Il s’agit du « Midô kanpakuki » 1 (« Notes journalières », ou littéralement « Notes du grand chancelier de la chapelle ») de Fujiwara no Michinaga 2, ministre qui présida à un des moments les plus brillants du Japon ancien (Xe-XIe siècle). « Cet âge-ci, oui, cet âge est vraiment mien quand je puis penser que rien ne vient diminuer la plénitude de la lune » 3. L’auteur de ce poème, Michinaga, présenta pendant toute sa vie le spectacle indescriptible d’un homme béni par la fortune. En étalant avec prodigalité son immense fortune dans des dons fastueux aux monastères, il conserva le pouvoir ministériel sous trois Empereurs avant de le transmettre à ses fils. Sans manifester aucun talent particulier, aucun don remarquable, aucun dessein politique neuf ou original, il releva pourtant les rites et la musique à moitié tombés ; il donna à l’époque de Heian ses meilleurs peintres, ses grandes femmes lettrées, quelques bons généraux aussi, et de nombreux prêtres. On le vénéra à l’égal d’un bouddha incarné ; sa splendeur inspira les tout premiers ouvrages d’histoire nationale : l’« Eiga monogatari » 4 (« Dit de magnificence ») et l’« Ôkagami » 5 (« Grand Miroir »). « C’est autour de [Michinaga] que se développa cette civilisation originale et extrêmement brillante qui a fait la gloire du Xe siècle, mais qui malheureusement a été limitée à une classe particulière, celle des nobles de la Cour, et à une région très restreinte, celle de la capitale et de ses abords immédiats ; l’ensemble du pays, en dehors des monastères provinciaux, restait plongé dans un état semi-barbare et une grande pauvreté ; …le mauvais état des voies de communication, fort peu développées jusqu’à l’époque moderne, empêchait la culture de l’époque d’être plus qu’une culture de Cour », dit Françoise Petit 6.
ministre qui présida à un des moments les plus brillants du Japon ancien
Voici un passage qui donnera une idée de la manière de Fujiwara no Michinaga : « Les hauts dignitaires sont convoqués en présence de l’Empereur qui, ensuite, ordonne de faire venir les lettrés. La pluie a cessé, cependant on leur accorde de s’installer à la galerie de communication de l’Ouest… Après qu’ils ont pris place, sur l’ordre de l’Empereur, le second conseiller surnuméraire — Tadasuke — présente le sujet : “Les fleurs tombées dansent, emportées par l’eau”. Après que le sujet a été annoncé à l’Empereur, le même homme donne la rime, c’est le caractère “kei”, léger. On mande Ôe no Masahira, l’Empereur lui donne le sujet avec l’ordre de présenter la préface. [Cette] préface étant un beau morceau 7, le fils de celui qui l’a écrite — Ôe no Takachika — est nommé membre de la Chancellerie privée » 8.
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- Robert Klaus Heinemann évoquant Michinaga [Source : Université de Genève (UNIGE)].
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Francine Hérail, « La Cour du Japon à l’époque de Heian : aux Xe et XIe siècles » (éd. Hachette, coll. La Vie quotidienne-Civilisations et Sociétés, Paris)
- Françoise Petit, « Le Japon des origines au début du XVe siècle » dans « Histoire universelle. Tome II » (éd. Gallimard, coll. Encyclopédie de la Pléiade, Paris), p. 1525-1563.
- En japonais « 御堂関白記 ». Parfois transcrit « Midô kampakuki ».
- En japonais 藤原道長. Autrefois transcrit Foujiwara no Mitchinaga.
- Michinaga, « Poèmes », p. 114.
- En japonais « 栄花物語 ». Autrefois transcrit « Eigwa monogatari ».
- En japonais « 大鏡 ». Autrefois transcrit « Oh-kagami ».
- « Le Japon des origines au début du XVe siècle », p. 1551.
- Voici un extrait de cette préface : « Sous nos yeux, les fleurs tombées ne sont pas inertes : elles passent l’eau en dansant. Sur la grève, elles tournent, emportées par le vent ; dans l’ombre, elles semblent des manches de neige voletant. Passant rochers et fontaines, elles dansent, comme en harmonie avec le son d’une cithare lointaine dans la brume. S’il arrive qu’il n’y ait plus d’instrument pour donner le rythme et qu’il n’y ait plus que grâce répondant à la voix, quand on visite la source au débouché du rocher, c’est comme si on voyait les beautés sortant du jardin des abricotiers, sortant du jardin des poiriers. À les voir jouer au cœur de la vague, on ne sait s’il s’agit des dames de Chô ou des dames de Kan ».
- p. 28-29.