Il s’agit de la « Fille du monde » (« Korê kosmou » 1) et autres traités du « Corpus hermeticum », compilation ésotérique née de la rencontre des idées religieuses de l’Égypte et des superstitions savantes de la Grèce (Ier-IIIe siècle apr. J.-C.). Au début de notre ère, le rationalisme grec craque de toute part. La science humaine, jugée trop restreinte et sujette à l’erreur, cède la place aux révélations qu’obtient l’art du mage, de l’alchimiste, du nécromancien. Chez l’élite intellectuelle se répand le désir des connaissances immédiates, venues par voie surnaturelle ; le goût de l’invisible, de l’initiation occulte ; la curiosité pour l’au-delà. Les Grecs ont de plus en plus recours à un certain nombre de « sagesses révélées », qu’ils attribuent soit à des sages perses (Zoroastre, Ostanès, Hystaspe) ; soit à un dieu égyptien (Thoth-Hermès) ; soit à des oracles de la Chaldée (« Oracles chaldaïques »). Parmi ces « sagesses révélées », celle attribuée au dieu Hermès Trismégiste 2 (« Hermès le trois fois très grand ») est peut-être la plus importante — et par le grand nombre d’écrits qu’elle a laissés, et par sa postérité qui survit dans les mots « hermétisme », « hermétique », etc. Mais qui est donc cet Hermès ? Il est à identifier avec Thoth, le dieu-scribe qui donna l’écriture aux Égyptiens, lesquels, par l’intermédiaire des Phéniciens, la transmirent ensuite à la Grèce : « Thoth », raconte Platon 3, « vint trouver le [pharaon], lui montra l’art [des lettres] qu’il avait inventé, et lui dit qu’il fallait en faire part à tous les Égyptiens… “Cette science, ô roi”, lui dit Thoth, “rendra les Égyptiens plus savants et soulagera leur mémoire ; c’est un remède que j’ai trouvé contre la difficulté d’apprendre et de savoir” ».
la rencontre des idées religieuses de l’Égypte et des superstitions savantes de la Grèce
Ce dieu est l’un des plus anciens et des plus adorés de la religion égyptienne, et il n’est pas difficile de comprendre pourquoi les colons étrangers installés en Égypte et sans cesse tiraillés dans des sens contraires par des religions de toute sorte, se sont prévalus de lui en le transposant dans le cadre très large et très tolérant de leur polythéisme. Telle est l’origine d’Hermès Trismégiste, qui est l’Hermès grec, mais égyptianisé ; ou le Thoth égyptien, mais hellénisé. « Hermès a tout connu », dit un des livres hermétiques 4, « il vit l’ensemble des choses ; et ayant vu, il comprit ; et ayant compris, il eut puissance de révéler et de montrer. En effet, [ces] choses qu’il connut, il les grava [et les rendit immortelles par ces mots] : “Ô livres sacrés qui fûtes écrits par mes mains impérissables… demeurez à travers les temps de tout siècle imputrescibles et incorruptibles, sans que vous voie, ni vous découvre aucun de ceux qui devront parcourir les plaines de cette terre, jusqu’au jour où le ciel vieilli enfantera des organismes dignes de vous”. »
« Les livres hermétiques », dit Louis Ménard, « sont les derniers monuments du paganisme. Ils appartiennent à la fois à la philosophie grecque et à la religion égyptienne ; et par l’exaltation mystique, ils touchent déjà au Moyen Âge. Ils représentent bien l’opinion commune de cette population alexandrine si mêlée… faisant un mélange confus de dogmes hétérogènes. Entre un monde qui finit et un monde qui commence, ils ressemblent à ces êtres d’une nature indécise qui servent de passage entre les classes de la vie organisée : les zoophytes, sortes d’animaux-plantes ; les amphibiens, demi-reptiles, demi-poissons ; les ornithodelphes, qui ne sont ni des oiseaux ni des mammifères… Les livres d’Hermès Trismégiste ne peuvent soutenir la comparaison ni avec la religion d’Homère ni avec la religion chrétienne, mais ils font comprendre comment le monde a pu passer de l’une à l’autre. »
Il n’existe pas moins de deux traductions françaises de la « Fille du monde », mais s’il fallait n’en choisir qu’une seule, je choisirais celle d’André-Jean Festugière.
« Ῥίζας φυτῶν ἀνασκάψουσιν ἄνθρωποι καὶ ποιότητας ἐξετάσουσι χυλῶν. Λίθων φύσεις ἐπισκοπήσουσι καὶ διὰ μέσων ἀνατεμοῦσι τῶν ζῴων τὰ ἄλογα οὐ μόνον, ἀλλὰ καὶ ἑαυτούς, ὡς ἐγένοντο ἐξετάζειν θέλοντες. Τολμηρὰς ἐκτενοῦσι χεῖρας καὶ μέχρι θαλάσσης καὶ τὰς αὐτοφυεῖς ὕλας τέμνοντες μέχρι καὶ τῶν πέραν διαπορθμεύσουσιν ἀλλήλους. Ἐπιζητήσουσιν καὶ τίς ἐνδοτέρω τῶν ἱερῶν ἀδύτων φύσις ὑπάρχει. Τὰ μέχρις ἄνω διώξουσι, παρατηρῆσαι βουλόμενοι τίς οὐρανοῦ καθέστηκε κίνησις. Ἔτι μέτρια ταῦτα· λείπει γὰρ οὐδὲν ἔτι πλὴν γῆς τόπος ἔσχατος· ἀλλὰ καὶ τούτου τὴν ἐσχάτην τῷ θέλειν ἐρευνήσουσι νύκτα. »
— Début dans la langue originale
« Les hommes arracheront les racines des plantes, et ils examineront les qualités des sucs. Ils scruteront les natures des pierres, et ils ouvriront par le milieu ceux des vivants qui n’ont point de raison. Que dis-je ? Ils disséqueront leurs semblables, dans leur désir d’examiner comment ils ont été formés. Ils tendront leurs mains audacieuses jusqu’à la mer, et abattant les forêts qui poussent d’elles-mêmes, ils se transporteront les uns les autres, de rivage à rivage, jusqu’aux terres qui sont au-delà. Ils rechercheront même quelle nature se cache plus au fond des sanctuaires inaccessibles. Ils poursuivront la réalité jusqu’en haut, avides d’apprendre par leurs observations quel est l’ordre établi du mouvement céleste. C’est encore peu que cela. Oui bien, il ne reste plus rien que le point extrême de la terre : mais de cela même, par leur vouloir, ils iront explorer la nuit totale. »
— Début dans la traduction de Festugière
« Les hommes arracheront les racines des plantes, étudieront les propriétés des sucs naturels, observeront la nature des pierres, disséqueront non seulement les animaux, mais eux-mêmes, voulant savoir comment ils ont été formés. Ils étendront leurs mains hardies jusque sur la mer, et coupant le bois des forêts spontanées, ils passeront d’une rive à la rive opposée pour se chercher les uns les autres. Les secrets intimes de la nature, ils les poursuivront jusque dans les hauteurs et voudront étudier les mouvements du ciel. Ce n’est pas encore assez ; il ne reste plus à connaître que le point extrême de la terre : ils y voudront chercher l’extrémité dernière de la nuit. »
— Début dans la traduction de Louis Ménard (XIXe siècle)
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- Traduction de François de Foix, comte de Candale, modernisée par Georges Gabory (1920) [Source : Canadiana]
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- André-Jean Festugière, « La Révélation d’Hermès Trismégiste » (éd. Les Belles Lettres, coll. Études anciennes-Série grecque, Paris)
- Eugenio Garin, « Hermétisme et Renaissance » (éd. Allia, Paris)
- Alain Verse, « Postface aux “Trois Révélations” d’Hermès Trismégiste » (éd. Les Belles Lettres, coll. Aux sources de la tradition, Paris).