Li He, « Poèmes »

éd. Gallimard, coll. Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. Connais­sance de l’Orient, Pa­ris

Il s’agit de Li He1, poète chi­nois (VIIIe-IXe siècle) qui mou­rut à vingt-sept ans des suites d’une tu­ber­cu­lose pul­mo­naire. Un ca­rac­tère om­bra­geux et cha­grin, dou­ble­ment at­teint par la ma­la­die et par le deuil, dis­si­mulé sous les de­hors d’un or­gueil in­com­men­su­rable, telle fut la cause de ses mal­heurs et peut-être aussi de ses re­vers. L’homme était d’humeur à créer au­tour de lui une at­mo­sphère plus hos­tile qu’accueillante. La lé­gende veut qu’un de ses cou­sins l’ait haï à ce point qu’à la nou­velle de sa mort il jeta dans les égouts, avec un sou­pir de sou­la­ge­ment, les poèmes de Li He qu’il avait gar­dés. Une quin­zaine d’années plus tard, ces poèmes, dont beau­coup s’étaient déjà per­dus, au­raient achevé de dis­pa­raître, si un de ses amis n’en avait re­trouvé une co­pie mi­ra­cu­leu­se­ment ca­chée dans des ba­gages. Ce fut avec les yeux mouillés de larmes que cet ami écri­vit au poète Du Mu pour lui de­man­der la fa­veur d’une pré­face aux œuvres de ce­lui qui n’avait laissé, après sa mort pré­ma­tu­rée, ni hé­ri­tage ni hé­ri­tiers. La nuit sui­vante, Du Mu fut sur­pris dans son som­meil par les cris d’un mes­sa­ger urgent. Il ré­veilla son do­mes­tique, se fit pré­sen­ter le pa­quet et le dé­ca­cheta à la lueur d’une chan­delle. Il consen­tit à ré­di­ger la pré­face, ce qu’il fit en des termes élo­gieux : « Les nuages et brouillards dont les contours, len­te­ment, se confondent les uns dans les autres ne peuvent don­ner tout à fait une juste image de la ma­nière de Li He ; ni les vastes éten­dues d’eau, celle de ses sen­ti­ments ; ni la ver­dure au prin­temps, celle de sa vi­gueur ; ni la claire lu­mière de l’automne, celle de son style »2. Et plus loin : « Avec de pro­fonds sou­pirs, il s’afflige de choses dont per­sonne n’avait ja­mais rien dit ni de nos jours ni ja­dis »3.

« Ra­re­ment, la ma­la­die aura in­fluencé la poé­sie d’un homme au­tant que celle de Li He »

« Ra­re­ment, la ma­la­die aura in­fluencé la poé­sie d’un homme au­tant que celle de Li He », dit une tra­duc­trice4. « Au­cun poète des Tang5 n’a fait sien le thème de la ma­la­die dans son œuvre au point qu’elle de­vienne pour lui la poé­sie même. » En ef­fet, l’ombre de la ma­la­die, comme une mes­sa­gère des En­fers, plane au-des­sus de Li He. Il voyait des re­ve­nants, il était presque un spectre lui-même, et ses poèmes aux tran­si­tions abruptes, aux images ef­frayantes, lu­gubres, pro­duisent par­fois l’impression de vé­ri­tables danses ma­cabres. Tan­tôt ce sont des fan­tômes qui chantent dans une nuit d’automne les vers d’un poète dé­funt, tan­tôt des pluies qui bruissent sur les ci­me­tières cou­verts d’herbes folles et de ser­pents ram­pant dans la pé­nombre. « So­li­tude et mé­lan­co­lie », dit-il6. « L’âme de l’automne monte dans les verts érables. Sous la nuit froide, un cri dans les vagues. » La bi­gar­rure, le désordre re­cher­ché, les ac­cents tan­tôt plain­tifs et doux, tan­tôt dou­lou­reux et stri­dents, donnent à Li He un charme étrange qui sur­prend plus qu’il ne plaît.

Il n’existe pas moins de six tra­duc­tions fran­çaises des poèmes, mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de Mme Ma­rie-Thé­rèse Lam­bert.

「桐風驚心壯士苦,
衰燈絡緯啼寒素.
誰看青簡一編書,
不遣花蟲粉空蠹.
思牽今夜腸應直,
雨冷香魂弔書客.
秋墳鬼唱鮑家詩」

— Poème dans la langue ori­gi­nale

« Il vente dans les feuilles de pla­tane, et mon cœur tres­saille : un cœur vi­ril a de ces peines.
À la lueur va­cillante de la lampe, les pe­tits fi­lan­diers poussent leur cri7 sur leur soie gla­cée.
Qui donc, en ces ta­blettes de vert bam­bou, lira un seul des ca­rac­tères que j’y trace ?
Nul n’empêchera l’insecte en fleur d’y fo­rer ses trous pou­dreux.
Ah ! que ma pen­sée, cette nuit, se res­sai­sisse ! que mes en­trailles s’insurgent !
Par la pluie et le froid, un es­prit par­fumé console l’errance du poète.
C’est l’automne sur une tombe, mais un fan­tôme y chante un poème de Bao. »
— Poème dans la tra­duc­tion de Mme Lam­bert

« Le vent dans les aleu­rites fait tres­saillir mon cœur, l’homme jeune est af­fligé.
Sous la lampe dé­faillante, les rouets pleurent leur soie froide.
Qui ja­mais lira ce livre de bam­bous verts,
Et ne lais­sera les vers y per­cer des trous pou­dreux ?
Ces pen­sées cette nuit fe­ront dres­ser mes en­trailles,
Sous la pluie froide, une âme de mon pays na­tal conso­lera le poète.
Sur les tombes d’automne, les fan­tômes chantent les poèmes de Bao Zhao. »
— Poème dans la tra­duc­tion de Mme Flo­rence Hu-Sterk (« Ma­la­die et poé­sie sous les Tang » dans « Études chi­noises », vol. 14, no 1, p. 55-94)

« Vent des pla­tanes : tres­saille le cœur. L’homme mûr est af­fligé.
Sous la pâ­leur d’une lampe, les rouets aux cris de soie dé­chi­rée.
Qui pour­rait lire ce livre en bam­bous verts, sans y mettre
Des vers qui fe­ront des trous pou­dreux dans les pages ?
Cette nuit, ron­gées de tour­ments, se dres­se­ront mes en­trailles !
Une âme em­bau­mée, sous la pluie, vien­dra seule conso­ler le poète…
Sur la tombe d’automne, les fan­tômes chantent les vers de Pao Chao »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Fran­çois Cheng (dans « Entre source et nuage : voix de poètes dans la Chine d’hier et d’aujourd’hui », éd. A. Mi­chel, coll. Spi­ri­tua­li­tés vi­vantes, Pa­ris)

« Les pla­tanes, le vent, les sur­sauts du cœur ; tris­tesse de l’homme mûr. Faible rayon­ne­ment de la lampe, la­men­ta­tions des grillons ; pau­vreté, mo­no­to­nie et so­li­tude…
Qui donc a vu un grand livre lé­gué à la pos­té­rité sans être ra­vagé par les mites ? Elles ré­duisent les pages fleu­ries en une pous­sière vide.
Mes pen­sées, cette nuit, me tour­mentent. Et mes en­trailles vont-elles aussi de­ve­nir ri­gides ? La froide pluie tombe. Une âme em­bau­mée vien­dra peut-être pleu­rer la mort d’un let­tré.
Sur les tom­beaux d’automne, les fan­tômes chantent les poèmes de Pao »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Lo Ta-kang (dans « Homme d’abord, poète en­suite : pré­sen­ta­tion de sept poètes chi­nois », éd. La Ba­con­nière, Neu­châ­tel)

« Le vent du ster­cu­lier d’un cœur fort vient à bout ;
La lampe baisse, un rouet pleure une froide soie.
Qui lit les feuillets verts d’un livre de bam­bou
Sait bien qu’un ver en fleur le troue et le pou­droie.
Ce soir, mon pen­ser bronche et rai­dit mes boyaux.
Il pleut ; un par­fum d’âme au poète vient plaire.
Un es­prit chante un vers aux tom­beaux au­tom­naux »
— Poème dans la tra­duc­tion de M. Paul Ja­cob (dans « Va­cances du pou­voir : poèmes des Tang », éd. Gal­li­mard, coll. Connais­sance de l’Orient, Pa­ris)

« Le cœur tres­saille au vent dans les pla­tanes ;
Ce qu’il porte, c’est le mal­heur des hommes.
La flamme va­cillante de la lampe,
Les fi­lan­diers tissent leur soie de glace.
Ce que je trace sur ces feuilles vertes,
Qui donc sera ca­pable de le lire ?
Ou in­ter­dire aux in­sectes do­rés
De faire, à l’intérieur, des trous pou­dreux ?
Mais re­prends-toi, pen­sée, pour cette nuit ;
Rends sa force à une âme qui se ronge.
Cette nuit froide porte le par­fum
D’un souffle qui console le poète.
Un fan­tôme, l’automne, sur la tombe
Qui chante le poème de Bao Zhao. »
— Poème dans la tra­duc­tion in­di­recte de M. An­dré Mar­ko­wicz (dans « Ombres de Chine », éd. In­culte-Der­nière Marge, Pa­ris)

Avertissement Cette tra­duc­tion n’a pas été faite sur l’original.

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  1. En chi­nois 李賀. Par­fois trans­crit Li Ho. Haut
  2. Dans p. 8-9. Haut
  3. Dans p. 14. Haut
  4. Mme Flo­rence Hu-Sterk. Haut
  1. De l’an 618 à l’an 907. Haut
  2. p. 48. Haut
  3. Les com­men­ta­teurs s’accordent à pen­ser que ces « pe­tits fi­lan­diers » qui « poussent leur cri » sont les grillons. Haut