Il s’agit de dame Ise1, dame d’honneur aussi aimable que lettrée, favorite de l’Empereur du Japon (IXe-Xe siècle apr. J.-C.). À une époque où l’Empire du Soleil levant cherchait à faire taire le bruit confus des armes pour écouter la voix de la poésie, dame Ise, favorite d’un Empereur qui avait abdiqué le trône au profit de ses héritiers, deviendra pour la postérité l’initiatrice modeste, mais décisive, d’une « littérature de femmes » qui s’épanouira en chefs-d’œuvre moins d’un siècle plus tard. Les « Histoires qui sont maintenant du passé » nous racontent dans quelles circonstances un messager de l’Empereur vint la prier de composer, pour la première fois, des poèmes pour paravents : « L’Empereur avait commandé des paravents lorsqu’il s’aperçut, au dernier moment, qu’un cartouche était resté vide. Ayant d’urgence convoqué le calligraphe, il essuya encore une déconvenue quand ce dernier lui signala qu’on ne lui avait pas fourni de poèmes à placer dans ce cartouche. En l’absence de Mitsune et de Tsurayuki, l’Empereur [dépêcha donc un messager à] dame Ise, la suppliant de bien vouloir en composer sur-le-champ »2. Les poèmes apportés par le messager furent jugés d’une exécution superbe, et l’Empereur, les ayant considérés, daigna les trouver remarquables. Il les montra à tous ceux qui se trouvaient autour de lui, et comme on les déclamait avec des intonations agréables, on ne tarissait pas d’éloges sur eux. On les lut et relut, après quoi seulement ils furent écrits sur le paravent. « Toujours est-il qu’à partir de cette année-là, dame Ise, qui n’avait guère produit [jusque-là] de poèmes pour paravents, se trouva enrôlée dans la troupe de spécialistes chargés de composer sur commande des poèmes de circonstances officielles et des poèmes pour paravents, [ainsi que] de préparer les concours de poésie qui, de simple passe-temps, devenaient, en cette dernière décennie du siècle, des rencontres très sérieuses », dit Mme Renée Garde3. On publia à titre posthume une anthologie de quatre cents de ses poèmes, que l’on intitula « Ise-shû »4 (« Recueil d’Ise ») et que l’on fit précéder par un « Petit Récit » plus ou moins légendaire de sa vie.
Il n’existe pas moins de deux traductions françaises des poèmes, mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle de Mme Garde.
「み熊野の
浦よりをちに
漕ぐ舟の
われをばよそに
隔てつるかな」— Poème dans la langue originale
« Tout là-bas au large
Des rives de Kumano
S’éloigne la barque ;
Comme de moi, pour voguer
Ailleurs, [mon amant] s’en est allé »
— Poème dans la traduction de Mme Garde
« Du rivage de Mi Kumano
Vers le large s’est éloignée
La barque du rameur ;
De même, pour aller ailleurs,
[Mon amant] m’a quittée. »
— Poème dans la traduction du général Gaston Renondeau (dans « Anthologie de la poésie japonaise classique », éd. Gallimard, coll. UNESCO d’œuvres représentatives, Paris)
Téléchargez ces œuvres imprimées au format PDF
- Traduction partielle de Michel Revon (1923) [Source : Google Livres]
- Traduction partielle de Michel Revon (1918) [Source : Google Livres]
- Traduction partielle de Michel Revon (1910) [Source : Bibliothèque nationale de France].
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Ozawa Masao, « Poétesses du Kokin-shû » dans « Mélanges offerts à M. Charles Haguenauer, en l’honneur de son quatre-vingtième anniversaire : études japonaises » (éd. L’Asiathèque, coll. Bibliothèque de l’Institut des hautes études japonaises, Paris), p. 145-162.