Il s’agit d’une anthologie de la poésie ottomane. Dès la fixation des Turcs en Anatolie, deux poésies s’affrontent, dont la première finira par l’emporter à l’époque ottomane, mais dont la seconde triomphera entièrement dans la Turquie moderne : d’un côté, celle des seigneurs et des citadins, dont le but sera de transposer en un turc bourré d’arabe et de persan les manières littéraires de ces deux grandes langues musulmanes, dans des vers fondés sur la quantité longue et brève des syllabes ; de l’autre, celle des paysans et des nomades, peut-être moins savants, mais doués d’un sens plus vif de leur langue maternelle, souvent nourris de chansons populaires, qui entreprendront d’exprimer leur sensibilité et leur pensée selon le génie national, dans des vers fondés sur le seul nombre des syllabes. Les succès prestigieux, au XIVe siècle, du seigneur turc Othman, qui soumet avec le secours de l’islamisme toute l’Anatolie avant de se lancer à la conquête des Balkans et du Proche-Orient, ont pour conséquence inéluctable, en même temps qu’une centralisation du pouvoir, la réunion à la Cour de tous les poètes de renom, qui deviennent ainsi « des écrivains professionnels et courtisans, aristocrates et pédants, vivant en vase clos et de façon artificielle, coupés du reste de la nation » 1. Au XVIe siècle, avec l’apogée de l’Empire sous le règne du sultan Soliman coïncide, comme de juste, la maturité de la poésie ottomane, incarnée par Bâkî 2. Poète de génie, Bâkî doit à son seul talent une brillante réputation et une haute fortune ; car s’il débute sa vie comme fils d’un pauvre muezzin, il finit sa carrière comme vizir. « Ses ghazels — courts poèmes lyriques de ton généralement léger — où ce grave ecclésiastique chante l’amour et le vin en des termes qui nous surprennent, mais dont les commentateurs orthodoxes assurent qu’ils sont symboliques, sont parmi les plus célèbres » 3. Je leur préfère, cependant, la perfection classique de son « Oraison funèbre du sultan Soliman » 4, laquelle évoque avec un grand art cette période où l’Empire ottoman était sans doute le plus puissant du monde :
« Ô toi marqué par le sceau de la gloire,
L’air frémit à ton nom et la houle se soulève.
Ce jour où ta vie féconde a pris fin
Le pourpre du parterre, de feuilles mortes, s’est couvert…
Ô mortels, ô mortels, gardez vos cœurs purs,
Que cet illustre exemple vous tire de vos sommeils :
Ce lion des combats, cavalier mirifique
Dont le champ de courses était le monde
Trop étroit pour sa fougue ; dont le glaive aigu…
Avait Francs éblouis, le voyez-vous gisant ?
Terre reçut son front comme feuille qui se pose » 5.
Voici un passage qui donnera une idée du style de la poésie ottomane :
« Au torrent de nos pleurs donnons un libre cours :
Il n’est plus, le soutien, le flambeau de nos jours,
Le prince dont le nom embellissait nos rimes !
Ce monde est un bourreau qui cherche des victimes,
Et dont l’affreux plaisir est de tremper ses mains
Dans le sang des plus beaux, des plus purs des humains » 6.
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- Anthologie d’Édouard Servan de Sugny (1855) [Source : Google Livres]
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Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Krikor Jacob Basmadjian, « Essai sur l’histoire de la littérature ottomane » (éd. B. Balentz, Istanbul)
- Louis Bazin, « Littérature turque » dans « Histoire des littératures. Tome I » (éd. Gallimard, coll. Encyclopédie de la Pléiade, Paris), p. 915-938
- Jean Deny, « Littérature turque » dans « Encyclopédie universelle française. Tome I » (éd. Leland, Montréal), p. 974-976.