Icône Mot-clefSigismond Sklower

tra­duc­teur ou tra­duc­trice

« Entrevue de Napoléon Iᵉʳ et de Gœthe »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit de l’entrevue d’Erfurt, le 2 oc­tobre 1808, entre Na­po­léon et Gœthe. On dit qu’il y a entre les grands hommes comme une af­fi­nité mys­té­rieuse et sa­crée : ils échangent des re­gards d’, «des ré­ponses sym­pa­thiques, des lueurs d’ à âme» (Bal­zac), ils se com­prennent, ils s’admirent. L’entrevue d’Erfurt, c’est jus­te­ment cette ren­contre de deux grands hommes qui, par delà la di­ver­sité de leurs do­maines, ont senti la d’esprit qui les rap­pro­chait, la force res­pec­tive de leur « fas­ci­na­teur» (Stre­se­mann), leur «réa­lisme au­da­cieux» (Nietzsche) qui les éle­vait, sans ef­fort, à une place unique et sou­ve­raine au sein de leur siècle. Dans «Le Cré­pus­cule des idoles», Nietzsche dit : «Dans la de Gœthe, il n’y eut pas de plus grand évé­ne­ment que cet “ens rea­lis­si­mum” 1 nommé Na­po­léon». Et plus loin : «Le cœur de Gœthe s’est ou­vert de­vant le phé­no­mène Na­po­léon; il s’est re­fermé de­vant les guerres d’indépendance». Et en ef­fet, Gœthe res­tera jusqu’à son der­nier souffle sous le charme de l’entrevue d’Erfurt, qui est «cer­tai­ne­ment son plus grand et le dia­mant de son » (Va­léry). Il n’oubliera ja­mais que l’Empereur l’avait re­tenu pen­dant une heure, à une époque où les rois du sol­li­ci­taient comme une fa­veur quelques mi­nutes d’audience; qu’il lui avait re­mis, de sur­croît, la croix de la Lé­gion d’, si ho­no­rée et si re­cher­chée dans toute l’. «La co­quet­te­rie est es­sen­tielle à un tel en­tre­tien… Na­po­léon se fait Em­pe­reur de l’esprit et même des lettres. Gœthe se sent ici fi­gu­rer l’esprit même» (Va­léry). Quand il re­çut Gœthe, Na­po­léon était as­sis à une grande table ronde, en train de dé­jeu­ner, tan­dis que Tal­ley­rand et le comte Daru se te­naient de­bout der­rière lui. Ils furent bien­tôt re­joints par les ma­ré­chaux Ber­thier et Soult. L’Empereur amena la conver­sa­tion sur «Wer­ther», qu’il por­tait dans sa gi­berne en , di­sant : «J’ai lu sept fois votre “Wer­ther” et tou­jours avec un nou­veau charme». Et il fit une ana­lyse aussi exacte que pro­fonde de l’ouvrage. Gœthe à son tour com­mença à dé­ve­lop­per ses idées sur toutes les ques­tions qui lui étaient po­sées. Na­po­léon l’écouta d’un air mé­di­ta­tif, la tête pen­chée sur sa poi­trine. Tout à coup, il se leva, prit la main du poète et s’écria : «Vous êtes un , conti­nuez!» Et par une es­pèce de ma­nœuvre, il sé­para le poète des autres fi­gu­rants, aux­quels il tourna le dos, et pour­sui­vit l’entrevue à demi-. Après chaque ré­flexion, il ajou­tait : «Qu’en dit M. Gœthe?» Et quand le poète eut pris congé, on en­ten­dit l’Empereur ré­pé­ter à son en­tou­rage ce mot si re­mar­quable : «Voilà un homme!»

  1. «L’être le plus réel» et le plus réa­liste, la quin­tes­sence même de l’ su­pé­rieure, se­lon Nietzsche. Icône Haut