Hara, «Hiroshima, fleurs d’été : récits»

éd. Actes Sud, coll. Babel, Montréal

éd. Actes Sud, coll. Ba­bel, Mont­réal

Il s’agit de la tri­lo­gie «Natsu no hana» 1Fleurs d’été») de M. Ta­miki Hara 2, écri­vain ja­po­nais, un des ir­ra­diés de Hi­ro­shima, qui dé­cri­vit cette ville dis­pa­rue sans lais­ser de traces, si­non une couche plate de dé­combres, de choses tor­dues, cre­vées, hu­mi­liées. M. Hara na­quit à Hi­ro­shima en 1905. En­fant, on le voyait à l’écart, sombre, ta­ci­turne, un peu sau­vage. Il vi­vait en de­dans de soi et pour soi. Les jeux même de son âge ne le ten­taient pas; il avait de la mal­adresse quand il fal­lait s’y prê­ter, et ses ca­ma­rades fi­nirent par le lais­ser à son ca­rac­tère dif­fi­cile et à son ori­gi­na­lité. Jusqu’à l’âge de vingt-huit ans, il vé­cut dans une sorte d’isolement dont il ne par­vint à se sous­traire qu’en épou­sant Mlle Sa­dae Na­gai, na­tive elle aussi de Hi­ro­shima. Sa­dae de­vint son lien avec le monde; elle par­lait en son nom et l’assistait à chaque pas. Il rê­vait déjà d’une heu­reuse vieillesse au­près d’elle; mais le sort lui en­viait ce bon­heur, et Sa­dae tomba gra­ve­ment ma­lade de la tu­ber­cu­lose : «Lorsque ma sœur fut ad­mise à l’hôpital, Hara pas­sait la voir tous les deux jours», dit le frère de Sa­dae 3. «Beau temps ou mau­vais temps, il ne man­quait ja­mais sa vi­site… Je ne doute pas qu’il se­rait venu tous les jours si c’était pos­sible, mais il avait un tra­vail… Dans la chambre d’hôpital, il ne di­sait presque rien. Il s’assoyait sim­ple­ment au che­vet de sa femme, en la dé­vi­sa­geant fixe­ment ou en éplu­chant un fruit». Le 4 août 1945, M. Hara par­tit mettre sur la tombe de sa femme un bou­quet de «fleurs d’été» (d’où le titre); le sur­len­de­main, la bombe ato­mique était lar­guée. Et «dans le grand si­lence de la ville alors dé­ser­tée», pour re­prendre un mot de M. Al­bert Ca­mus 4, il fit vœu de ne plus vivre pour soi, mais pour don­ner voix aux vic­times de la plus for­mi­dable rage de des­truc­tion dont les hommes eussent fait preuve.

la plus for­mi­dable rage de des­truc­tion dont les hommes eussent fait preuve

Voici un pas­sage qui don­nera une idée de la ma­nière de M. Hara : «Comme nous avan­cions sur l’étroit che­min de pierre qui longe la ri­vière, je vis pour la pre­mière fois des grappes hu­maines dé­fiant toute des­crip­tion. Le so­leil était déjà bas sur l’horizon, le pay­sage en­vi­ron­nant pâ­lis­sait. Sur la grève, sur le ta­lus au-des­sus de la grève, par­tout les mêmes hommes et les mêmes femmes, dont les ombres se re­flé­taient dans l’eau. Mais quels hommes, quelles femmes…! Il était presque im­pos­sible de re­con­naître un homme d’une femme tant les vi­sages étaient tu­mé­fiés, fri­pés. Les yeux amin­cis comme des fils, les lèvres, vé­ri­tables plaies en­flam­mées, le corps souf­frant de par­tout, nus, tous res­pi­raient d’une res­pi­ra­tion d’insecte, éten­dus sur le sol, ago­ni­sant. À me­sure que nous avan­cions, que nous pas­sions de­vant eux, ces gens à l’aspect in­ex­pli­cable qué­man­daient d’une pe­tite voix douce : “De l’eau, s’il vous plaît, de l’eau…”» 5.

«Don­nez-moi de l’eau
Aah, don­nez-moi de l’eau
Don­nez-moi à boire
J’aurais pré­féré mou­rir
Mou­rir plu­tôt
Aah
Au se­cours au se­cours
De l’eau
De l’eau
S’il vous plaît
Quelqu’un

Oh oh oh oh oh
Oh oh oh oh oh

Le ciel s’est dé­chiré
Il n’y a plus de ville
Et la ri­vière
S’écoule

Oh oh oh oh oh
Oh oh oh oh oh

La nuit vient
La nuit vient
Sur les yeux des­sé­chés
Les lèvres écor­chées
Cui­santes brû­lures
Traits qui va­cillent
Traits dé­vas­tés
De ce vi­sage
Hu­main qui gé­mit
Sa plainte
D’homme»
— Poème à part 6

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Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  • Al­bert Ca­mus, «Ac­tuelles : chro­niques 1944-1948» (éd. Gal­li­mard, Pa­ris)
  • Ro­bert Guillain, «En­tre­tien avec le maire de Hi­ro­shima» dans «France-Asie», vol. 5, nº 53, p. 295-297.
  1. En ja­po­nais «夏の花». Haut
  2. En ja­po­nais 原民喜. Haut
  3. Dans Eiji Ko­kai, «Hara Ta­miki : shi­jin no shi» («Ta­miki Hara : la mort d’un poète»), in­édit en fran­çais. Haut
  1. «La Peste», ch. II. Lors du for­mi­dable concert que la ra­dio, les jour­naux et les agences d’information dé­clen­chèrent au su­jet de la bombe ato­mique, le plus in­di­gné des édi­to­ria­listes fran­çais fut M. Ca­mus, au­teur d’un pa­pier paru le 8 août 1945 à la une de «Com­bat» : «Des jour­naux amé­ri­cains, an­glais et fran­çais se ré­pandent en dis­ser­ta­tions élé­gantes sur l’avenir, le passé, les in­ven­teurs, le coût, la vo­ca­tion pa­ci­fique et les ef­fets guer­riers, les consé­quences po­li­tiques et même le ca­rac­tère in­dé­pen­dant de la bombe ato­mique. Nous nous ré­su­me­rons en une phrase : la ci­vi­li­sa­tion mé­ca­nique vient de par­ve­nir à son der­nier de­gré de sau­va­ge­rie. Il va fal­loir choi­sir, dans un ave­nir plus ou moins proche, entre le sui­cide col­lec­tif ou l’utilisation in­tel­li­gente des conquêtes scien­ti­fiques». Haut
  2. p. 80-81. Haut
  3. Ta­miki Hara, «Gem­baku shô­kei» («Pay­sages de la bombe ato­mique»), in­édit en fran­çais. Haut