer à côté d’elle!»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de M. Va­len­tin

«On a dit d’ qu’il était plus dif­fi­cile de lui en­le­ver un vers, que d’arracher à Her­cule sa mas­sue; et l’on peut en dire au­tant de Sha­kes­peare. Le moindre trait de son gé­nie porte une em­preinte qui crie à tout le monde : “J’appartiens à Sha­kes­peare!”. Et mal­heur aux beau­tés étran­gères qui ont le cou­rage de se pla­cer à côté de celle-ci!»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion d’Édouard de Su­ckau, re­vue par Léon Crouslé (XIXe siècle)

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  1. Heine, «De l’Allemagne. Tome I», p. 204. Icône Haut
  2. Staël, «De l’Allemagne», part. 3, ch. VII. Icône Haut
  3. En al­le­mand «durch sei­nen Cha­rak­ter, durch sein Fes­thal­ten». Icône Haut
  1. «Eine Du­plik» («Une Du­plique»), in­édit en . Icône Haut
  2. «Études de lit­té­ra­ture et d’art», p. 20. Icône Haut
  3. id. p. 2-6. Icône Haut