Il s’agit de Phérécyde de Syros 1, théologien et mystique, le plus ancien prosateur de la Grèce. Chez presque toutes les nations, les vers ont précédé la prose. Car quoique la prose ait toujours été, comme elle l’est aujourd’hui, le langage commun des hommes, il a été d’abord un temps où l’on ne croyait pas qu’elle méritât d’être transmise à la postérité. Phérécyde de Syros, qui vivait au VIe siècle av. J.-C., écrivit une cosmogonie portant le titre étrange de « L’Antre aux sept replis » 2 (« Heptamychos » 3) ou « Théocrasie » 4 ou encore « Théogonie » 5. C’était le plus ancien ouvrage en prose parmi les Grecs si l’on en croit entre autres Pline l’Ancien, qui dit : « Phérécyde de Syros est le premier qui écrivit en prose » (« prosam orationem condere Pherecydes Syrius instituit »), voulant dire par là que notre auteur fut le premier qui traita de matières plus ou moins philosophiques, et qui s’appliqua à donner à la prose cette espèce d’élévation qui distingue les ouvrages de l’esprit. Diogène Laërce attribue à Phérécyde, outre son livre, une horloge solaire — un « héliotrope » (un « tournesol »), mais il est possible que cet instrument astronomique ne soit qu’une histoire ou, pour mieux dire, une fable dont le point de départ est ce passage d’Homère mal compris : « Il y a une île qu’on nomme Syros… du côté où Hélios tourne » 6. Cicéron, dans ses « Tusculanes », mentionne Phérécyde comme le premier penseur qui ait proposé et soutenu le dogme de l’immortalité de l’âme humaine, qu’il aurait ensuite transmis à Pythagore, son disciple. Enfin, voici une lettre adressée par notre auteur à Thalès : « J’ai donc enjoint à mes serviteurs, lorsqu’ils m’auront enseveli, de t’apporter mon écrit. Publie-le si, après en avoir conféré avec les autres sages, tu juges qu’il mérite d’être lu ; sinon, tu peux le supprimer. Il ne me satisfait pas complètement moi-même. En de telles questions, la certitude est impossible ; aussi, je me flatte moins d’être arrivé à la vérité, que d’avoir fourni matière à réflexion à ceux qui s’occupent de théologie. Du reste, il faut interpréter mes paroles et aller au fond ; car je formule tout sous forme allégorique ».
- En grec « Θεοκρασία ». Parfois traduit « Mélange divin ».
- En grec « Θεογονία ».
- « L’Odyssée », ch. XV.