Il s’agit des « Sentences du mime Publilius Syrus » (« Publilii Syri mimi Sententiæ »). J’imagine que beaucoup de lecteurs, même parmi les amateurs des lettres latines, n’ont jamais entendu parler de Publilius Syrus1. Et pourtant, le nom de cet auteur de comédies bouffonnes nous est venu escorté des éloges de la postérité ; car quatre siècles après sa mort, on le faisait lire encore dans les écoles publiques, pour initier la jeunesse aux beautés de la langue latine. Au dire de saint Jérôme, Publilius « régna sur la scène de Rome » (« Romæ scenam tenet ») de César à Auguste, et sa renommée fut loin de périr avec lui. Sénèque lui fait plusieurs emprunts et revient souvent sur ses qualités : c’est, dit-il2, « un poète plus vigoureux que les tragiques et les comiques, quand il renonce aux plates bouffonneries du mime et aux mots faits pour le public des [derniers] gradins ». « Combien de vers », écrit-il ailleurs3, « d’une frappe admirable, enfouis dans la collection de nos mimes ! Que de pensées de Publilius qui devraient avoir pour interprètes non des pitres déchaussés, mais des tragédiens en cothurnes ! » (Les acteurs de comédies bouffonnes jouaient pieds nus.) Macrobe et Aulu-Gelle, qui ont le plus contribué, avec Sénèque, à nous conserver ces « Sentences », ne les vantent pas moins que lui. Pétrone, qui en admire l’auteur jusqu’à le mettre en parallèle avec Cicéron, n’accorde à ce dernier que la supériorité de l’éloquence : « Je crois », dit-il, « que Publilius était plus honnête » (« honestiorem fuisse »). Enfin, La Bruyère a semé dans ses « Caractères », qui sont sans contredit l’un des plus beaux ouvrages que nous ayons en langue française, la meilleure partie de ces « Sentences » : il en a traduit quelques-unes, il a donné aux autres un peu plus d’étendue, en les présentant sous plusieurs angles différents. Je n’en rapporterai ici que deux exemples. 1o Publilius : « La crainte de la mort est plus cruelle que la mort elle-même » (« Mortem timere crudelius est quam mori »). La Bruyère : « Il est plus dur d’appréhender la mort que de la souffrir ». 2o Publilius : « La vie, par elle-même, est courte, mais les malheurs la rendent bien longue » (« Brevis ipsa vita est, sed malis fit longior »). La Bruyère : « La vie est courte, si elle ne mérite ce nom que lorsqu’elle est agréable ».
Publilius était encore enfant lorsqu’il fut emmené esclave à Rome par quelque bas officier de l’armée, appelé Domitius. Comme c’est en l’année 64 av. J.-C. que la Syrie, où naquit notre auteur, fut réduite en province romaine, on peut supposer sans trop d’invraisemblance que c’est en cette année-là qu’il tomba dans l’esclavage. Il reçut alors le nom de Syrus, c’est-à-dire « le Syrien », selon l’usage qui faisait donner aux esclaves un nom formé sur celui de leur patrie. Le jeune Publilius était beau, bien fait ; il avait l’esprit vif et la repartie prompte. Domitius l’ayant un jour envoyé chez son patron, ce dernier fut frappé par la noblesse de ses manières et par la beauté de sa figure. « Un beau visage est une recommandation tacite » (« Formosa facies muta commendatio est »), dira plus tard Publilius. Le patron demanda à Domitius son petit esclave ; le don lui en fut fait aussitôt. Publilius ne tarda pas à étonner, par une intelligence et des instincts au-dessus de son âge, son nouveau maître. Celui-ci voulut qu’une éducation très soignée répondît à d’aussi heureuses dispositions, et il la lui fit donner. Il y joignit même le don de la liberté. Publilius prouvera plus tard sa reconnaissance envers son maître par ce vers-ci : « Dans l’esclave affranchi, c’est un fils qu’on se donne » (« Probus libertus sine natura est filius »).
l’intérêt des vérités morales
À sa libération, Publilius prit le nom sous lequel il est connu, et il décida de s’appliquer à la composition de comédies bouffonnes. Faisant, comme Molière, ses premières tournées dans les villes de province, il obtint de très grands succès, avant de paraître à la capitale durant un concours que César y donna. Il défia tous ceux qui, à cette époque, exposaient sur la scène. Tous acceptèrent le défi et tous furent vaincus, y compris Labérius, chevalier romain. Comme celui-ci se retirait, Publilius lui dit : « Celui que tu as combattu comme auteur, sois-lui favorable comme spectateur ». Labérius lui fit cette réponse : « Tout le monde ne peut pas tout le temps être au premier rang… et la chute est plus rapide que l’ascension. Je suis tombé, moi ; mon successeur tombera ; la gloire est chose publique »4. De tous les ouvrages que composa Publilius, il ne nous reste qu’à peu près mille cent « Sentences » qui en furent extraites et rangées par ordre alphabétique. En sachant que Publilius s’est servi de la langue latine du meilleur siècle ; que le recueil qui porte son nom se distingue par l’à-propos et par l’intérêt des vérités morales ; en ajoutant que chaque pensée est exprimée avec une précision remarquable, dans un seul vers, on aura quelque peine à s’expliquer le peu de popularité que les âges modernes ont réservé à la mémoire d’un pareil ouvrage et d’un pareil auteur.
Il n’existe pas moins de neuf traductions françaises des « Sentences du mime Publilius Syrus », mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle de Jules Chenu.
« Fortuna magna, magna domino est servitus. • Multis placere quæ cupit, culpam cupit. • Ars non ea est, quæ casu ad effectum venit. • Non corrigit, sed lædit, qui invitum regit. • Legem nocens veretur ; fortunam, innocens. • Nil agere semper infelici est optimum. »
— Sentences dans la langue originale
« Une grande fortune est pour le possesseur une grande servitude. • Une femme qui cherche à plaire à plus d’un homme, cherche à devenir coupable. • Il n’y a point d’art quand le résultat obtenu est un effet du hasard. • On ne corrige pas, mais on blesse, celui que l’on veut gouverner malgré lui. • Le coupable craint la loi ; l’innocent, la fortune. • L’homme malheureux fait toujours bien de ne rien entreprendre. »
— Sentences dans la traduction de Chenu
« Une grande fortune est un grand esclavage. • Femme qui veut trop plaire aspire à l’adultère. • Ce qui naît du hasard est étranger à l’art. • La violence blesse et ne corrige pas. • Coupable, crains la loi ; innocent, la malchance. • Cœur malheureux fait bien de ne rien entreprendre. »
— Sentences dans la traduction de M. Edmond Robillard (éd. Vermillon, coll. Visages, Ottawa)
« Une grande fortune est une grande entrave ; tel qu’on en croit le maître, en est souvent l’esclave. • Femme qui s’évertue à plaire à tout le monde, n’a pas pour le péché de haine bien profonde. • Un résultat venu de cause fortuite ne prouve assurément ni l’art ni le mérite. • On le blesse, plutôt que de le corriger, l’homme que malgré lui l’on prétend diriger. • Le méchant craint les lois au bras vengeur et fort ; le sage les respecte et ne craint que le sort. • Mieux vaut, quand le guignon est toujours sur nos pas, ne plus tenter la chance et nous croiser les bras. »
— Sentences dans la traduction de … Souesme (XIXe siècle)
« Une grande fortune est un grand esclavage. • En cherchant trop à plaire, on s’expose à faillir. • L’art n’a rien à créer dans l’effet du hasard. • Redresser malgré lui quelqu’un, c’est le blesser. • Le fripon craint la loi ; le sage, la fortune. • Pour l’homme malheureux, le mieux est ne rien faire. »
— Sentences dans la traduction d’Anacharsis Combes (XIXe siècle)
« Une grande fortune est une grande servitude. • Celle qui cherche à plaire à plus d’un homme, cherche à faillir. • L’art n’est pour rien dans l’événement dont le hasard a produit le résultat. • On ne corrige pas, mais on blesse, celui qu’on gouverne malgré lui. • Le coupable craint la loi ; l’innocent, la fortune. • Pour l’homme malheureux, le mieux est de ne rien entreprendre. »
— Sentences dans la traduction de Théophile Baudement (XIXe siècle)
« Une grande fortune est pour son possesseur un grand esclavage. • (lacune) • (lacune) • Ce n’est pas corriger, mais blesser, que de vouloir gouverner quelqu’un malgré lui. • Le coupable craint la loi ; l’innocent, la fortune. • Ne rien faire est toujours ce qu’un homme malheureux peut faire de mieux. »
— Sentences dans la traduction de Francis Levasseur (XIXe siècle)
« Les grandeurs sont pour les grands un grand esclavage. • (lacune) • (lacune) • Ce n’est pas corriger, mais blesser, que de vouloir gouverner quelqu’un malgré lui. • Le coupable craint la loi ; l’innocent, la fortune. • Ne rien faire est toujours ce qu’un homme malheureux peut faire de mieux. »
— Sentences dans la traduction de Francis Levasseur, revue par Émile Pessonneaux (XIXe siècle)
« Une grande fortune est un grand esclavage pour celui qui en jouit. • (lacune) • (lacune) • (lacune) • Le criminel craint la loi ; l’homme de bien craint la fortune. • (lacune) »
— Sentences dans la traduction de Jacques Accarias de Sérionne (XVIIIe siècle)
« (lacune) • (lacune) • (lacune) • (lacune) • Le malfaiteur craint la loi ; l’homme de bien, la fortune. • À celui qui est malheureux à manier affaires, il est toujours très bon se reposer et ne rien faire. »
— Sentences dans la traduction de Charles Fontaine (XVIe siècle)
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- Henri Joseph Guillaume Patin, « Les “Mimes” : Labérius et Publius Syrus » dans « Études sur la poésie latine, 3e édition. Tome II » (XIXe siècle), p. 346-365 [Source : Google Livres].
- On rencontre aussi les graphies Publius Syrus, Publilius Lochius et Publianus, dit Publian.
- « Dialogues. Tome IV. De la Providence • De la constance du sage • De la tranquillité de l’âme • De l’oisiveté », liv. IX, ch. XI, sect. 8.
- « Lettres à Lucilius », lettre VIII, sect. 8.
- Macrobe, « Les Saturnales », liv. II.