Legouvé, «Œuvres complètes. Tome I. Théâtre»

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de Ga­briel-Ma­rie-Jean-Bap­tiste Le­gouvé, poète et dra­ma­turge fran­çais (XVIIIe siècle). Fils d’un des avo­cats les plus cé­lèbres de Pa­ris, Le­gouvé eut des dé­buts dif­fi­ciles avant d’écrire, en moins de six se­maines, «La Mort de Henri IV, roi de France». Il fut frappé d’une heu­reuse ins­pi­ra­tion : il pensa que la mé­moire du roi qui avait conquis son royaume à la pointe de l’épée ne pou­vait être in­dif­fé­rente à l’Empereur qui ve­nait de sou­mettre l’Europe; et ju­geant qu’il existe entre les hé­ros un li­gnage d’immortalité, il sol­li­cita de Na­po­léon la fa­veur de lui faire en­tendre son ou­vrage. Il re­çut une ré­ponse fa­vo­rable, et voici, d’après Jean-Ni­co­las Bouilly qui le te­nait de Le­gouvé lui-même, le ré­cit d’une en­tre­vue mé­mo­rable : «Na­po­léon ferme lui-même la porte à double tour, et dé­si­gnant un siège à l’auteur, il l’invite à s’asseoir. Le­gouvé hé­site un ins­tant, et l’Empereur re­prend avec une brusque ur­ba­nité : “Vous vou­lez donc que je reste de­bout?” La lec­ture com­mence… Bien­tôt, au ré­cit fi­dèle de la sainte ami­tié qui unis­sait Henri IV et Sully, de ce bon­heur si rare pour les sou­ve­rains de comp­ter sur un ami vé­ri­table, sur un cœur à toute épreuve, l’Empereur se lève, et re­gar­dant de tous cô­tés, pa­raît cher­cher le féal et brave Mon­te­bello. Res­tant alors de­bout, ap­puyé sur le dos d’un fau­teuil, il suit la lec­ture avec la plus scru­pu­leuse at­ten­tion; et lorsque Talma pro­nonce ce vers dans la bouche du Béar­nais qui pressent sa fin pro­chaine : “Je tremble! Je ne sais quel noir pres­sen­ti­ment…” Na­po­léon l’interrompt tout à coup, et dit à Le­gouvé : “J’espère que vous chan­ge­rez cette ex­pres­sion. Un roi peut trem­bler : c’est un homme comme un autre; mais il ne doit ja­mais le dire”. L’auteur en ef­fet y sub­sti­tue sur-le-champ : “Je fré­mis! Je ne sais…”

Quelques ver­si­fi­ca­tions mé­lo­dieuses, quelques mor­ceaux de style as­sez bien trai­tés, voilà tout ce qu’on peut si­gna­ler

En­fin, la conju­ra­tion s’achève… Sully, éperdu de dou­leur et d’épouvante, vient en faire le tou­chant ré­cit. “Le pauvre homme!… L’excellent homme!…”, pro­nonce plu­sieurs fois Na­po­léon très ému, tan­dis que Jo­sé­phine fond en larmes. “Vous avez bien fait”, ajoute-t-il, “de dé­si­gner les au­teurs de ce crime exé­crable… Il faut vous at­tendre à de nom­breux dé­bats lit­té­raires; mais vous au­rez un grand suc­cès”. Il lui parle alors de ses autres ou­vrages, et lui ex­prime l’intention de don­ner à son ta­lent la ré­com­pense qu’il mé­rite; mais Le­gouvé lui ré­pond mo­des­te­ment qu’il en avait re­cueilli tout le prix, puisqu’il était ho­noré de l’estime pu­blique… “Ainsi vous ne vou­lez rien?”, re­prend Na­po­léon eu je­tant sur lui un re­gard scru­ta­teur : “Quoi! ni pen­sion, ni hon­neurs ne peuvent vous ten­ter! Vous êtes bien un vé­ri­table homme de lettres!” Il le quitte à ces mots» 1. Dès le len­de­main, l’ordre fut donné à la Co­mé­die-Fran­çaise de jouer «La Mort de Henri IV». Quelques ver­si­fi­ca­tions mé­lo­dieuses, quelques mor­ceaux de style as­sez bien trai­tés, voilà tout ce qu’on peut si­gna­ler dans cette pièce comme dans toutes celles que com­posa Le­gouvé. Au­cune ne se main­tint dans le ré­per­toire; et cinq ans plus tard, la re­quête sui­vante, en­voyée à Na­po­léon, at­teste qu’en dé­pit de suc­cès iso­lés, notre au­teur n’avait pas ren­con­tré la for­tune, et qu’il n’était pas aussi op­posé qu’il le pa­rais­sait à l’idée de re­ce­voir une pen­sion : «Votre Ma­jesté Im­pé­riale et Royale, constante pro­tec­trice des lettres et de tout ce qui concourt à la splen­deur des États, a ho­noré de pen­sions des lit­té­ra­teurs connus par leurs tra­vaux. J’oserai en sol­li­ci­ter de sa bien­veillance», etc. 2

Voici un pas­sage qui don­nera une idée de la ma­nière de Le­gouvé :
«Il est des jours de si­nistre pré­sage
Où l’homme dans son cœur cherche en vain son cou­rage,
Où d’affreux mou­ve­ments la triste et sombre hor­reur
Jette dans nos es­prits le trouble et la ter­reur…
Je fré­mis! Je ne sais quel noir pres­sen­ti­ment
Glace, agite, rem­plit mon âme conster­née…
Il me semble en­fin voir ma der­nière jour­née
» 3.

Téléchargez ces œuvres imprimées au format PDF

Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  1. Dans «Tome III», p. X-XI. Haut
  2. Dans Louis-Henry Le­comte, «Na­po­léon et le Monde dra­ma­tique», p. 412-413. Haut
  1. p. 421. Haut