
dans « Les Bienheureuses : nouvelles » (éd. L’Harmattan, coll. Lettres asiatiques-Inde, Paris), p. 101-112
Il s’agit de « Patnî »1 (« Épouse ») de M. Anandi Lal2, plus connu sous le surnom de Jainendra Kumar3 (XXe siècle). Pour cet écrivain et pessimiste indien, disciple de Gandhi, l’homme est un être qui va accumulant en lui-même la souffrance — de douleur en douleur — jusqu’à en être rempli. C’est cette souffrance accumulée qui donne à l’âme une force et une puissante couleur dont l’éclat resplendit sur la noirceur du destin humain. « Hormis ce douloureux éclat, ce ne sont que ténèbres… La souffrance de l’âme est le joyau qui fait vivre, c’est le sel de la terre », dit M. Kumar4. La vérité est donc du côté des humbles et des résignés ; elle est dans l’acceptation intégrale de cette souffrance en dehors de laquelle toute connaissance est mensonge, toute prétention est vain orgueil. Par son œuvre, M. Kumar veut saluer ceux qui ont accepté librement le poids du destin humain, qui l’ont porté sans se plaindre, qui ont souffert sans un mot, puis qui, le moment venu, au terme de leurs tribulations, s’en sont allés de la même façon : en silence. « Leur fin, qu’en penser ? Je ne désire rien en penser. Mais je peux quand même avoir cette pensée, cette unique pensée, que leur [sacrifice] ne peut pas, ne pourra jamais s’oublier, et que peut-être leur pureté est en elle-même assez parfaite pour forcer les portes du paradis à s’ouvrir devant eux », dit-il5. « Dans un style incisif, percutant… ses romans excellent à dépeindre l’exacerbation des affres de la vie domestique d’une couche de la population indienne — la classe moyenne urbaine — dont il est issu, en accusant un tour volontiers provocant ; ainsi dans “Sunîtâ”6, œuvre de 1935 qui fit scandale, où se trouve poussé jusqu’à l’extrême le principe gandhien de résistance passive », expliquent MM. Robert Laffont et Valentino Bompiani.
« La souffrance de l’âme est le joyau qui fait vivre, c’est le sel de la terre »
Voici un passage qui donnera une idée du style de « Patnî » : « Une maison abandonnée, aux confins de la ville. Deuxième étage. Là, dans le coin de la cuisine réservé au repas, une femme est assise devant un réchaud à charbon de bois… En quelque direction que s’égare son esprit quand elle est seule, quelle que soit la façon dont il vagabonde et dont elle le fait vagabonder, à la fin il en revient toujours à cet enfant et à la perte de cet enfant. Alors elle se rappelle tout ce qu’il y avait de si joli chez ce bébé. Elle se remémore ses yeux chéris, ses petits doigts, ses toutes petites lèvres. Elle se souvient de ses jeux et surtout, surtout elle se souvient de sa mort. Oh ! quel est le sens de cette mort ! Elle ne peut regarder vers cette mort »7.
Consultez cette bibliographie succincte en langue française
- Louis Frédéric, « Kumar (Jainendra) » dans « Le Nouveau Dictionnaire de la civilisation indienne » (éd. R. Laffont, coll. Bouquins, Paris)
- Robert Laffont et Valentino Bompiani, « Kumâr (Jainendra) » dans « Dictionnaire des auteurs de tous les temps et de tous les pays » (éd. R. Laffont, coll. Bouquins, Paris).