Il s’agit du roman « Le vent se lève » (« Kaze tachinu » 1) de Tatsuo Hori 2, écrivain japonais, attiré par les lettres françaises (XXe siècle). Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, cet homme malade regarda comme des faveurs toutes les peines que le destin lui envoya pour éprouver sa vertu, comme était la tuberculose qui lui dura toute sa vie ; ou le tremblement de terre qui lui enleva sa mère, mais à la suite duquel des amis le confièrent à l’attention et aux soins du célèbre Akutagawa. Dès le début, les deux se lièrent d’une grande amitié, aidée par des affinités de tempérament et de nature. Akutagawa discerna facilement le potentiel de Hori, et Hori reconnut pleinement le génie de l’autre. Cependant, après le suicide d’Akutagawa, qu’il prit comme l’aveu de l’échec de toute une école littéraire, Hori voulut rompre avec la manière de celui qui avait été son maître et ami. Il se tourna alors vers les écrivains de la France contemporaine, qui venaient d’être introduits au Japon : Cocteau, Radiguet, Mauriac, Proust, etc. Il traduisit, en manière de justification, cette phrase de Gide : « Tous les grands esprits étrangers ont tenu leurs regards sans cesse tournés vers la France » 3. Comme celle de ses modèles, l’œuvre de Hori se caractérise par la place importante qu’y occupent les thèmes autobiographiques. « Le vent se lève », par exemple, se déroule dans un sanatorium pour tuberculeux et décrit la vie et le monde d’un homme et d’une femme dans l’isolement du haut plateau de Nagano, au cœur de la montagne — une vie et un monde qui commencent là où, pour les gens ordinaires, il n’y a plus que l’impasse et la mort. « Entre eux, le souvenir, d’ores et déjà acquis, de cette brève assomption est comme la promesse d’une sorte de communion mystique qui, au-delà de l’arrachement physique, les maintiendra éternellement réunis » 4. Et à mesure que se succèdent les journées de leur courte saison, toutes semblables les unes aux autres, l’homme et la femme finissent par échapper peu à peu à l’emprise du temps. Ce faisant, les moindres circonstances de leur quotidien, aussi insignifiantes fussent-elles, prennent un attrait entièrement nouveau : l’être tiède et parfumé à leurs côtés, sa respiration un peu précipitée, sa main souple, son sourire, les propos qu’ils échangent de temps à autre, sont autant de richesses ignorées de la foule, et qui n’appartiennent qu’à eux seuls : « La monotonie des journées n’était brisée que par les accès de fièvre », dit Hori 5. « Ces jours-là, nous nous efforcions de goûter plus pleinement encore, plus lentement, tel un fruit interdit dont on se délecte en secret, le charme des rites invariables de la journée, si bien que le bonheur que nous procurait cette existence à l’arrière-goût de mort, n’était alors en rien diminué. »
Tatsuo Hori
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