«Auguste et Athénodore»

dans « Revue des études anciennes », vol. 47, p. 261-273 ; vol. 48, p. 62-79

dans «Re­vue des études an­ciennes», vol. 47, p. 261-273; vol. 48, p. 62-79

Il s’agit d’Athénodore (le) Ca­na­nite 1 ou Athé­no­dore de Tarse 2, phi­lo­sophe grec, pré­cep­teur et ami in­time d’Auguste. Plu­sieurs hommes ont porté le nom d’Athénodore. Ce­lui dont je me pro­pose de rendre compte ici est le plus cé­lèbre, ayant fait une par­tie de sa car­rière à Rome, dans l’entourage im­mé­diat d’Auguste. Il est per­mis de pen­ser qu’il fut pour quelque chose dans la clé­mence et la dou­ceur que cet Em­pe­reur fit pa­raître au cours de son règne. Ayant at­teint un grand âge, Athé­no­dore de­manda à Au­guste la per­mis­sion de re­tour­ner à Tarse, sa pa­trie, et conseilla en par­tant à son élève «d’attendre, quand il était en co­lère, pour par­ler ou pour agir qu’il eût ré­cité à voix basse les vingt-quatre lettres de l’alphabet» (Plu­tarque). Le géo­graphe Stra­bon joint tou­jours le nom de Po­si­do­nius à ce­lui d’Athénodore comme deux des plus grands stoï­ciens de leur siècle. Il at­tri­bue à ces deux phi­lo­sophes plu­sieurs opi­nions com­munes, tant sur la na­ture de l’océan, que sur les causes du flux et du re­flux. Et lorsque Ci­cé­ron a be­soin de ren­sei­gne­ments bi­blio­gra­phiques sur les pro­blèmes mo­raux et les so­lu­tions pro­po­sées par Po­si­do­nius, c’est aussi à Athé­no­dore qu’il a re­cours. Tout porte à croire que le pre­mier a été le maître du se­cond. Athé­no­dore a com­posé plu­sieurs ou­vrages. Mal­heu­reu­se­ment, la pos­té­rité ne s’est pas donné la peine de conser­ver même leurs titres. Il faut se ré­si­gner aux tra­di­tions de la «pe­tite his­toire», aux anec­dotes. L’une des plus cu­rieuses met en scène Athé­no­dore dans une mai­son han­tée d’Athènes 3 peut-être à l’occasion de son sé­jour dans cette ville pour une confé­rence. Les lo­ge­ments à Athènes étaient rares; Athé­no­dore ris­quait de n’en trou­ver au­cun, si le ha­sard ne l’avait guidé vers une mai­son à bas prix, mais que per­sonne ne vou­lait louer. On lui ap­prit qu’un ter­rible fan­tôme s’était em­paré de ce lo­gis, et que ses ap­pa­ri­tions avaient fait fuir les plus braves. Il au­rait été hon­teux pour un phi­lo­sophe, sur­tout pour un stoï­cien, de té­moi­gner de la frayeur. Athé­no­dore loua la mai­son sans tar­der. Vers le mi­lieu de la nuit, il était en train de lire et d’écrire, quand le re­ve­nant, s’annonçant par un fra­cas ef­froyable, en­tra dans la chambre. Notre phi­lo­sophe se re­tourna, vit et re­con­nut le spectre tel qu’on l’avait dé­crit. Il était là, dressé et lui fai­sant signe de le suivre. Il avait l’aspect d’un vieillard d’une mai­greur re­pous­sante, avec une grande barbe et des che­veux hé­ris­sés, por­tant des chaînes aux pieds et aux mains qu’il se­couait hor­ri­ble­ment. Athé­no­dore, à son tour, lui fit com­prendre, par des gestes, qu’il lui res­tait en­core du tra­vail et re­prit, im­per­tur­bable, son sty­let et ses ta­blettes. Of­fensé de tant de flegme, l’autre se mit à son­ner ses chaînes au-des­sus de la tête d’Athénodore. En­fin, ce der­nier se leva, prit la lu­mière et l’accompagna d’un pas lent jusqu’à la cour où le fan­tôme dis­pa­rut. Le len­de­main, il alla trou­ver des ma­gis­trats et les pria de faire fouiller la terre en ce lieu pré­cis. On le fit et on y trouva des os­se­ments char­gés de chaînes. On leur donna pu­bli­que­ment la sé­pul­ture. Il n’y eut plus, de­puis, d’apparitions dans ce lo­gis.

«tu échap­pe­ras aux dé­goûts de la vie, tu ne sou­hai­te­ras plus la nuit par las­si­tude du jour»

Sé­nèque cite d’Athénodore la pen­sée sui­vante : «Tiens-toi pour li­béré de toutes les pas­sions lorsque tu se­ras par­venu à ne rien de­man­der à la di­vi­nité que tu ne puisses de­man­der en pré­sence de tous… Vis avec les hommes comme si la di­vi­nité te voyait. Parle à la di­vi­nité comme si tu étais en­tendu des hommes» 4. Celle-ci éga­le­ment : «Comme dans la folle mê­lée des am­bi­tions [et des ca­bales], parmi tant de mau­vais es­prits qui ca­lom­nient nos meilleures in­ten­tions, la droi­ture [du cœur] n’est plus en sû­reté, et que nous y au­rons tou­jours plus de dé­boires que de sa­tis­fac­tions, il faut re­non­cer au fo­rum et à la vie pu­blique. Mais même dans le foyer do­mes­tique, une grande âme a où se dé­ployer; et comme la fé­ro­cité des lions et des autres ani­maux ne di­mi­nue point sous les bar­reaux de leur [cage], l’activité de l’homme ne fait que re­dou­bler au sein de la re­traite… En te re­tran­chant dans l’étude, tu échap­pe­ras aux dé­goûts de la vie, tu ne sou­hai­te­ras plus la nuit par las­si­tude du jour…; et tout homme de bien vien­dra spon­ta­né­ment à toi, car ja­mais — si obs­cure soit-elle — la vertu ne de­meure igno­rée!» 5

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Consultez cette bibliographie succincte en langue française

  • Ri­chard Gou­let, «Athé­no­dore de Tarse, dit Cal­vus» dans «Dic­tion­naire des phi­lo­sophes an­tiques» (éd. du Centre na­tio­nal de la re­cherche scien­ti­fique (CNRS), Pa­ris)
  • Jacques Schwartz, «Le Fan­tôme de l’Académie» dans «Hom­mages à Mar­cel Re­nard. Tome I» (éd. La­to­mus, Bruxelles), p. 671-676.
  1. En grec Ἀθηνόδωρος (ὁ) Κανανίτης. Par­fois trans­crit Athe­no­do­ros Ka­na­nites. Éga­le­ment connu sous le sur­nom d’Athénodore fils de San­don (Ἀθηνόδωρος ὁ Σάνδωνος ou Ἀθηνόδωρος ὁ τοῦ Σάνδωνος). Haut
  2. En la­tin Athe­no­do­rus Tar­sen­sis. Éga­le­ment connu sous le sur­nom de Cal­vus ou le Chauve, parce qu’en ef­fet il était chauve. Haut
  3. Pline le Jeune, «Lettres», liv. VII, lettre XXVII. Haut
  1. «Lettres à Lu­ci­lius», lettre X, sect. 5. Haut
  2. «De la tran­quillité de l’âme», ch. III, sect. 1-2 & 7. Haut