Buzurg ibn Šahrîyâr, «Livre des merveilles de l’Inde»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit du «Livre des mer­veilles de l’Inde» («Ki­tâb ‘aǧâ’ib al-Hind» 1) at­tri­bué à Bu­zurg ibn Šah­riyâr al-Râm-Hur­muzî 2. L’auteur — un Per­san de Râm-Hur­muz 3 — a sillonné les côtes de l’Inde et de l’Insulinde en tant que ca­pi­taine de na­vire («nâḫudât»); mais la plu­part des faits qu’il nous rap­porte ont pour ga­rants d’autres ca­pi­taines de na­vire, maîtres de na­vi­ga­tion («mu‘allim») et pi­lotes de sa connais­sance. «On y trouve de la géo­gra­phie, de l’histoire na­tu­relle, de la fan­tai­sie…, des ré­cits de tem­pêtes et de nau­frages, des scènes d’anthropophagie, et — di­sons-le tout de suite comme aver­tis­se­ment aux per­sonnes fa­ciles à ef­fa­rou­cher — plu­sieurs traits de mœurs orien­tales, contés avec une fran­chise un peu crue» 4. De ce très riche fouillis, il se dé­gage en tout cent trente-quatre his­to­riettes que l’auteur dit avoir re­cueillies de la bouche même des na­vi­ga­teurs per­sans et arabes qui y ont joué le pre­mier rôle. Quelques-unes d’entre elles sont da­tées, et leurs dates s’échelonnent de 900 à 953 apr. J.-C. Il est per­mis d’en dé­duire que le re­cueil a été achevé en cette der­nière an­née ou peu après. Comme le titre de «Livre des mer­veilles de l’Inde» l’indique, et comme c’est presque tou­jours tou­jours le cas s’agissant d’anecdotes nées na­tu­relles dans la bouche de ma­rins, l’extraordinaire, le ter­rible, le mer­veilleux tient ici une place cen­trale. Les his­toires fa­bu­leuses de ser­pents géants et de peuples man­geurs d’hommes ne font donc pas dé­faut, et l’auteur fi­nit par­fois par lâ­cher : «À mon sens, c’est une rê­ve­rie sans fon­de­ment. Dieu seul connaît la vé­rité» 5. Mais il s’en trouve d’autres qui frappent par leur sim­pli­cité et leur ac­cent vé­ri­dique; car, à l’opposé des «Mille et une Nuits», elles peuvent se conclure par des re­vers de for­tune et des faillites : «Un bâ­ti­ment coule à fond en pleine mer, un autre est sub­mergé en vue du port; tel échoue et se brise sur les écueils, tel autre est frappé par la corne d’un nar­val. Ici, de tout un nom­breux équi­page nau­fragé, six ou sept hommes seule­ment se sauvent, par des moyens mi­ra­cu­leux, après avoir souf­fert mille morts. Là, un seul échappe aux flots pour tom­ber entre les mains d’un monstre à face hu­maine, d’un Po­ly­phème qui l’engraisse pour le dé­vo­rer» 6.

Il n’existe pas moins de deux tra­duc­tions fran­çaises du «Livre des mer­veilles de l’Inde», mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de Mar­cel De­vic.

«وحدثني من أقام بالهند زمانا، أن فيهم كهنة وأن فيهم من يخرج إلى الصحراء فيرى الطيور تطير في الهواء، فيخط في الأرض دائرة تحت الطيور، فلا تزال تدور في الجو فوق الخط إلى أن تقع فيه، ثم لا تخرج عنه البتة، فيدخل إلى جوف الخط ويأخذ منها ما يريد، ويطلق عن بقيتهم. وكذلك أيضا يرى في الصحراء طيورا ترعى فيخط حولها خطا بعيدا يدور عليها فما تبرح منه البتة، فيدخل إليها ويأخذ منها حاجته.»
— Pas­sage dans la langue ori­gi­nale

«Une per­sonne qui a sé­journé dans l’Inde m’a dit qu’il y a dans ce pays des char­meurs. Tel de ces char­meurs va dans la cam­pagne, et voyant des oi­seaux au haut des airs, il trace sur la terre un cercle au-des­sous d’eux. Les oi­seaux conti­nuent à vo­ler au-des­sus du cercle, fi­nissent par y tom­ber et n’en sortent plus. Le char­meur entre dans le cercle et en prend au­tant qu’il veut, puis met les autres en li­berté. De même, aper­ce­vant des oi­seaux qui paissent dans la plaine, il dé­crit au­tour d’eux un grand cercle qui les en­vi­ronne, et d’où ils ne peuvent s’échapper. Il y entre et en prend ce qu’il lui faut.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de De­vic

«Un homme qui avait ré­sidé un cer­tain temps dans l’Inde m’a rap­porté qu’ils ont des ma­gi­ciens, et que cer­tains d’entre eux vont à une plaine où ils puissent voir les oi­seaux en l’air : ils tracent sur le sol un cercle et de­puis lors ils ne cessent de tour­ner au-des­sus de la ligne qu’ils ont tra­cée jusqu’à ce qu’ils tombent en de­dans d’elle sans pou­voir en sor­tir : l’homme entre alors à l’intérieur de la ligne, en prend ce qu’il veut et re­lâche les autres. De même, s’il voit des oi­seaux paître dans la plaine, il trace une ligne au­tour d’eux, à une grande dis­tance; ils n’en peuvent sor­tir; il y entre et prend ce qu’il veut.»
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de M. Jean Sau­va­get («Les Mer­veilles de l’Inde» dans «Mé­mo­rial Jean Sau­va­get. Tome I», éd. Ins­ti­tut fran­çais de Da­mas, Bey­routh-Da­mas, p. 189-309)

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  1. En arabe «كتاب عجائب الهند». Au­tre­fois trans­crit «Kitāb ‘adjā’ib al-Hind» ou «Ki­tab al-ajaib al-Hind». Haut
  2. En per­san بزرگ بن شهریار رامهرمزی. Au­tre­fois trans­crit Bo­zorg fils de Chah­riyâr ou Bu­zurg b. Shah­riyār. Haut
  3. En per­san رامهرمز. Au­tre­fois trans­crit Râm­hor­moz, Ram-Hor­muz ou Ram­hor­mouz. Haut
  1. Mar­cel De­vic. Haut
  2. p. 173. Haut
  3. Mar­cel De­vic. Haut