« Hypatie : l’étoile d’Alexandrie »

éd. Arléa, coll. Post Scriptum, Paris

éd. Ar­léa, coll. Post Scrip­tum, Pa­ris

Il s’agit d’Hypatie1, femme sa­vante, ad­mi­rable par sa vertu, et que les chré­tiens d’Alexandrie tuèrent bar­ba­re­ment pour sa­tis­faire l’orgueil, le fa­na­tisme et la cruauté de leur pa­triarche Cy­rille (IVe-Ve siècle apr. J.-C.). Elle eut pour père Théon d’Alexandrie, phi­lo­sophe, as­tro­nome et ma­thé­ma­ti­cien. Elle s’occupa des mêmes sciences que son père et s’y dis­tin­gua tel­le­ment, que sa mai­son de­vint bien­tôt le ren­dez-vous des pre­miers ma­gis­trats de la ville, des let­trés et des in­tel­lec­tuels. On la re­pré­sente al­lant cou­verte du man­teau des phi­lo­sophes, fixant tous les re­gards sur elle, mais in­sou­ciante de sa beauté, ex­pli­quant à qui dé­si­rait l’entendre soit Pla­ton, soit tout autre pen­seur. On se pres­sait en foule à ses le­çons : « il y avait », dit l’encyclopédie Souda2, « une grande bous­cu­lade à sa porte “d’hommes et de che­vaux en­semble”3, les uns qui s’en ap­pro­chaient, les autres qui s’en éloi­gnaient, d’autres en­core qui at­ten­daient ». On ne consi­dé­rait pas comme in­dé­cent qu’elle se trou­vât parmi tant d’hommes, car tous la res­pec­taient en rai­son de son ex­trême éru­di­tion et de la gra­vité de ses ma­nières. De plus, les sciences ac­qué­raient un charme spé­cial en pas­sant par sa gra­cieuse bouche et par sa douce voix de femme. L’un de ceux qui as­sis­taient à ses cours, ra­conte l’encyclopédie Souda, ne fut pas ca­pable de conte­nir son dé­sir et lui dé­clara sa flamme ; en guise de ré­ponse, elle ap­porta un linge en­san­glanté de ses mens­trua­tions et le lui lança, en di­sant : « Voilà ce dont tu es épris, jeune homme, et ce n’est pas quelque chose de bien beau ! »4 Elle compta parmi ses dis­ciples Sy­né­sios de Cy­rène, et les lettres de ce der­nier té­moignent suf­fi­sam­ment de son en­thou­siasme et de sa ré­vé­rence pour celle qu’il ap­pelle « ma mère, ma sœur, mon maître et, à tous ces titres, ma bien­fai­trice ; l’être et le nom qui me sont les plus chers au monde »5. La CXXIVe lettre de Sy­né­sios com­mence ainsi : « “Même quand les morts ou­blie­raient chez Ha­dès”6, moi, je me sou­vien­drai, là-bas en­core, de ma chère Hy­pa­tie ». D’autre part, on trouve dans l’« An­tho­lo­gie grecque », sous la plume de Pal­la­das, cette épi­gramme à l’honneur de la femme phi­lo­sophe : « Toutes tes pen­sées, toute ta vie ont quelque chose de cé­leste, au­guste Hy­pa­tie, gloire de l’éloquence, astre pur de la sa­gesse et du sa­voir »7.

« Toutes tes pen­sées, toute ta vie ont quelque chose de cé­leste, au­guste Hy­pa­tie »

Tant de belles qua­li­tés ne purent man­quer de faire naître la ja­lou­sie dans l’âme basse et cruelle de Cy­rille. Ce « saint » pa­triarche, qui don­nait la chasse aux juifs d’Alexandrie et per­met­tait à la po­pu­lace de piller leurs ef­fets, avait des pré­ten­tions à l’éloquence et au sa­voir. Il pous­sait la va­nité jusqu’à pos­ter des gens afin de battre des mains et d’applaudir pu­bli­que­ment ses dis­cours. Un jour, pas­sant de­vant la mai­son d’Hypatie, il fut si pi­qué de la trou­ver en­tou­rée d’une foule de monde ve­nue de par­tout, que dès ce mo­ment il ré­so­lut sa perte. C’est en vain que les chré­tiens ont cher­ché et cherchent en­core à jus­ti­fier ce crime, les uns en ac­cu­sant Hy­pa­tie de s’être « constam­ment oc­cu­pée de ma­gie, d’astrologie » et d’avoir ainsi pro­vo­qué sa propre ruine « par les ar­ti­fices de Sa­tan »8 ; les autres en at­tri­buant ce meurtre à des sé­di­tieux qui au­raient agi « à l’insu de Cy­rille »9. Rien ne sert de dis­si­mu­ler que c’est les « fi­dèles du Sei­gneur », ameu­tés par le pa­triarche et conduits par un cer­tain Pierre, « par­fait ser­vi­teur de Jé­sus-Christ », qui guet­tèrent Hy­pa­tie qui ren­trait chez elle. Ils choi­sirent à des­sein un temps de jeûne so­len­nel — le ca­rême — ce qui per­met de ju­ger des mœurs de ces « dé­vots » et de la mo­rale que pou­vait leur prê­cher un pas­teur tel que Cy­rille. Ils traî­nèrent la pauvre femme à l’église nom­mée Cé­sa­rion10. L’ayant dé­pouillée de ses vê­te­ments, ils l’assommèrent à coups de tes­sons de po­te­rie. Après cela, ils ha­chèrent son corps en plu­sieurs mor­ceaux qu’ils por­tèrent, en­core dé­gou­li­nants, à tra­vers la ville, avant de les dé­truire par le feu. Ac­tion odieuse et qui pa­raî­trait in­croyable si elle n’était at­tes­tée par tous les his­to­riens ! Ac­tion d’« une meute ser­rée d’hommes fé­roces, vrai­ment mé­pri­sables, ne crai­gnant ni l’œil des dieux ni la ven­geance des hommes », dit très bien l’encyclopédie Souda11.

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  1. En grec Ὑπατία. Au­tre­fois trans­crit Hi­pa­thia, Hy­pa­thia, Hy­pa­thie, Hi­pa­tia ou Hy­pa­tia. Haut
  2. En grec « πολὺν ὠθισμὸν ὄντα πρὸς ταῖς θύραις, ἐπιμὶξ ἀνδρῶν τε καὶ ἵππων, τῶν μὲν προσιόντων τῶν δὲ ἀπιόντων τῶν δὲ καὶ προσισταμένων ». Haut
  3. « L’Iliade », liv. XXI, v. 16. Haut
  4. En grec « Τούτου μέντοι ἐρᾷς, ὦ νεανίσκε, καλοῦ δὲ οὐδενός ». Haut
  5. lettre XVI. Haut
  6. « L’Iliade », liv. XXII, v. 389. Haut
  1. « Tome I », p. 311. Haut
  2. Jean de Ni­kiou. Haut
  3. Mme Ma­ria Dzielska. Haut
  4. Il s’agit du pa­lais élevé par Cléo­pâtre au fils qu’elle avait eu de Jules Cé­sar et qui s’appelait Cé­sa­rion. Lorsque Constan­tin le Grand, l’Empereur des chré­tiens, monta sur le trône, il conver­tit cet édi­fice en une église. Haut
  5. En grec « ἐπιθέμενοι πολλοὶ ἀθρόοι θηριώδεις ἄνθρωποι, ὡς ἀληθῶς σχέτλιοι, οὔτε θεῶν ὄπιν εἰδότες οὔτ’ ἀνθρώπων νέμεσιν ». Haut