Erfan, « Les Damnées du paradis et Autres Nouvelles »

éd. de l’Aube, coll. Regards croisés, La Tour d’Aigues

éd. de l’Aube, coll. Re­gards croi­sés, La Tour d’Aigues

Il s’agit des « Dam­nées du pa­ra­dis » de M. Ali Er­fan, écri­vain ira­nien de langue fran­çaise. Né à Is­pa­han en 1946, il fait par­tie de ces hommes de théâtre, ces ci­néastes, ces ar­tistes que l’évolution po­li­tique de leur pays a me­nés à la pri­son et à l’exil. Quand son deuxième film a été pro­jeté, le mi­nistre de la Culture ira­nien, pré­sent dans la salle, a dé­claré à la fin : « Le seul mur blanc sur le­quel on n’a pas en­core versé le sang des im­purs, c’est l’écran de ci­néma. Si on exé­cute ce traître, et que cet écran de­vient rouge, tous les ci­néastes com­pren­dront qu’on ne peut pas jouer avec les in­té­rêts du peuple mu­sul­man »1. Il a quitté alors l’Iran pour pour­suivre une car­rière d’écrivain à Pa­ris. Bien que cette car­rière soit loin d’être fi­nie, je m’autorise, dès à pré­sent, à ré­su­mer les prin­ci­pales et dif­fé­rentes qua­li­tés de M. Er­fan et comme les élé­ments consti­tu­tifs de son gé­nie. 1o Le goût de l’intrigue trou­blante, ra­pide, sombre. « Mon ré­cit », dit M. Er­fan, « sera ra­pide comme l’ange de la mort lorsqu’il sur­git par la fe­nêtre ou par la fente sous la porte, s’empare de l’âme du pire des ty­rans et dis­pa­raît aus­si­tôt par le même che­min, en em­por­tant l’âme d’un poète »2. 2o La nos­tal­gie de la pa­trie, de la langue na­tale, de l’enfance. Chaque fois qu’il en­tre­prend d’écrire, M. Er­fan cherche le temps de sa pre­mière jeu­nesse. Il goûte l’extase de la mé­moire, le plai­sir de re­trou­ver les choses per­dues et ou­bliées dans la langue na­tale. Et comme cette mé­moire re­trou­vée ne ra­conte pas ce qui s’est passé réel­le­ment, mais ce qui au­rait pu se pas­ser, c’est elle le vé­ri­table écri­vain ; et M. Er­fan est son pre­mier lec­teur : « Main­te­nant, je connais [la langue fran­çaise]. Mais je ne veux pas par­ler… Ma­dame dit : “Mon chéri, dis : jas­min”. Je ne veux pas. Je veux pro­non­cer le nom de la fleur qui était dans notre mai­son. Com­ment s’appelait-elle ? Pour­quoi est-ce que je ne me sou­viens pas ? Cette grande fleur qui pous­sait au coin de la cour. Qui mon­tait, qui tour­nait. Elle grim­pait par-des­sus la porte de notre mai­son, et elle re­tom­bait dans la rue… Com­ment s’appelait-elle ? Elle sen­tait bon. Ma­dame dit en­core : “Dis, mon chéri”. Moi, je pleure, je pleure… »3 3o L’absence de phi­lo­so­phie mo­rale, d’idéal, de sen­ti­ment re­li­gieux. Si M. Er­fan n’a pas la joie de croire, c’est là son dé­faut, ou plu­tôt son mal­heur, mais un mal­heur te­nant à une cause fort grave, je veux dire les crimes que M. Er­fan a vu com­mettre au nom d’une re­li­gion dont les pré­ceptes ont été dé­na­tu­rés et dé­tour­nés de leur pro­pos et de leur vé­ri­table si­gni­fi­ca­tion : « Il ou­vrit sans hâte l’un des épais dos­siers [de la Ré­pu­blique is­la­mique], en re­tira un feuillet, l’examina et, tout d’un coup, s’écria : “En­fer­mez cette femme dans un sac de jute et je­tez-lui des pierres jusqu’à ce qu’elle crève comme un chien… Que le père étrangle son fils de ses propres mains… Vio­lez la fillette de douze ans mal­gré son re­pen­tir et, entre ses jambes, ti­rez son foie” »4.

« Mon ré­cit sera ra­pide comme l’ange de la mort »

Voici un pas­sage qui don­nera une idée du style des « Dam­nées du pa­ra­dis » : « Je n’ai pas écrit cette his­toire. Je l’ai re­çue par la poste. Sur l’enveloppe, quelqu’un avait collé une éti­quette, et tapé en pe­tits ca­rac­tères mon nom et mon adresse dans le ving­tième ar­ron­dis­se­ment de Pa­ris. J’ai ou­vert le pa­quet, et j’ai dé­cou­vert des feuillets noir­cis d’une mau­vaise écri­ture, d’une main hâ­tive. Ils étaient sales et de tailles dis­pa­rates. Cha­cun au­rait pu ap­par­te­nir à un siècle dif­fé­rent. L’un d’eux sem­blait ar­ra­ché à la ri­vière, tant il était dé­trempé. Quelqu’un l’avait fait sé­cher et, sur les taches, avait re­cons­ti­tué cer­tains mots dis­sous par l’eau, qui se de­vi­naient en­core. Au pre­mier exa­men, évi­dem­ment, je n’ai pas re­mar­qué ce dé­tail. Comme je n’ai pas songé que des larmes plu­tôt que l’eau de la ri­vière avaient pu dé­la­ver les lignes jusqu’à les rendre in­vi­sibles »5.

Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  1. Dans Ma­thieu Lin­don, « L’Enfer pa­ra­di­siaque d’Ali Er­fan ». Haut
  2. « Le Der­nier Poète du monde », p. 11. Haut
  3. id. p. 82. Haut
  1. id. p. 30. Haut
  2. p. 9. Haut