Il s’agit d’une anthologie des femmes de lettres de la Birmanie (Myanmar). Au XIXe siècle encore, les livres de ce pays étaient formés de feuilles de palmier séchées et noircies, sur lesquelles les lettres étaient gravées avec un stylet de métal ou une pointe d’os, qui laissait une empreinte blanche : « Je languis », dit une poétesse birmane1, « et ma tête s’incline comme une fleur sous les rayons du soleil. D’une pointe d’os, je grave des feuillets noircis ». Deux trous, traversant chaque feuille, servaient à les lier toutes ensemble pour former un volume, au moyen d’un cordon qui passait également à travers les deux planches qui faisaient office de couverture. Du reste, que l’humanité ait écrit sur des feuilles de palmier dès l’antiquité la plus reculée, nous en avons pour garant Pline l’Ancien, qui dit « qu’auparavant on ne connaissait pas le papier : on écrivit, d’abord, sur des feuilles de palmier » (« antea non fuisse chartarum usum : in palmarum foliis primo scriptitatum »). C’était là une matière facile à travailler, mais particulièrement périssable et plus sujette que toute autre aux atteintes de la chaleur et de l’humidité ; et si elle n’était pas préservée des insectes ou des rats, une bibliothèque entière pouvait, en peu de temps, être la proie de ces bestioles. La première Birmane dont les écrits aient passé jusqu’à nous est la princesse Yazadatoukalya2 (XVIe siècle apr. J.-C.), qui se consolait d’être séparée de son amant en composant des « yedou »3 (« poèmes des saisons »). Sous les descriptions saisonnières, on voit poindre une âme locale, née dans la puissante jungle des montagnes :
« En un lieu de la belle montagne couverte de forêts est construit un nid : palais et paradis. Régnant par sa gloire et par sa force, le perroquet, aux plumes et aux ailes d’émeraude, comprend et connaît tout sur la conduite des hommes… Toi, perroquet, précipite-toi à travers le vent, la pluie et les nuages, et va supplier [mon amant]. Dis-lui que son amoureuse l’attend impatiemment, pleine d’espoir, étendue sur sa couche inclinée, dans un vaste et magnifique royaume »4.
Presque toute la poésie birmane, d’ailleurs, se compose de détails empruntés à la nature, dont chacun a peu de valeur en lui-même, je l’avoue, mais qui, s’ils sont distribués avec mesure et délicatesse, comme dans les œuvres de la reine Ma Mya Kelé5 (XIXe siècle), peuvent faire quelque impression sur le lecteur :
on voit poindre une âme locale, née dans la puissante jungle des montagnes
« La forêt est un paradis, embaumé de fleurs fraîches. Dans le vert profond des arbres, les oiseaux font leur nid comme en d’élégants palais… Je cherche sans cesse à être auprès de toi, et si j’essaie de me consoler, au contraire mon chagrin augmente. Je vois des couples d’oiseaux qui chantent, tout joyeux dans leur nid. Mon seigneur, je t’appelle, tu es bien heureux dans ton grand palais. J’imagine que tu m’oublies et j’en suis effrayée ; ta froideur me tourmente. Des brouillards entrent dans ma chambre »6.
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- Auguste-Philibert Châlons-d’Argé, « Essai historique sur l’Empire des Birmans, et les peuples qui occupent la presqu’île au-delà du Gange » dans « Voyage du capitaine Hiram Cox dans l’Empire des Birmans. Tome I » (XIXe siècle), p. I-CLVI [Source : Google Livres]
- Solange Thierry, « Littérature birmane » dans « Histoire des littératures. Tome I » (éd. Gallimard, coll. Encyclopédie de la Pléiade, Paris), p. 1384-1394.