
éd. École française d’Extrême-Orient, coll. Publications de l’École française d’Extrême-Orient, Paris
Il s’agit du « Journal des rêves » (« Yume no ki » 1) que le moine bouddhiste Myôe 2 a tenu depuis l’âge de dix-neuf ans jusqu’à sa mort, à l’âge de cinquante-neuf ans. On possède des fragments de ce « Journal » sous forme de rouleaux, de fascicules reliés et de feuillets ; ils étaient entreposés par Myôe lui-même dans un coffret en bois, qu’il portait toujours sur lui ; il n’y mettait que des objets précieux qu’il ne voulait pas divulguer au grand public. Sorte de chronique onirique, ce « Journal » se compose de rêves (« yume » 3), d’apparitions ou de visions au cours d’exercices religieux (« kôsô » 4), et de fantasmes ou d’hallucinations (« maboroshi » 5) ; c’est le plus ancien, sinon le seul, document de ce genre au Japon (XIIe-XIIIe siècle). Écrit sans grande portée métaphysique ni visée littéraire, il contient plus de superstition que de foi ; plus de naïveté que d’enseignement ; il fait sourire plus qu’il n’édifie. On y apprend, par exemple, que Myôe conçut par deux fois le projet de se rendre dans la patrie du Bouddha, aux Indes, et qu’il fit même ses bagages ; mais, à cause d’un rêve funeste qu’il eut au dernier moment, il y renonça par deux fois. Et heureusement ; sinon, il aurait pu se faire dévorer par un tigre du Bengale. Pour calmer le dépit que lui causèrent ces annulations, il pratiqua la méditation sur l’île de Taka-shima (« l’île aux Faucons »), en se disant que l’eau des Indes, par je ne sais quel miracle géographique, devait venir jusqu’à cette île. On cite ce mot de lui : « Il n’est pas une pierre [de cette île] sur laquelle je ne me sois assis [pour méditer] » 6. Il emporta une de ces pierres dans ses bagages, et avant de mourir, il lui adressa un poème d’adieu :
« Quand je serai mort,
Si à personne tu ne peux t’attacher,
Envole-toi vite
Et retourne en ton pays,
Ô ! ma pierre de l’île aux Faucons » 7.
Il assure, par exemple, qu’« il faut craindre au plus haut point les rêves, car rien ne se produit qui diffère de ce qu’ils ont prédit »
Myôe s’appelait « le moine sans oreille », et en effet, il lui manquait une oreille ; car quand il eut dix-neuf ans, il décida de se mortifier sévèrement, en jugeant qu’il pratiquait la religion bouddhique trop mollement pour acquérir la vraie sainteté. D’abord, il pensa s’arracher les yeux ; mais, sans yeux, il ne pourrait lire les écrits saints. Alors, il imagina de s’enlever le nez ; mais si des gouttes tombaient librement, elles souilleraient les livres sacrés. Il se coupa donc une des oreilles, en concluant que l’orifice suffirait pour remplir la fonction de l’oreille. La nuit de ce jour-là, il vit en rêve un moine indien lui annonçant que son sacrifice serait consigné dans les registres divins. De là, l’attitude que Myôe a eue envers les rêves, et le rôle « redoutable » qu’il leur accordait. Il assure, par exemple, qu’« il faut craindre au plus haut point les rêves, car rien ne se produit qui diffère de ce qu’ils ont prédit » 8.
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Frédéric Girard, « Le Journal des rêves de Myōe, moine japonais de l’école Kegon » dans « Journal asiatique », vol. 278, p. 167-193
- Ninomiya Masayuki, « La Pensée de Kobayashi Hideo : un intellectuel japonais au tournant de l’histoire » (éd. Droz, coll. Hautes études orientales, Genève-Paris).