Il s’agit du « Chant de Chunhyang » (« Chunhyang-ga »1) ou « Histoire de Chunhyang » (« Chunhyang-jŏn »2), légende fort célèbre en Corée et chantée dans les réjouissances populaires. Elle traite de l’amour entre Chunhyang3 (« Parfum de printemps »), fille d’une ancienne courtisane, et Mongryong4 (« Rêve de dragon »), fils d’un noble gouverneur. Au moment où les fleurs commençaient à s’épanouir, le jeune Mongryong était occupé à lire dans la bibliothèque de son père. Ayant interrompu son travail pour se promener, il vit la jeune Chunhyang en train de faire de la balançoire : « Elle saisit la corde de ses délicates mains, monta sur la planche et s’envola… Vue de face, elle était l’hirondelle qui plonge pour attraper au vol un pétale de fleur de pêcher qui glisse sur le sol. De dos, elle semblait un papillon multicolore qui s’éloigne à la recherche de sa compagne »5. Mongryong tomba aussitôt amoureux d’elle, et elle de lui. À cause de la différence dans leur condition et dans leur fortune, ils s’épousèrent en cachette. Sur ces entrefaites, le père de Mongryong fut appelé à la capitale, où son fils fut obligé de le suivre. Leur successeur, homme « brutal et emporté »6, voulut acheter les faveurs de Chunhyang, mais celle-ci lui résista, fidèle à son lointain époux, si bien qu’elle fut torturée et emprisonnée. Je ne dirai rien de la fin de l’histoire, sinon qu’elle est heureuse. Le succès du « Chant de Chunhyang » lui vient de ce qu’il osait parler tout haut d’amour en cette Corée de l’ancien régime où les jeunes cœurs étouffaient sous le poids de l’autorité, et où le mariage était une affaire de raison, traitée entre pères, sans que les conjoints aient la moindre voix au chapitre. Certes, je l’avoue : l’intrigue est naïve, les caractères — vieillis, le style — maladroit ; mais, sous tout cela, on sent l’âme des grands poètes du peuple. Leurs sentiments bons et purs ont passé à travers cette œuvre. Ils l’ont vivifiée autrefois ; ils la soutiennent encore aujourd’hui, car le « Chant de Chunhyang » continue d’être représenté dans la ville de Namwon7, qui est celle de la jeune héroïne. Il s’y tient chaque année un grand festival auquel participent les meilleurs « myeongchang »8 (« maîtres chanteurs »). On dit que certains d’entre eux, « afin de donner à leur voix la perfection de l’expressivité… vont jusqu’à cracher du sang »9 devant une foule qui les paie amplement en sanglots et en applaudissements.
Il n’existe pas moins de trois traductions françaises du « Chant de la fidèle Chunhyang », mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle de MM. Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet.
« À Hanyang, à la même époque, vivait un [noble] qui avait nom Yi Han-lim. La famille Yi, descendante d’un ministre connu pour sa loyauté, figurait parmi les plus célèbres de ce temps. Un jour, Sa Majesté demanda à consulter le registre de ses sujets les plus loyaux et les plus dévoués à leurs parents, dans l’intention de nommer certains d’entre eux aux postes de gouverneurs des provinces. Elle nomma Yi Han-lim, d’abord, premier magistrat de Kwachon, puis de Kunsan, et plus tard, gouverneur provincial à Namwon. Yi Han-lim fit une profonde révérence pour marquer sa gratitude et se retira du palais royal. Une fois en poste à Namwon, il mit en place une administration modèle. Nulle part, il n’y eut d’incident ou de plainte. Les gens ne regrettaient qu’une chose : qu’il ne fût pas venu plus tôt.
Heureuse époque
Où régnait la paix ;
On entendait les enfants
Chanter dans la rue.…Le gouverneur avait un fils, âgé de deux fois huit ans, qui, par la taille et la beauté, égalait Tou Mok, le poète chinois. Son cœur était aussi magnanime que la vaste mer, sa sagesse aussi profonde. Il maniait la langue à la manière de Yi Bæk, sa calligraphie valait celle de Wang Hui-ji. »
— Début dans la traduction de MM. Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet, à partir d’une version littéraire
« Autrefois vivait dans la province de Tjyen-Lato, dans la ville de Nam-Hyong, un mandarin nommé I-Teung qui avait un fils, I-Toreng, âgé de seize ans. I-Toreng était parmi les plus habiles lettrés de son pays et il grandissait tous les jours dans l’étude. »
— Début dans la traduction de Joseph-Henri Rosny et Hong-Tjyong-ou, à partir d’une version populaire (« Printemps parfumé : roman coréen », XIXe siècle)
« Il était une fois, voilà bien longtemps de cela, dans la ville Nam-Hyong de la province Tyen-[Lato], un mandarin du nom de I-Teung, qui avait un fils appelé I-Toreng. Dès l’âge de seize ans, celui-ci comptait parmi les plus doctes lettrés du pays, et la sagesse allait s’épanouissant en lui chaque jour davantage. »
— Début dans une traduction indirecte et anonyme10 (« L’Amour de I-Toreng et de la jolie Tchun-Hyang : roman » dans « La Revue des revues », vol. 14, no 13, p. 60-68 & 144-150 & 233-238 & 327-332)Cette traduction n’a pas été faite sur l’original.
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- Traduction de Joseph-Henri Rosny et Hong-Tjyong-ou (1892) [Source : Yoto Yotov]
- Traduction de Joseph-Henri Rosny et Hong-Tjyong-ou (1892) ; autre copie [Source : Google Livres]
- Traduction de Joseph-Henri Rosny et Hong-Tjyong-ou (éd. électronique) [Source : Wikisource]
- Traduction de Joseph-Henri Rosny et Hong-Tjyong-ou (éd. électronique bis) [Source : Digital Library of Korean Classics]
- Traduction indirecte et anonyme (1895) [Source : Google Livres].
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- Yun Yennie évoquant « Le Chant de la fidèle Chunhyang » [Source : KBS WORLD Radio]
- Extraits dans la traduction de MM. Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet, lus par Yun Yennie [Source : KBS WORLD Radio].
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Maurice Courant, « Bibliographie coréenne : tableau littéraire de la Corée, contenant la nomenclature des ouvrages publiés dans ce pays jusqu’en 1890 ainsi que la description et l’analyse détaillées des principaux d’entre ces ouvrages. Tome I » (XIXe siècle) [Source : Bibliothèque nationale de France]
- Mee-jeong Lee, « Le Pansori : un art lyrique coréen » (éd. G.-P. Maisonneuve et Larose, Paris)
- Li Long Tsi, « Littérature coréenne » dans « Histoire des littératures. Tome I » (éd. Gallimard, coll. Encyclopédie de la Pléiade, Paris), p. 1305-1317.