Il s’agit de l’« Œuvre poétique » de M. Kama Sywor Kamanda, auteur congolais d’origine égyptienne (XXe siècle). Il faut soigneusement distinguer, parmi les œuvres de M. Kamanda, celles du poète d’avec celles du conteur. Celles du poète sont véritablement un livre de combat, tout imprégné de l’esprit de ces années de militantisme au cours desquelles les Africains — en particulier les étudiants exilés à Paris au milieu du colonisateur — frustrés de leur histoire nationale, préparaient les voies de l’indépendance en faisant la lumière sur les apports de l’Afrique aux civilisations universelles, et en répandant la thèse que l’homme noir était le premier civilisateur, car de lui était venue la plus grande, la plus illustre et la plus ancienne civilisation : l’égyptienne. Le retour à cette Égypte noire, disaient-ils, était la condition nécessaire pour réconcilier les civilisations africaines avec l’histoire universelle ; pour redonner aux jeunes un passé glorieux, dont ils pouvaient être fiers ; pour renouer le fil rompu. L’« Œuvre poétique » de M. Kamanda s’est associée à ces enjeux. Mais je ne crois pas me tromper en disant que ce gisement de l’Égypte noire, à peine effleuré par M. Kamanda et quelques poètes de la négritude, n’a pas été exploité dans toute sa richesse ; il a été même abandonné au fur et à mesure que l’Afrique a pris en main son destin politique et culturel. Qu’a-t-il donc manqué à ces poètes qui ont consacré tant de veilles à l’Égypte ? Pourquoi, malgré leur admiration pour elle, ne l’ont-ils jamais restituée dans ce qu’elle a de vivant et de fécond ? Il leur a manqué ce qu’a eu la Renaissance gréco-latine : la philologie. Si, au lieu de se contenter des revues générales, ces poètes avaient appris l’égyptien ancien et lu les textes, on n’aurait pas vu le combat de deux Égyptes : l’une restée oubliée dans ses pages originales, l’autre créée par ces poètes plus ou moins artificiellement. Comme dit Ernest Renan1 : « [Seuls] les textes originaux d’une littérature en sont le tableau véritable et complet. Les traductions et les travaux de seconde main en sont des copies affaiblies, et laissent toujours subsister de nombreuses lacunes que l’imagination se charge de remplir. À mesure que les copies s’éloignent et se reproduisent en des copies plus imparfaites encore, les lacunes s’augmentent ; les conjectures se multiplient ; la vraie couleur des choses disparaît ».
la thèse que l’homme noir était le premier civilisateur, car de lui était venue la plus grande, la plus illustre et la plus ancienne civilisation : l’égyptienne
Voici un passage qui donnera une idée du style de l’« Œuvre poétique » :
« Je suis l’œil du commencement
En quête du trône d’Amon.
Osiris, la femme, peu à peu
Glisse vers les ténèbres
Où Ptah te délivre de morts errants.
La mer des sables couvre
La mémoire de mon peuple,
Emporte mes espérances
Et règne au-dessus de nos royaumes.
Ô scarabée sacré,
Ne secoue pas tes ailes !
Un pharaon s’y cache empoussiéré.
Je suis le roi des Bantous,
Longtemps exilé parmi les siens »2.
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- « Cheikh Anta Diop » (éd. L’Harmattan, coll. Nomade, Paris-Montréal)
- Isabelle Cata et Franck Nyalendo, « Kama Sywor Kamanda : chantre de la mémoire égyptienne » (éd. P. Bauler, Luxembourg)
- Ernest Renan, « L’Avenir de la science : pensées de 1848 » (XIXe siècle) [Source : Google Livres].