Gontcharov, «La Frégate Pallas»

éd. L’Âge d’homme, coll. Classiques slaves, Lausanne

éd. L’Âge d’homme, coll. Clas­siques slaves, Lau­sanne

Il s’agit de «La Fré­gate Pal­las» («Fre­gat Pal­lada» 1), une sé­rie de lettres et de notes écrites par Ivan Alexan­dro­vitch Gont­cha­rov pen­dant son voyage au­tour du monde (1852-1855). Ce fut à la grande sur­prise de ses amis qui le sa­vaient le plus ca­sa­nier des hommes, que Gont­cha­rov ac­cepta en 1852 de prendre part à un voyage di­plo­ma­tique vi­sant à de­van­cer les An­glais et les Amé­ri­cains en ou­vrant l’Extrême-Orient au com­merce russe. Le père d’«Oblo­mov», le ro­man­cier de la pa­resse et de la non­cha­lance, le cam­pa­gnard «né au mi­lieu des terres et n’ayant ja­mais vu la mer» 2, le voilà donc à bord d’une fré­gate prête à le­ver l’ancre! Ce voyage in­at­tendu était en fait la réa­li­sa­tion d’un vieux rêve, ins­piré par les ré­cits de ma­rins en­ten­dus dans son en­fance; c’était aussi une sorte de coup de tête, le pre­mier et le der­nier qu’on connaisse à l’actif de Gont­cha­rov. Lui-même, une fois que la fré­gate fut au large, s’étonna de son au­dace et me­sura en­fin l’énormité de son en­tre­prise; puis, il se sen­tit fai­blir, as­sailli de mille ap­pré­hen­sions : le mal de mer, les cli­mats tro­pi­caux, les fièvres ma­lignes, les tem­pêtes — sur­tout les tem­pêtes. «Je me ré­veillais», dit-il 3, «trem­blant et en sueur; car un na­vire, après tout, aussi so­lide soit-il, aussi adapté à son élé­ment, qu’est-ce d’autre qu’un mor­ceau de bois, une cor­beille sur l’eau…?» Mais, tant bien que mal, il sur­monta ses peurs. Il par­vint à se per­sua­der que l’homme mo­derne avait di­mi­nué les in­cer­ti­tudes des voyages et les dan­gers qui les ac­com­pa­gnaient. On n’était plus au temps où Co­lomb et Vasco de Gama, du pont de leur na­vire, leur fi­gure tour­née vers le large, ten­taient de son­der le mys­tère qui s’étendait de­vant eux. «L’homme de lettres qui voyage [aujourd’hui], bâille mol­le­ment, re­garde l’océan sans bornes avec in­do­lence, se de­mande s’il y a de bons hô­tels au Bré­sil, des blan­chis­seuses sur les îles Sand­wich, ou com­ment se rendre en Aus­tra­lie», dit Gont­cha­rov. Et il conclut : «Les par­ties du monde se rap­prochent : d’Europe en Amé­rique, il n’y a qu’un pas [grâce aux] pro­grès gi­gan­tesques de la na­vi­ga­tion. Pres­sons-nous donc de nous mettre en route; car la poé­sie des loin­tains voyages dis­pa­raît non de jour en jour, mais d’heure en heure! Peut-être sommes-nous les der­niers grands voya­geurs au sens où l’étaient les Ar­go­nautes» 4.

«Les An­ciens avaient rai­son qui met­taient le voyage comme condi­tion in­dis­pen­sable à une édu­ca­tion ache­vée»

Voici un pas­sage qui don­nera une idée du style de «La Fré­gate Pal­las» : «Pé­né­trer une vie étran­gère — vie d’un groupe ou d’un seul in­di­vidu — donne à l’observateur une le­çon sur l’ensemble de l’humanité et sur la psy­cho­lo­gie in­di­vi­duelle comme on n’en peut trou­ver ni à l’école ni dans les livres. Les An­ciens avaient rai­son qui met­taient le voyage comme condi­tion in­dis­pen­sable à une édu­ca­tion ache­vée. Chez nous, il est de­venu un luxe et une dis­trac­tion. Peut-être, en ef­fet, sans idée, sans pré­pa­ra­tion, n’est-ce qu’une dis­trac­tion si l’on n’imagine et n’observe rien; mais heu­reux ce­lui qui peut se dis­traire de cette noble fa­çon par la­quelle, même sans le vou­loir, il ap­prend tou­jours quelque chose» 5.

Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  • Jean Blot, «Ivan Gont­cha­rov (1812-1891)» dans «His­toire de la lit­té­ra­ture russe. Tome II, part. 2. Le Temps du ro­man» (éd. Fayard, Pa­ris), p. 172-185
  • An­dré Ma­zon, «Un Maître du ro­man russe : Ivan Gont­cha­rov (1812-1892)» (éd. É. Cham­pion, coll. Bi­blio­thèque de l’Institut fran­çais de Saint-Pé­ters­bourg, Pa­ris).
  1. En russe «Фрегат Паллада». Haut
  2. p. 15. Haut
  3. p. 17. Haut
  1. p. 17-18. Haut
  2. p. 43. Haut