Mao Tsé-toung, « Poésies complètes »

éd. Parti pris, Montréal

éd. Parti pris, Mont­réal

Il s’agit des poèmes au­to­bio­gra­phiques de Mao Tsé-toung 1. Alors que son «Pe­tit Livre rouge» a été pu­blié à des cen­taines de mil­lions d’exemplaires; alors que des trai­tés théo­riques aussi in­si­pides, avouons-le, que ses «De la pra­tique» et «De la contra­dic­tion» ont été les Bibles d’un mil­liard de ; ce que Mao Tsé-toung a écrit de plus beau peut-être a été le moins im­primé : ses poèmes. Ils sont l’œuvre d’un qui fut d’abord bi­blio­thé­caire, cal­li­graphe, stra­tège de la Longue Marche, avant d’être le fa­na­tique re­li­gieux d’une qui se pré­ten­dra mar­xiste et ne le sera ja­mais le moins du . En dé­pit de leur ca­rac­tère na­tio­nal, et même na­tio­na­liste, Mao Tsé-toung hé­sita lon­gue­ment avant de di­vul­guer ces poèmes : sans tra­his­saient-ils quelque op­po­si­tion, et même quelque dé­chi­re­ment, dans la du chef d’État qu’il était de­venu : «Je n’ai ja­mais é qu’ils soient of­fi­ciel­le­ment pu­bliés», se jus­ti­fie-t-il 2, «à cause de leur an­tique; et j’ai de se­mer une mau­vaise graine, qui pour­rait in­fluen­cer de fa­çon in­cor­recte notre . En outre, il y a dans mon tra­vail très peu de , et rien que de très or­di­naire». Re­pla­cés sur la carte, ces poèmes jouent le rôle de stèles éri­gées en des lieux don­nés, pour sou­li­gner, com­mé­mo­rer, cé­lé­brer la geste ré­vo­lu­tion­naire de Mao Tsé-toung, de­puis son dé­part du vil­lage na­tal :

«Fra­giles images de mon dé­part — mau­dite l’ qui passe! —
Du vieux jar­din, il y a trente-deux ans
Le dra­peau rouge alors s’enroulait aux lances des serfs
Et les mains noires te­naient haut le fouet des ty­rans
» 3

jusqu’à son re­tour aux monts Jing gang 4, qui avaient servi de pre­mier bas­tion de l’Armée rouge et de ber­ceau de la ré­vo­lu­tion com­mu­niste :

«Trente-huit an­nées de­puis sont pas­sées
Le d’un cla­que­ment de doigts
» 5.

les che­mins d’une for­mi­dable aven­ture

Ces stèles ja­lonnent la jeu­nesse de Mao Tsé-toung; elles ja­lonnent donc celle de la mo­derne, en mar­quant de leur pré­sence les che­mins d’une for­mi­dable aven­ture. Alors, il im­porte peu qu’elles soient, le plus sou­vent, d’une beauté froide, en­nuyeuse; que le sens des al­lu­sions ins­crites dans la poé­tique échappe au lec­teur; il suf­fit de sa­voir que ces stèles existent, mys­té­rieuses, char­gées pour tou­jours d’une im­por­tance qui ne doit ni s’effacer ni se perdre.

Il n’existe pas moins de cinq tra­duc­tions fran­çaises des poèmes, mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de M. Guy Bros­sol­let.

「大河上下,
顿失滔滔.
山舞银蛇,
原驰蜡象,
欲与天公试比高.」

 Poème dans la ori­gi­nale

«Le Grand Fleuve, en amont, en aval,
A figé sou­dain ses eaux vio­lentes.
Les dansent comme des ser­pents d’argent,
Les pla­teaux ga­lopent comme des élé­phants de cire,
Dis­pu­tant sa hau­teur au Sei­gneur du .»
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Bros­sol­let

«Le fleuve Jaune, en amont, en aval,
Perd sou­dain ses im­pé­tueux élans.
Les mon­tagnes dansent, ser­pents d’argent;
Les mas­sifs courent, élé­phants de cire;
Ils veulent en hau­teur éga­ler le ciel.»
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Ho Ju (éd. en Langues étran­gères, Pé­kin)

«Le Grand Fleuve, en amont, en aval,
A sou­dain figé ses im­pé­tueux élans.
Les mon­tagnes dansent, ser­pents d’argent;
Les col­lines courent, élé­phants de cire
Et lancent au ciel un défi de hau­teur.»
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Jean Billard (éd. Se­ghers, coll. d’aujourd’hui, Pa­ris)

«Et le Grand Fleuve, à l’amont, à l’aval,
A sus­pendu sou­dain son cours puis­sant.
Les chaînes en­nei­gées dan­sant comme ser­pents d’argent,
Les pla­teaux bos­se­lés qui fuient comme élé­phants de cire,
Dis­putent sa hau­teur à Mon­sei­gneur le Ciel.»
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Paul De­mié­ville (dans «Choix d’études si­no­lo­giques : 1921-1970», éd. E. J. Brill, Leyde)

«Au Nord et au Sud du Grand Fleuve
Les eaux cessent de cou­ler.
Les courbes des monts sont des ser­pents d’argent,
Les masses des pla­teaux des élé­phants de cire,
Et leur hau­teur dé­fie le ciel.»
— Poème dans la tra­duc­tion de Mme Pa­tri­cia Guiller­maz (dans «La chi­noise», éd. Se­ghers, Pa­ris)

Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  • Étiemble, «Qua­rante Ans de mon maoïsme (1934-1974)» (éd. Gal­li­mard, Pa­ris).
  1. En chi­nois 毛澤東. Par­fois trans­crit Mao Tsö-tong, Mao Tsö-toung, Mao Tse-tung, Mao Ce Dun, Mao Ce-tung, Mao Ze­tong, Mao Tze Dong ou Mao Ze­dong. Icône Haut
  2. Dans le nu­méro inau­gu­ral de la re­vue «Shi­kan» («诗刊»), c’est-à-dire «Poé­sie». Icône Haut
  3. p. 89. Icône Haut
  1. En chi­nois 井岡山. Icône Haut
  2. p. 111. Icône Haut