Il s’agit des versions syriaques de l’« Histoire et Sagesse d’Aḥikar l’Assyrien », un conte qui existe dans presque toutes les langues du Proche-Orient antique (VIIe av. J.-C.). Voici le résumé de ce conte : Aḥiqar1 était un homme vertueux et un conseiller des rois d’Assyrie. N’ayant pas de fils, il adopta le fils de sa sœur, Nadan. Il l’éleva et lui adressa une première série de leçons, sous forme de maximes et de proverbes. Plus tard, empêché par les infirmités de la vieillesse de remplir ses fonctions, Aḥiqar présenta Nadan comme son successeur. Comblé d’honneurs, Nadan ne tarda pas à faire preuve de la plus noire ingratitude. Il trahit indignement son père adoptif et bienfaiteur : il le calomnia auprès du roi Assarhaddon (de l’an 680 à l’an 669 av. J.-C.), lequel ordonna sa mort. Cependant, le bourreau était un obligé d’Aḥiqar et ne remplit pas l’ordre donné. Il exécuta un autre criminel, dont il apporta la tête au roi, et tint Aḥiqar caché. Enhardi par la nouvelle de la mort du conseiller royal, le pharaon d’Égypte lança au roi le défi de résoudre plusieurs énigmes perfides, sous peine d’avoir à lui payer un tribut. Sorti de sa cachette, Aḥiqar alla en Égypte, répondit aux énigmes du pharaon et, à son retour, demanda que Nadan lui fût livré. Il le frappa de mille coups, pour faire entrer la sagesse « par derrière son dos »2 puisqu’elle n’avait pu entrer par les oreilles, et lui adressa une deuxième série de leçons, sous forme de fables, et destinées à prouver qu’il valait mieux vivre dans une hutte en homme juste que dans un palais en criminel.
Grands chefs-d’œuvre
Chateaubriand, « Mémoires d’outre-tombe. Tome II »
Il s’agit des « Mémoires d’outre-tombe » de François René de Chateaubriand, auteur et politique français, père du romantisme chrétien. Le mal, le grand mal de Chateaubriand fut d’être né entre deux siècles, « comme au confluent de deux fleuves »1, et de voir les caractères opposés de ces deux siècles se rencontrer dans ses opinions. Sorti des entrailles de l’ancienne monarchie, de l’ancienne aristocratie, il se plaça contre la Révolution française, dès qu’il la vit dans ses premières violences, et il resta royaliste, souvent contre son instinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la famille de Napoléon Bonaparte. Même fougue, même éclat, même mélancolie moderne. Si les Bourbons avaient mieux apprécié Chateaubriand, il est possible qu’il eût été moins vulnérable au souvenir de l’Empereur devenu resplendissant comme un « large soleil ». Le parallèle qu’il fait dans ses « Mémoires d’outre-tombe » entre l’Empire et la monarchie bourbonienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sincère de la conception de l’auteur, tellement plus vraie que celle du politique : « Retomber de Bonaparte et de l’Empire à ce qui les a suivis, c’est tomber de la réalité dans le néant ; du sommet d’une montagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas terminé avec Napoléon ?… Comment nommer Louis XVIII en place de l’Empereur ? Je rougis en [y] pensant ». Triste jusqu’au désespoir, sans amis et sans espérance, il était obsédé par un passé à jamais évanoui et tombé dans le néant. « Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mépriser cette vie », écrivait-il2 en songeant qu’il était lui-même une ruine encore plus chancelante. Aucune pensée ne venait le consoler excepté la religion chrétienne, à laquelle il était revenu avec chaleur et avec véhémence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conversion : « Ma mère, après avoir été jetée à soixante-douze ans dans des cachots où elle vit périr une partie de ses enfants, expira enfin sur un grabat, où ses malheurs l’avaient reléguée. Le souvenir de mes égarements [le scepticisme de mon “Essai sur les Révolutions”] répandit sur ses derniers jours une grande amertume ; elle chargea, en mourant, une de mes sœurs de me rappeler à cette religion dans laquelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le dernier vœu de ma mère. Quand la lettre me parvint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus ; elle était morte aussi des suites de son emprisonnement. Ces deux voix sorties du tombeau, cette mort qui servait d’interprète à la mort, m’ont frappé ; je suis devenu chrétien »
Chateaubriand, « Mémoires d’outre-tombe. Tome I »
Il s’agit des « Mémoires d’outre-tombe » de François René de Chateaubriand, auteur et politique français, père du romantisme chrétien. Le mal, le grand mal de Chateaubriand fut d’être né entre deux siècles, « comme au confluent de deux fleuves »1, et de voir les caractères opposés de ces deux siècles se rencontrer dans ses opinions. Sorti des entrailles de l’ancienne monarchie, de l’ancienne aristocratie, il se plaça contre la Révolution française, dès qu’il la vit dans ses premières violences, et il resta royaliste, souvent contre son instinct. Car au fond de lui-même, il était de la race, de la famille de Napoléon Bonaparte. Même fougue, même éclat, même mélancolie moderne. Si les Bourbons avaient mieux apprécié Chateaubriand, il est possible qu’il eût été moins vulnérable au souvenir de l’Empereur devenu resplendissant comme un « large soleil ». Le parallèle qu’il fait dans ses « Mémoires d’outre-tombe » entre l’Empire et la monarchie bourbonienne, pour cruel qu’il soit, est l’expression sincère de la conception de l’auteur, tellement plus vraie que celle du politique : « Retomber de Bonaparte et de l’Empire à ce qui les a suivis, c’est tomber de la réalité dans le néant ; du sommet d’une montagne dans un gouffre. Tout n’est-il pas terminé avec Napoléon ?… Comment nommer Louis XVIII en place de l’Empereur ? Je rougis en [y] pensant ». Triste jusqu’au désespoir, sans amis et sans espérance, il était obsédé par un passé à jamais évanoui et tombé dans le néant. « Je n’ai plus qu’à m’asseoir sur des ruines et à mépriser cette vie », écrivait-il2 en songeant qu’il était lui-même une ruine encore plus chancelante. Aucune pensée ne venait le consoler excepté la religion chrétienne, à laquelle il était revenu avec chaleur et avec véhémence. Sa mère et sa sœur avaient eu la plus grande part à cette conversion : « Ma mère, après avoir été jetée à soixante-douze ans dans des cachots où elle vit périr une partie de ses enfants, expira enfin sur un grabat, où ses malheurs l’avaient reléguée. Le souvenir de mes égarements [le scepticisme de mon “Essai sur les Révolutions”] répandit sur ses derniers jours une grande amertume ; elle chargea, en mourant, une de mes sœurs de me rappeler à cette religion dans laquelle j’avais été élevé. Ma sœur me manda le dernier vœu de ma mère. Quand la lettre me parvint au-delà des mers, ma sœur elle-même n’existait plus ; elle était morte aussi des suites de son emprisonnement. Ces deux voix sorties du tombeau, cette mort qui servait d’interprète à la mort, m’ont frappé ; je suis devenu chrétien »
Roustavéli, « L’Homme à la peau de léopard »
Il s’agit de « L’Homme à la peau de léopard »1 (« Vepkhis-tkaossani »2), fameuse épopée géorgienne du temps de la reine Thamar3 (1184-1213 apr. J.-C.). Cette reine si belle, si savante, si guerrière dut lutter contre Georges Bogolioubski, son premier époux, pour imposer David Soslane, son second, ce qui n’empêcha pas son siècle de devenir le siècle d’or de la Géorgie, qui s’étendit de la mer Noire à la Caspienne, des monts du Caucase aux sources de l’Euphrate. Au cours de cette période, la vie intellectuelle prospéra, subissant l’influence des civilisations arabe, persane et grecque. Une foule d’écrivains célèbres, qui entouraient le trône, vinrent porter la richesse de la langue à son apogée. Mais leur nom pâlit devant celui de Chota Roustavéli4. Son épopée, « L’Homme à la peau de léopard », est vénérée par tout le peuple géorgien. Ses vers en sont les accents de gloire ; et ses pages, suivant une coutume, faisaient une partie obligée de la corbeille de mariage de la fiancée — heureux pays où l’on estimait le livre au même prix que les bijoux ! Une œuvre originale que cette épopée ? Non point par son sujet, en tout cas, et de l’aveu même de Roustavéli : « Cette légende persane traduite en géorgien, telle une perle solitaire dans le creux de la main je l’ai trouvée et mise en vers »5. Ce sujet ? Le roi d’Arabie cède son trône à sa fille Thimiatine, ce qui ne peut aller sans de grandes chasses. Or, en courant cerfs, biches, chevreaux, gazelles, les chasseurs découvrent un étrange personnage vêtu de la peau que vous savez déjà, et qui réussit à se dérober à leur curiosité. Ce n’est que grâce à l’astuce d’Avthandil qu’ils parviendront à apprendre son nom : Tariel, prince indien, qui ne peut se consoler de la perte de la belle Nestane, retenue par les Turcs. Mais ce récit exotique est à clef. Thimiatine montée sur le trône, c’est Thamar en personne, ce dont Roustavéli ne fait point mystère : « Chantons la reine Thamar ! », dit-il dans son prologue6. « Mêlant les larmes au sang, je lui ai dédié mes odes les plus choisies… Je suis fou de celle dont la volonté suprême commande les troupes… Je n’en peux plus, je succombe, il n’y a point de remède. Qu’elle me donne la guérison ou la terre pour ma tombe ! » Mais pourquoi ces « larmes » et ce « sang » ? C’est que Thamar, « impitoyable comme un roc »7, aurait refusé de couronner la flamme de notre poète. De là à prétendre que, de désespoir, il en prit le froc de moine, il n’y a qu’un pas ; le peuple le franchit allègrement. Il n’empêche que pour joindre la petite histoire à la grande, l’archéologie aurait découvert dans le monastère géorgien de la Sainte-Croix, à Jérusalem, une fresque et une stèle au nom de Roustavéli.
- Autrefois traduit « Le Preux à la peau de tigre », « Le Héros à la peau de léopard », « Le Chevalier à la peau de léopard » ou « Le Chevalier à la peau de tigre ».
- En géorgien « ვეფხისტყაოსანი ». Parfois transcrit « Vepxis tqaosani », « Wepkis tkaossani », « Wephkhis tqaosani », « Vephkhis tkaosani », « Vephkhvis-tkaosani », « Vepxis t’q’aosani », « Vepxvis t’q(’)aosani », « Vepkhiss-tkaossani » ou « Vepkhist’q’aosani ».
- En géorgien თამარი. Parfois transcrit Tamari, Tamar ou Tamara.
- En géorgien შოთა რუსთაველი. Parfois transcrit Rousthavéli, Rousthawéli, Rust’haveli, Rustaveli, Rustavelli, Rostaveli ou Rousthawel. On rencontre aussi la graphie რუსთველი (Rousthvéli). Parfois transcrit Rousthwel.
Xuanzang, « Mémoires sur les contrées occidentales. Tome II. Livres IX à XII »
Il s’agit des « Mémoires sur les contrées de l’Ouest1 à l’époque des grands Tang »2 (« Da Tang xi yu ji »3) de Xuanzang4. La vaste littérature de la Chine contient une série de biographies et de mémoires où se trouvent relatés les voyages d’éminents moines bouddhistes qui — à des dates différentes, mais comprises pour la plupart entre le Ve et le VIIe siècle — sortirent de leur propre patrie (la Chine) pour se rendre dans celle de leur Dieu (l’Inde), en bravant des difficultés insurmontables : « Ils sont allés jusqu’aux limites du monde et ils ont vu là où toutes choses finissent »5. L’immense entreprise sino-indienne de ces pèlerins, qui s’en allaient chercher une idée plus claire de leur foi, doit être saluée — au-delà de son sens religieux — comme l’une des manifestations les plus évidentes de l’humanisme. Non contents de remonter, sur les pas du Bouddha, jusqu’aux lieux saints de l’Inde, ces hommes d’action et d’étude apprenaient le sanscrit et se procuraient des masses de manuscrits, qu’ils emmenaient avec eux au retour et qu’ils consacraient tout le reste de leur vie à traduire, entourés de disciples. Leur importance dans l’histoire spirituelle de l’Asie fut inouïe. N’eût été leur rôle de médiateurs, le sentiment bouddhique ne se fût sans doute jamais perpétué en Chine. Pourtant, les périls et les dangers que rencontraient ces voyageurs, en s’aventurant par-delà l’Himalaya, auraient pu décourager même les plus vaillants. Ceux qui passaient par terre devaient traverser des déserts épouvantables où la route à suivre était marquée par les ossements des bêtes et des gens qui y avaient trouvé la mort ; ceux qui, à l’inverse, choisissaient la voie de mer hasardaient leur vie sur de lourdes jonques qui sombraient corps et bien au premier gros temps. L’un d’eux6 déclare en préambule de sa « Relation sur les moines éminents qui allèrent chercher la Loi dans les contrées de l’Ouest » : « Considérons depuis les temps anciens ceux qui [partis de Chine] ont été à l’étranger en faisant peu de cas de la vie et en se sacrifiant pour la Loi… Tous comptaient revenir, [et] cependant, la voie triomphante était semée de difficultés ; les lieux saints étaient éloignés et vastes. Pour des dizaines qui verdirent et fleurirent, et pour plusieurs qui entreprirent, il y en eut à peine un qui noua ses fruits et donna des résultats véritables, et il y en eut peu qui achevèrent leur œuvre. La vraie cause en fut les immensités des déserts pierreux du pays de l’éléphant [c’est-à-dire l’Inde] et l’éclat du soleil qui crache son ardeur ; ou les masses d’eau des vagues soulevées par le poisson gigantesque ».
- L’Asie centrale et l’Inde, situées à l’Ouest de l’Empire chinois.
- Autrefois traduit « Mémoires sur les contrées occidentales, composés sous la dynastie des grands Thang ».
- En chinois « 大唐西域記 ». Autrefois transcrit « Ta-Thang-si-yu-ki », « Ta-Thang-hsi-yu-tchi » ou « Ta T’ang hsi-yü chi ». Également connu sous le titre abrégé de « 西域記 ». Autrefois transcrit « Hsi-yü-chih ».
Xuanzang, « Mémoires sur les contrées occidentales. Tome I. Livres I à VIII »
Il s’agit des « Mémoires sur les contrées de l’Ouest1 à l’époque des grands Tang »2 (« Da Tang xi yu ji »3) de Xuanzang4. La vaste littérature de la Chine contient une série de biographies et de mémoires où se trouvent relatés les voyages d’éminents moines bouddhistes qui — à des dates différentes, mais comprises pour la plupart entre le Ve et le VIIe siècle — sortirent de leur propre patrie (la Chine) pour se rendre dans celle de leur Dieu (l’Inde), en bravant des difficultés insurmontables : « Ils sont allés jusqu’aux limites du monde et ils ont vu là où toutes choses finissent »5. L’immense entreprise sino-indienne de ces pèlerins, qui s’en allaient chercher une idée plus claire de leur foi, doit être saluée — au-delà de son sens religieux — comme l’une des manifestations les plus évidentes de l’humanisme. Non contents de remonter, sur les pas du Bouddha, jusqu’aux lieux saints de l’Inde, ces hommes d’action et d’étude apprenaient le sanscrit et se procuraient des masses de manuscrits, qu’ils emmenaient avec eux au retour et qu’ils consacraient tout le reste de leur vie à traduire, entourés de disciples. Leur importance dans l’histoire spirituelle de l’Asie fut inouïe. N’eût été leur rôle de médiateurs, le sentiment bouddhique ne se fût sans doute jamais perpétué en Chine. Pourtant, les périls et les dangers que rencontraient ces voyageurs, en s’aventurant par-delà l’Himalaya, auraient pu décourager même les plus vaillants. Ceux qui passaient par terre devaient traverser des déserts épouvantables où la route à suivre était marquée par les ossements des bêtes et des gens qui y avaient trouvé la mort ; ceux qui, à l’inverse, choisissaient la voie de mer hasardaient leur vie sur de lourdes jonques qui sombraient corps et bien au premier gros temps. L’un d’eux6 déclare en préambule de sa « Relation sur les moines éminents qui allèrent chercher la Loi dans les contrées de l’Ouest » : « Considérons depuis les temps anciens ceux qui [partis de Chine] ont été à l’étranger en faisant peu de cas de la vie et en se sacrifiant pour la Loi… Tous comptaient revenir, [et] cependant, la voie triomphante était semée de difficultés ; les lieux saints étaient éloignés et vastes. Pour des dizaines qui verdirent et fleurirent, et pour plusieurs qui entreprirent, il y en eut à peine un qui noua ses fruits et donna des résultats véritables, et il y en eut peu qui achevèrent leur œuvre. La vraie cause en fut les immensités des déserts pierreux du pays de l’éléphant [c’est-à-dire l’Inde] et l’éclat du soleil qui crache son ardeur ; ou les masses d’eau des vagues soulevées par le poisson gigantesque ».
- L’Asie centrale et l’Inde, situées à l’Ouest de l’Empire chinois.
- Autrefois traduit « Mémoires sur les contrées occidentales, composés sous la dynastie des grands Thang ».
- En chinois « 大唐西域記 ». Autrefois transcrit « Ta-Thang-si-yu-ki », « Ta-Thang-hsi-yu-tchi » ou « Ta T’ang hsi-yü chi ». Également connu sous le titre abrégé de « 西域記 ». Autrefois transcrit « Hsi-yü-chih ».
Zhang Zai, « Le “Si-ming” : traité philosophique »
Il s’agit du « Manuel de l’Ouest », ou littéralement « Inscription de l’Ouest », traité très court, mais sublime, du philosophe confucéen Zhang Zai1 (XIe siècle apr. J.-C.). Cet auteur chinois a laissé un livre imposant en dix-sept tomes2, considéré comme l’œuvre majeure du confucianisme de son temps ; mais, dans l’enseignement qu’il prodiguait à ses disciples, il se servait spécialement, comme manuels, des deux extraits les plus emblématiques de son livre, qu’il avait inscrits sur les murs de la salle de classe, à l’Ouest et à l’Est. De là, le nom qui leur est donné : « Xi-ming »3 et « Dong-ming »4, c’est-à-dire : « Manuel de l’Ouest » et « Manuel de l’Est ». Le premier est de loin le plus renommé. Il est consacré à l’origine du monde et la fraternité de tous les êtres. Dans ce traité, Zhang Zai soutient que l’humanité est née d’un même sein ; elle formait à l’origine une seule substance qui s’est diversifiée. Il en est de même des autres êtres dans ce monde ; tous proviennent d’une même substance universelle et d’une même impulsion directrice, constituant et coordonnant toutes choses : « Les hommes ne forment avec nous qu’un même sein ; les êtres non intelligents sont nos consorts »5. Or, tout n’étant qu’un même arbre avec dix mille branches ; le monde n’étant qu’une famille, et la nation — un homme, « tout [ce] qui dans ce monde est pauvre et dans le besoin, affligé ou malade, orphelin ou abandonné, veuf ou veuve, doit être pour nous comme un frère dans le besoin ou l’infortune, et qui n’a point d’autre soutien »6. La doctrine de la communauté d’origine conduit ainsi à un principe moral de charité et de piété filiale, fondement de la vertu des saints : « Honorer les gens âgés, respecter les supérieurs, être charitable envers… les abandonnés et les pauvres, c’est la vertu parfaite des saints, c’est la conduite distinctive des sages… Les protéger dans ces circonstances, c’est le devoir d’un fils ; [et] les réjouir et ne jamais les affliger, c’est la perfection de la piété filiale »7.
- En chinois 張載. Autrefois transcrit Chang Tsai ou Tchang-tsai.
- « Zheng Meng » (« 正蒙 »). Autrefois transcrit « Cheng Meng » ou « Tcheng Meng ».
- En chinois « 西銘 ». Autrefois transcrit « Hsi-ming » ou « Si-ming ».
- En chinois « 東銘 ». Autrefois transcrit « Toung-ming » ou « Tong-ming ».
- p. 41-42. À comparer avec ce passage des « Entretiens de Confucius » : « Que l’honnête homme fasse son devoir gravement et sans faillir, qu’il traite autrui avec respect et civilité, et sur cette terre, tous les hommes seront ses frères ».
- p. 43.
- p. 43-44.
Bhartrihari, « Les Stances érotiques, morales et religieuses »
Il s’agit des « Trois Centuries de quatrains » (« Śatakatraya »1) de Bhartrihari2, l’un des plus grands poètes d’expression sanscrite (VIIe siècle apr. J.-C. sans doute). L’oubli et l’indifférence où tombent certaines œuvres de l’esprit humain est quelque chose de singulier. Cet oubli est injuste ; mais, à bien des égards, je me l’explique. Cependant, jamais je ne m’expliquerai l’oubli qui frappe Bhartrihari. Lui qui a été, pourtant, le premier poète hindou à être traduit en Europe. Lui dont Iqbal a dit : « Regarde ce chanteur de [mon] pays ! Par la grâce de son regard, la rosée se transforme en perles. Ce poète à l’œuvre subtile qui s’appelle Bhartrihari possède une nature semblable aux nuages de feu »3. Ses quatrains, à la fois ardents et sereins, qui chantent toutes les jouissances et qui les trouvent toutes vaines, méditent, plusieurs siècles avant Khayyam, sur le néant des choses d’ici-bas, dans un style intemporel d’une incontestable élévation. Ils sont au nombre de trois cents, partagés en trois parties égales : la première est érotique4, la deuxième — morale5, la troisième et dernière traite de l’impermanence, en incitant à la vie contemplative et au renoncement au monde6. Une légende digne des « Mille et une Nuits » circule à ce propos : Bhartrihari aurait été roi, assis sur le trône d’Ujjayinî (l’actuelle Ujjain7). Ayant reçu d’un saint homme un fruit précieux qui conférait l’immortalité, il l’offrit à la reine. La reine le donna au conseiller, son adultère amant ; le conseiller — à une autre femme ; de sorte que, passant ainsi de main en main, cette ambroisie parvint à une servante qui fut aperçue par le roi. Dégoûté du monde par l’infidélité de son épouse, laissant là le pouvoir et les grandeurs, Bhartrihari s’en alla sans regret d’Ujjayinî. Ses quatrains le montrent vivant désormais en ascète, après avoir fixé son séjour à Bénarès, sur le bord de la rivière des dieux, le Gange (3.87). Il se nourrit d’aumônes ; il habite parmi les hommes sans avoir de rapports avec eux (3.95). Vêtu seulement d’un pagne qui couvre sa nudité, il fuit avec effroi la diversité des apparences matérielles et il crie à haute voix : « Shiva ! Shiva ! » (3.85). « N’accorde aucune confiance, ô mon cœur, à l’inconstante déesse de la Fortune ! C’est une courtisane vénale qui abandonne ses amants sur un froncement de sourcil… Prenons la saie d’ascète et allons de porte en porte dans les rues de Bénarès, en attendant que l’aumône nous tombe dans la main que nous tendons en guise d’écuelle », écrit-il (3.66).
- En sanscrit « शतकत्रय ». Parfois transcrit « Shatakatraya ».
- En sanscrit भर्तृहरि. Parfois transcrit Barthrouherri, Bharthruhari, Bhartriheri, Bhartṛhari ou Bartṛhari.
- « Le Livre de l’éternité », p. 132.
- « Śṛṅgâraśatakam » (« शृङ्गारशतकम् »). Parfois transcrit « Shringâra Çataka » ou « Śhriṅgāraśhataka ».
- « Nîtiśatakam » (« नीतिशतकम् »). Parfois transcrit « Nîtî Çataka » ou « Nītīśhataka ».
- « Vairâgyaśatakam » (« वैराग्यशतकम् »). Parfois transcrit « Vairâgya Çataka », « Vairâgyashataka » ou « Vairagya Shatakam ».
- En hindi उज्जैन. Parfois transcrit Ugein, Ogein, Ojein, Odjain, Oudjayin, Oudjeïn, Udjein, Oujjeïn ou Oujjain.
al-Maqdisî, « Les Oiseaux et les Fleurs : allégories morales »
Il s’agit du « Dévoilement des mystères au sujet de la sagesse des oiseaux et des fleurs » (« Kashf al-asrâr ʻan ḥikam al-ṭuyûr wa’l-azhâr »1), allégories orientales, qui attribuent aux oiseaux et aux fleurs un langage semblable à celui des hommes (XIIIe siècle apr. J.-C.). L’auteur, ‘Izz al-Dîn al-Maqdisî2 (‘Izz al-Dîn de Jérusalem), commence par établir qu’il n’y a rien dans la nature qui ne soit doué de la faculté de se faire entendre d’une manière intelligible. À l’homme seul est réservé l’usage de la parole ; mais les autres créatures, ou animées ou inanimées, semblent aussi s’exprimer, par leur manière d’être, dans un langage muet. Bien plus, ce langage est « plus éloquent que la parole et plus essentiellement vrai »3. Ainsi, les roses répandent un parfum précieux qui pénètre jusqu’au fond du cœur et qui dit leurs secrets ; les rossignols, sur les rameaux qui les balancent, modulent leurs amours ; et les hautes cimes des arbres s’agitent comme pour célébrer la vision de Dieu. Partant de cette idée, l’auteur se suppose au milieu d’un jardin grandiose ; là, occupé à étudier les discours de tous les êtres que la nature offre à ses sens, il s’applique à les interpréter et y découvrir des leçons non seulement morales, mais également spirituelles et mystiques. « Crois », dit-il4, « que celui qui ne sait pas tirer un sens allégorique du cri aigre de la porte, du bourdonnement de la mouche, de l’aboiement du chien, du mouvement des insectes qui s’agitent dans la poussière ; que celui qui ne sait pas comprendre ce qu’indiquent la marche de la nue, la lueur du mirage, la teinte du brouillard, n’est pas du nombre des gens intelligents. » Pour éviter de tomber dans l’obscurité de la pensée où bien d’autres soufis sont tombés, al-Maqdisî suit une marche progressive. Aussi, ses premières allégories sont-elles plus terrestres que ses dernières, où il est question d’amour divin : « Le voile du mystère, d’abord épais, s’éclaircit peu à peu et se soulève même quelquefois ; enfin, il tombe entièrement, et le nom de Dieu vient, dans la dernière allégorie, expliquer toutes les énigmes »
- En arabe « كشف الأسرار عن حكم الطيور والأزهار ». Parfois transcrit « Caschf asrár an hokm althoiour u al azhár », « Kashf al-asrār ‘an ḥukm aṭ-ṭuyur wa’l-azhār » ou « Kachf al-asrâr ʻan ḥikm aṭ-ṭouyoûr oua l azhâr ». On rencontre aussi la graphie « كشف الأسرار في حكم الطيور والأزهار » (« Kashf al-asrâr fî ḥikam al-ṭuyûr wa’l-azhâr »). Parfois transcrit « Kichaf ul asrar fi hukmi-it-thouyour oua al azhar ».
- En arabe عز الدين المقدسي. Parfois transcrit ‘Izz ad-Dîn al-Maqdisy, ‘Izzaddīn Maqdisī, ‘Izz Eddin el Moqaddasi, Izzidin al-Muqaddasi, ’Yzz-Ed-dīni el-Moqaddesī, Azz-Eddin al Mocadeçi, Azeddin al Mocadassi, ‘Izz Eddin el Moqadessi, Azz-Eddin-el-Mokadessi ou Azz-Eddin Elmocaddessi.
Joubert, « Carnets. Tome II »
Il s’agit de Joseph Joubert, un des plus grands stylistes français (XVIIIe-XIXe siècle). Cet homme singulier ne publia rien de son vivant, tant il tenait peu à la gloire, et ne fit rien d’autre, littéralement parlant, pendant toute sa vie, que de travailler à ses « Pensées », écrivant, raturant, ajoutant, retranchant et n’en finissant jamais. À sa mort en 1824, il laissait derrière lui deux cent cinq carnets, complétés par soixante liasses de papiers où se mêlaient, dans une grande confusion, des notes, des bribes d’essais, des brouillons de lettres. Ce n’est que bien des années plus tard que Jean-Baptiste-Michel Duchesne, neveu de Joubert, en fit un mince recueil, qu’il remit à l’illustre Chateaubriand, lequel se chargea de le préfacer et d’y mettre un peu d’ordre. Duchesne fit donc seul le choix de cette première édition des « Pensées », écartant celles qui étaient difficilement déchiffrables, retouchant celles qui lui semblaient trop longues ou trop courtes. Bien qu’ami des lettres, il n’avait pas un esprit assez exercé pour que ce choix fût satisfaisant, et il est dommage que sur la recommandation du nom de Chateaubriand on se soit habitué, pendant longtemps, à juger Joubert sur une édition qui, étant incomplète et fautive, ne le montre pas dans toute sa splendeur littéraire et philosophique. Mais qui est donc Joubert ? Quel est cet inconnu, cet anonyme, cet inédit qui s’était fait de la perfection une certaine idée qui l’empêchait de rien achever ? Voici comment Sainte-Beuve répond à cette question : « Ce fut un de ces heureux esprits qui passent leur vie à penser ; à converser avec leurs amis ; à songer dans la solitude ; à méditer quelque grand ouvrage qu’ils n’accompliront jamais, et qui ne nous arrive qu’en fragments ». Sur l’un de ses carnets, Joubert écrivait1 : « Je suis comme Montaigne impropre au discours continu ». On peut y lire un aveu d’impuissance ; on peut y lire aussi la marque d’une esthétique chez cet homme qui se disait avare « de [son] encre »2, et qui ne voulait « [se] donner la peine d’exprimer, avec soin, que des choses dignes d’être écrites sur de la soie ou sur l’airain »3. Pensant pour la seule volupté de penser, pensant patiemment, il attendait, pour coucher un mot, que la goutte d’encre qui devait tomber de sa plume se changeât en « goutte de lumière »4, « tourmenté » qu’il était « par la maudite ambition de mettre toujours tout un livre dans une page, toute une page dans une phrase et cette phrase dans un mot »5.
Joubert, « Carnets. Tome I »
Il s’agit de Joseph Joubert, un des plus grands stylistes français (XVIIIe-XIXe siècle). Cet homme singulier ne publia rien de son vivant, tant il tenait peu à la gloire, et ne fit rien d’autre, littéralement parlant, pendant toute sa vie, que de travailler à ses « Pensées », écrivant, raturant, ajoutant, retranchant et n’en finissant jamais. À sa mort en 1824, il laissait derrière lui deux cent cinq carnets, complétés par soixante liasses de papiers où se mêlaient, dans une grande confusion, des notes, des bribes d’essais, des brouillons de lettres. Ce n’est que bien des années plus tard que Jean-Baptiste-Michel Duchesne, neveu de Joubert, en fit un mince recueil, qu’il remit à l’illustre Chateaubriand, lequel se chargea de le préfacer et d’y mettre un peu d’ordre. Duchesne fit donc seul le choix de cette première édition des « Pensées », écartant celles qui étaient difficilement déchiffrables, retouchant celles qui lui semblaient trop longues ou trop courtes. Bien qu’ami des lettres, il n’avait pas un esprit assez exercé pour que ce choix fût satisfaisant, et il est dommage que sur la recommandation du nom de Chateaubriand on se soit habitué, pendant longtemps, à juger Joubert sur une édition qui, étant incomplète et fautive, ne le montre pas dans toute sa splendeur littéraire et philosophique. Mais qui est donc Joubert ? Quel est cet inconnu, cet anonyme, cet inédit qui s’était fait de la perfection une certaine idée qui l’empêchait de rien achever ? Voici comment Sainte-Beuve répond à cette question : « Ce fut un de ces heureux esprits qui passent leur vie à penser ; à converser avec leurs amis ; à songer dans la solitude ; à méditer quelque grand ouvrage qu’ils n’accompliront jamais, et qui ne nous arrive qu’en fragments ». Sur l’un de ses carnets, Joubert écrivait1 : « Je suis comme Montaigne impropre au discours continu ». On peut y lire un aveu d’impuissance ; on peut y lire aussi la marque d’une esthétique chez cet homme qui se disait avare « de [son] encre »2, et qui ne voulait « [se] donner la peine d’exprimer, avec soin, que des choses dignes d’être écrites sur de la soie ou sur l’airain »3. Pensant pour la seule volupté de penser, pensant patiemment, il attendait, pour coucher un mot, que la goutte d’encre qui devait tomber de sa plume se changeât en « goutte de lumière »4, « tourmenté » qu’il était « par la maudite ambition de mettre toujours tout un livre dans une page, toute une page dans une phrase et cette phrase dans un mot »5.
« Sagas islandaises »
Il s’agit de la « Saga d’Eiríkr le Rouge » (« Eiríks Saga rauða ») et autres sagas islandaises. Durant le siècle et demi de leur rédaction, entre les années 1200 et 1350 apr. J.-C., les sagas s’imposent par leur intensité dramatique, par leur style ramassé et presque bourru, par leur réalisme dur, tempéré d’héroïsme et d’exemples de vertu, comme la lecture favorite des hommes du Nord et comme le fleuron de l’art narratif européen. Le mot « saga » vient du verbe « segja » (« dire », « raconter »), qu’on retrouve dans toutes les langues du Nord : danois, « sige » ; suédois, « säga » ; allemand, « sagen » ; néerlandais, « zeggen » ; anglais, « say ». On aurait tort cependant d’attribuer à la Scandinavie entière la paternité de ce genre qui, à une ou deux exceptions près, est typiquement et exclusivement islandais. Il faut avouer que l’Islande est peu connue, en dehors de quelques spécialistes. Il n’est donc pas étonnant que le vulgaire regarde les habitants de cette île lointaine presque avec dédain. Il les considère comme des demi-barbares habillés de peaux de bêtes. Et puis, lorsqu’on vient lui dire que ces misérables sauvages nous ont donné l’ensemble des sagas et tout ce que nous lisons de plus ancien sur les civilisations nordiques, à telle enseigne que la vieille langue de ces civilisations est surnommée « le vieil islandais », cela lui paraît un paradoxe. Mais essayons de rétablir la vérité ! En 874 apr. J.-C. les Norvégiens prirent pied en Islande, où ils ne tardèrent pas à établir une république aristocratique. Quel était le nombre des premiers colons ? C’est ce que rien n’indique. On sait seulement que, parmi ceux qui y construisirent leur demeure, on comptait une majorité de familles nobles fuyant le despote Harald Ier1, trop lasses de sa domination ou trop fières pour l’accepter : « Vers la fin de la vie de Ketill », dit une saga2, « s’éleva la puissance du roi Harald à la Belle Chevelure, si bien qu’aucun [seigneur], non plus qu’aucun autre homme d’importance, ne prospérait dans le pays si le roi ne disposait à lui seul de [toutes les] prérogatives… Lorsque Ketill apprit que le roi Harald lui destinait le même lot qu’aux autres puissants hommes, [il dit à ses proches] : “J’ai des informations véridiques sur la haine que nous voue le roi Harald… ; j’ai l’impression que l’on nous donne à choisir entre deux choses : fuir le pays ou être tués chacun chez soi” ». Tous ceux qui ne voulaient pas courber la tête sous le sceptre du roi, s’en allaient à travers les flots chercher une heureuse « terre de glace » où il n’y avait encore ni autorité ni monarque ; où chaque chef de famille pouvait régner en liberté dans sa demeure, sans avoir peur du roi : « Il y avait là de bonnes terres, et il n’y avait pas besoin d’argent pour les acheter… ; on y prenait du saumon et d’autres poissons à longueur d’année », ajoute la même saga. Les émigrations devinrent en peu de temps si fréquentes et si nombreuses, que Harald Ier, craignant de voir la Norvège se dépeupler, imposa un tribut à tous ceux qui la quitteraient et parfois s’empara de leurs biens.
« Révolté ou révolutionnaire ? Sándor Petőfi à travers son journal, ses lettres [et] écrits polémiques »
Il s’agit de la prose de Sandor Petœfi1, le plus important des poètes hongrois, le chantre au tempérament militaire et à l’âme héroïque et passionnée, qui a exhalé, dans son œuvre comme dans sa vie, un amour effréné de la liberté (XIXe siècle). « Ce n’est pas seulement à une prédication », dit un critique2, « que Petœfi a consacré son talent ; sa vie entière est la mise en œuvre de ce programme… Chacune de ses paroles est une action. Il ne dit pas : “Souffrez ! Espérez !”, mais il souffre et il espère. » Le jour, Petœfi appelle la lutte et engage la bataille ; la nuit, il écrit au bivouac, en face de l’ennemi, au bruit des avant-postes, aux hennissements des chevaux. Il est fougueux, brûlant, excessif même. Avec lui, on assiste à la saisissante vision de mêlées furieuses où le sang jaillit à flots au milieu « du bruit des épées, des clameurs des clairons et des foudres du bronze ». Tyrtée des temps modernes, il trouve, parmi les bouleversements, le secret des harangues qui entraînent à la victoire, font courir joyeusement vers la mort et décident les dévouements héroïques. Il prie Dieu ardemment de ne pas mourir dans un lit, calé entre des oreillers, mais sur le champ d’honneur, comme soldat anonyme de « la liberté du monde ». Il a tout pour lui : le génie, le moment historique, le destin hors série ; et quand à vingt-six ans seulement, il tombe dans cette sainte guerre, le peuple qui chante ses chansons, le peuple dont il est né et pour lequel il est mort, ne veut pas croire que la terre ait osé reprendre sa dépouille mortelle ; et si d’aventure, au milieu du silence, quelque berger entonne dans la lande : « Debout, Hongrois, contre la horde qui convoite nos biens, notre vie !… Mille ans nous observent, nous jugent, d’Attila jusqu’à Rákóczi ! », aussitôt le brave peuple de Hongrie s’écrie sous le chaume : « Vous voyez bien que Petœfi n’est pas mort ! Ne reconnaissez-vous pas sa voix ? »