Graffigny, «Correspondance. Tome XI. Lettres 1570-1722 (2 juillet 1750-19 juin 1751)»

éd. Voltaire Foundation-Taylor Institution, Oxford

éd. Vol­taire Foun­da­tion-Tay­lor Ins­ti­tu­tion, Ox­ford

Il s’agit de la «Cor­res­pon­dance» de Fran­çoise de Graf­fi­gny 1, femme de lettres fran­çaise (XVIIIe siècle), dont le bel es­prit et l’élégance du style firent dirent à un cri­tique 2 «qu’elle fai­sait in­fi­dé­lité à son sexe, en usur­pant les ta­lents du nôtre». Née Fran­çoise d’Happoncourt, elle fut ma­riée — ou pour mieux dire — sa­cri­fiée à Fran­çois Hu­guet de Graf­fi­gny, homme em­porté, ja­loux et ex­trê­me­ment violent. Dès les pre­mières an­nées de vie conju­gale, elle se vit ex­po­sée aux mé­pris et aux in­sultes; des in­jures, son mari en vint aux coups, et la chose fit tant d’éclat qu’étant par­ve­nue à la po­lice, il y eut ordre d’emprisonner cet homme bru­tal qui, si­tôt re­lâ­ché, fit suivre ses pre­miers ex­cès par quan­tité d’autres. Il lui ar­riva plu­sieurs fois de ter­ras­ser son épouse à coups de pied et de poing, et après une fausse couche qu’elle eut, de lui mettre l’épée nue sur l’estomac. La pauvre femme per­dit tous ses en­fants en bas âge et eut beau­coup à souf­frir; la lettre sui­vante le montre as­sez : «Mon cher père», y dit Graf­fi­gny 3, «je suis obli­gée dans l’extrémité où je me trouve de vous sup­plier de ne me point aban­don­ner et de m’envoyer au plus vite cher­cher par M. de Ra­ré­court, car je suis en grand dan­ger et suis toute bri­sée de coups. Je me jette à votre mi­sé­ri­corde et vous prie que ce soit bien vite». Après avoir pen­dant de longues an­nées donné des preuves d’une pa­tience hé­roïque, elle par­vint à ob­te­nir une sé­pa­ra­tion ju­ri­dique. Li­bé­rée des hor­ribles chaînes qu’elle avait trop long­temps por­tées, elle vint à Pa­ris. Sa vie n’avait été qu’un tissu de mal­heurs et de désa­gré­ments, et ce fut dans ces mal­heurs qu’elle puisa le sen­ti­ment d’une im­mense tris­tesse, d’une mé­lan­co­lie de tous les ins­tants qui ca­rac­té­risa son ro­man «Lettres d’une Pé­ru­vienne» : «Il ne me reste», y dit-elle 4, «que la triste conso­la­tion de [vous] peindre mes dou­leurs… Que j’ai de joie à [vous les] dire, à leur don­ner toutes les sortes d’existences qu’elles peuvent avoir! Je vou­drais les tra­cer sur le plus dur mé­tal, sur les murs de ma chambre, sur mes ha­bits, sur tout ce qui m’environne, et les ex­pri­mer dans toutes les langues». Mais ce ro­man et un ou deux autres qu’elle écri­vit n’égalèrent ja­mais tout à fait ce­lui de sa vie; et plus en­core que dans les «Lettres d’une Pé­ru­vienne», les lec­teurs trou­ve­ront de l’intérêt dans les mil­liers de lettres qui consti­tuent sa vé­ri­table «Cor­res­pon­dance».

Sa vie n’avait été qu’un tissu de mal­heurs et de désa­gré­ments

Voici un pas­sage qui don­nera une idée du style de la «Cor­res­pon­dance» : «Sais-tu que l’ambassadeur vien­nois a fait des choses qui étonnent tout le monde? Il a en­voyé chez la mar­quise [de Pom­pa­dour] la com­pli­men­ter avant d’avoir pris au­cune au­dience, et sa pre­mière vi­site après [celle des deux] cou­ronnes a été chez elle. Elle lui a parlé de sa mai­son. C’est le Pa­lais Bour­bon, qu’il loue 25 000 francs 5. Tu ne sais peut-être pas cela, ché­tif pro­vin­cial. Elle lui a donc dit que son hô­tel était bien propre à don­ner des fêtes. Il l’a prise au mot, l’a priée d’en ac­cep­ter une. Elle l’a ac­cep­tée, et il la don­nera in­ces­sam­ment» 6.

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  1. On ren­contre aussi les gra­phies Gra­fi­gny, Gra­fi­gni et Graf­fi­gni. Haut
  2. Étienne-Guillaume Co­lombe. Haut
  3. «Cor­res­pon­dance. Tome I», p. 1. Haut
  1. «Lettres d’une Pé­ru­vienne», p. 155. Haut
  2. Loyer confirmé par le «Jour­nal» d’Edmond-Jean-François Bar­bier : «Le comte de Kau­nitz, am­bas­sa­deur de l’Empereur, est ar­rivé à Pa­ris; il loge au Pa­lais de Bour­bon, qu’il loue, dit-on, 25 000 livres par an; on y fait les pré­pa­ra­tifs d’une nom­breuse mai­son» (oc­tobre 1750). Haut
  3. p. 234. Haut