Il s’agit de la recension α de « La Naissance et la Vie d’Alexandre de Macédoine » (« Hê gennêsis kai hê zôê tou Alexandrou Makedonias » 1), récit égyptien d’expression grecque, plus connu sous le titre du « Roman d’Alexandre ». C’est le propre des hommes célèbres de léguer à la postérité un double souvenir : à côté de leur physionomie réelle et humaine se dessine, après leur mort, une figure romancée et de plus en plus fabuleuse, agrandie de créations fantastiques, de variantes merveilleuses, entourée d’une auréole de miracles. Tel fut le sort d’Alexandre le Grand. Aucun homme dans l’Antiquité n’a sollicité l’imagination populaire et militaire avec plus d’énergie que lui. Il y a plusieurs raisons à cela. C’était un conquérant et « le plus excusable des conquérants » 2 ; ses conquêtes avaient un caractère grandiose ; il avait, soit par politique, soit par vanité, encouragé certaines fictions sur sa vie et sur les liens qui l’unissaient à la divinité ; enfin, l’esprit humain parcourait avec complaisance les trois continents qu’il avait réunis, les villes prospères qu’il avait fondées et l’audace opiniâtre qu’il avait déployée. Les histoires légendaires sur ce héros grec, qu’elles appartiennent à l’Orient ou à l’Occident, ont été extrêmement nombreuses et variées, mais toutes remontent, par une série plus ou moins longue d’intermédiaires, à quelqu’une des cinq recensions (cinq rédactions indépendantes) du « Roman d’Alexandre » : α, β, γ, ε, λ. Le « Roman » original n’est assurément pas plus de Callisthène, que de Ptolémée, d’Aristote ou d’Ésope, auxquels il a été également attribué. On estime qu’il s’est transmis d’abord par les narrations orales qu’on débitait à Alexandrie, et qu’autour du IIIe siècle apr. J.-C., il a été rédigé en ouvrage. Il a pour but manifeste de rattacher Alexandre à l’Égypte, et d’en faire un héros proprement égyptien en lui donnant pour père Nectanébo II, dernier pharaon de ce pays. La prédilection toute particulière avec laquelle la fondation d’Alexandrie y est célébrée ; les détails parfois inédits sur cette ville ; le recours à des unités de temps et de lieu locales ; et bien d’autres indices achèvent de confirmer cette origine. Je ne peux faire mention ici qu’en passant des immenses succès du « Roman », qui en ont fait une œuvre universelle. Après une imitation arménienne (Ve siècle), il a connu une adaptation syriaque (VIe siècle), qui a été à l’origine de beaucoup de traditions sur Alexandre en Perse, en Éthiopie, en Arabie, et par la suite, en Turquie et jusqu’en Asie centrale. Quant à l’Europe, elle a donné du « Roman » au moins autant de versions qu’elle a compté de langues ; celles en français ont été si célèbres au XIIe, XIIIe, XIVe siècle, que le vers de douze syllabes qui y apparaît pour la première fois a reçu, comme on sait, le nom d’« alexandrin ».
Pseudo-Callisthène
auteur
Pseudo-Callisthène, « Le Roman d’Alexandre : la vie et les hauts faits d’Alexandre de Macédoine »
éd. Les Belles Lettres, coll. La Roue à livres, Paris
Il s’agit de la recension β de « La Naissance et la Vie d’Alexandre de Macédoine » (« Hê gennêsis kai hê zôê tou Alexandrou Makedonias » 1), récit égyptien d’expression grecque, plus connu sous le titre du « Roman d’Alexandre ». C’est le propre des hommes célèbres de léguer à la postérité un double souvenir : à côté de leur physionomie réelle et humaine se dessine, après leur mort, une figure romancée et de plus en plus fabuleuse, agrandie de créations fantastiques, de variantes merveilleuses, entourée d’une auréole de miracles. Tel fut le sort d’Alexandre le Grand. Aucun homme dans l’Antiquité n’a sollicité l’imagination populaire et militaire avec plus d’énergie que lui. Il y a plusieurs raisons à cela. C’était un conquérant et « le plus excusable des conquérants » 2 ; ses conquêtes avaient un caractère grandiose ; il avait, soit par politique, soit par vanité, encouragé certaines fictions sur sa vie et sur les liens qui l’unissaient à la divinité ; enfin, l’esprit humain parcourait avec complaisance les trois continents qu’il avait réunis, les villes prospères qu’il avait fondées et l’audace opiniâtre qu’il avait déployée. Les histoires légendaires sur ce héros grec, qu’elles appartiennent à l’Orient ou à l’Occident, ont été extrêmement nombreuses et variées, mais toutes remontent, par une série plus ou moins longue d’intermédiaires, à quelqu’une des cinq recensions (cinq rédactions indépendantes) du « Roman d’Alexandre » : α, β, γ, ε, λ. Le « Roman » original n’est assurément pas plus de Callisthène, que de Ptolémée, d’Aristote ou d’Ésope, auxquels il a été également attribué. On estime qu’il s’est transmis d’abord par les narrations orales qu’on débitait à Alexandrie, et qu’autour du IIIe siècle apr. J.-C., il a été rédigé en ouvrage. Il a pour but manifeste de rattacher Alexandre à l’Égypte, et d’en faire un héros proprement égyptien en lui donnant pour père Nectanébo II, dernier pharaon de ce pays. La prédilection toute particulière avec laquelle la fondation d’Alexandrie y est célébrée ; les détails parfois inédits sur cette ville ; le recours à des unités de temps et de lieu locales ; et bien d’autres indices achèvent de confirmer cette origine. Je ne peux faire mention ici qu’en passant des immenses succès du « Roman », qui en ont fait une œuvre universelle. Après une imitation arménienne (Ve siècle), il a connu une adaptation syriaque (VIe siècle), qui a été à l’origine de beaucoup de traditions sur Alexandre en Perse, en Éthiopie, en Arabie, et par la suite, en Turquie et jusqu’en Asie centrale. Quant à l’Europe, elle a donné du « Roman » au moins autant de versions qu’elle a compté de langues ; celles en français ont été si célèbres au XIIe, XIIIe, XIVe siècle, que le vers de douze syllabes qui y apparaît pour la première fois a reçu, comme on sait, le nom d’« alexandrin ».