Malot, « En famille »

XIXᵉ siècle

XIXe siècle

Il s’agit d’«En » d’, ro­man­cier (XIXe siècle), dont la grande mal­chance fut d’avoir surgi entre Bal­zac et Zola, deux gé­nies qui firent de l’ombre au sien. «Mais par la puis­sance de son ob­ser­va­tion, par sa com­pré­hen­sion de la , ses lu­mi­neuses et fé­condes idées d’équité, de et d’, par l’habile en­chaî­ne­ment de ses ré­cits… il est leur égal à tous deux», dit une jour­na­liste 1, «et la pos­té­rité — si elle est juste et si elle en a le loi­sir — le met­tra à sa vé­ri­table place, sur le même som­met qu’occupent l’historien de la “ hu­maine” et ce­lui des “Rou­gon-Mac­quart”. Et puis, quel ferme et su­perbe ca­rac­tère que Ma­lot! Quel dés­in­té­res­se­ment!» Ma­lot na­quit en 1830 près de Rouen. Son père, qui était no­taire, le des­ti­nait à la même . C’est mi­racle que les ma­nuels de qu’il fai­sait ava­ler à son fils ne l’aient pas à ja­mais dé­goûté de la lec­ture. Heu­reu­se­ment, dans un gre­nier de la mai­son, je­tés en tas, se trou­vaient de vieux clas­siques, qu’avait re­lé­gués là leur cou­ver­ture usée : le «Ro­land fu­rieux» de l’Arioste; le «Gil Blas» de Le­sage; un Mo­lière com­plet; un tome de Ra­cine. Et ceux-là, un jour que Ma­lot en avait ou­vert un au ha­sard, l’empêchèrent de croire que tous les étaient des ma­nuels de ju­ris­pru­dence. «Com­bien d’heures», dit-il 2, «ils m’ont fait pas­ser sous l’ardoise sur­chauf­fée ou gla­cée, charmé, ravi, l’esprit éveillé, l’ al­lu­mée par une étin­celle qui ne s’est pas éteinte! Sans eux, au­rais-je ja­mais fait des ro­mans? Je n’en sais rien. Mais ce que je sais bien, c’est qu’ils m’ont donné l’idée d’en écrire pour ceux qui pou­vaient souf­frir, comme je l’avais souf­fert -même, le sup­plice des livres en­nuyeux.»

il lira as­si­dû­ment les an­nales de la cour d’assises, les co­lonnes de la «Ga­zette des tri­bu­naux», les faits di­vers des jour­naux

S’étant dé­cidé à une car­rière lit­té­raire, Ma­lot s’en ex­pli­qua fran­che­ment avec son père, et ce der­nier, tout en re­gret­tant la dé­ci­sion de son fils, le laissa quit­ter Rouen pour ve­nir à Pa­ris, où il fit sa trouée dans le réa­liste. Ses pre­mières études de , quoiqu’abandonnées, ne furent pas per­dues pour au­tant; grâce à elles, Ma­lot se dé­brouillera comme per­sonne dans ce que nous ap­pe­lons «le ma­quis de la pro­cé­dure». Toute sa vie, il lira as­si­dû­ment les an­nales de la cour d’assises, les co­lonnes de la «Ga­zette des tri­bu­naux», les faits di­vers des jour­naux, qui l’intéresseront beau­coup pour le jour bru­tal et cru qu’ils jettent sur des exis­tences en ap­pa­rence ho­no­rables jusqu’au mo­ment où une im­pru­dence, une faute, un dé­lit, un crime les ren­verse de fond en comble, en ré­vé­lant des lai­deurs, des vul­ga­ri­tés, des mi­sères, des hontes qu’on n’aurait ja­mais soup­çon­nées. «C’est cette science ju­ri­dique qui a per­mis à Ma­lot, en maintes cir­cons­tances, de don­ner à ses ré­cits tant de force, tant d’intensité d’émotion ou de convic­tion», dit un  3. Mais, d’un autre côté, ces mé­dio­cri­tés de la vie réelle, re­pro­duites avec une vé­rité aussi exacte que pos­sible, font qu’on se de­mande par­fois pour­quoi le ro­man­cier a pris souci de re­pro­duire de pa­reils mo­dèles; pour­quoi il a rem­pli son de ce coin si maus­sade de l’ plu­tôt que de tout autre. Quand on en vient à exa­mi­ner, tou­te­fois, « Kal­bris», «En fa­mille» et sur­tout «Sans fa­mille», qui sont ses ro­mans pour la , l’horizon s’agrandit à la , se co­lore de teintes pro­non­cées et pi­ca­resques, et les rayons lu­mi­neux en font jaillir une clarté qui dis­sipe la gri­saille du quo­ti­dien.

Voici un pas­sage qui don­nera une idée du d’«En fa­mille» : «Mal­gré son d’aller cher­cher le mé­de­cin aus­si­tôt que pos­sible, elle dut at­tendre que Grain de Sel fût levé, car à qui de­man­der le nom et l’adresse d’un bon mé­de­cin, si ce n’était à lui?

Bien sûr qu’il connais­sait un bon mé­de­cin, et un fa­meux qui fai­sait ses vi­sites en voi­ture, non à pied comme les de rien du tout : M. Cen­drier, rue Ri­blette, près l’église; pour trou­ver la rue Ri­blette, il n’y avait qu’à suivre le che­min de fer jusqu’à la gare.

En en­ten­dant par­ler d’un mé­de­cin fa­meux qui fai­sait les vi­sites en voi­ture, elle eut de n’avoir pas as­sez d’argent pour le payer, et ti­mi­de­ment, avec confu­sion, elle ques­tionna Grain de Sel en tour­nant au­tour de ce qu’elle n’osait pas dire» 4.

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  1. Sé­ve­rine (pseu­do­nyme de Ca­ro­line Rémy) dans Cim, «Le Dî­ner des gens de lettres», p. 23. Icône Haut
  2. «Le Ro­man de mes ro­mans», p. 24-25. Icône Haut
  1. Al­bert Cim. Icône Haut
  2. p. 49-50. Icône Haut