« Histoire secrète des Mongols, “Mongghol-un ni’uca tobciyan” : chronique mongole du XIIIe siècle »

éd. Gallimard, coll. UNESCO d’œuvres représentatives-Connaissance de l’Orient, Paris

éd. Gal­li­mard, coll. UNESCO d’œuvres re­pré­sen­ta­tives-Connais­sance de l’Orient, Pa­ris

Il s’agit de l’« His­toire se­crète des Mon­gols », le pre­mier, si­non l’unique, mo­nu­ment de la lit­té­ra­ture mon­gole (XIIIe siècle apr. J.-C.). Vol­taire di­sait dans son « Es­sai sur les mœurs et l’esprit des na­tions » que le pays mon­gol « n’a ja­mais été ha­bité que par des bar­bares. Leurs an­ti­qui­tés ne mé­ritent guère mieux une his­toire sui­vie que les loups et les tigres de leur pays ». Peut-être n’avait-il pas tort. Gé­nies des­truc­teurs d’une in­fâme bru­ta­lité, qui ren­dirent les ri­vières de l’Asie noires de l’encre des mil­lions de ma­nus­crits qu’ils y pré­ci­pi­tèrent, on ne peut pas dire que les Mon­gols aient ja­mais écrit pour le plai­sir d’écrire, ni en prose ni en vers. Tou­te­fois il existe une chro­nique mon­gole, connue sous le titre d’« His­toire se­crète des Mon­gols », qui consti­tue une ex­cep­tion ; en­core que sa conser­va­tion est due non aux Mon­gols, mais aux Chi­nois. Elle ra­conte, dans un style rude, la jeu­nesse de ce­lui qui al­lait de­ve­nir Gen­gis Khan. « La vie no­made et pas­to­rale seule a de l’attrait pour l’auteur de cette re­la­tion ; et s’il men­tionne les hauts faits de son hé­ros en de­hors de ses plaines na­tales, c’est bien plus pour mon­trer com­bien il est resté fi­dèle aux ha­bi­tudes de sa jeu­nesse que pour ajou­ter quelques nou­veaux titres à sa gloire. Car, aux yeux de l’auteur, cette gloire avait at­teint son apo­gée le jour où (l’année 1205 apr. J.-C.), ayant sub­ju­gué toutes les tri­bus mon­goles, Gen­gis planta de­vant sa tente l’étendard orné de queues de che­vaux blancs, et fut pro­clamé Em­pe­reur », ex­plique un orien­ta­liste1. « L’intérêt de cette chro­nique mon­gole en mon­gol est consi­dé­rable tant au point de vue his­to­rique qu’au point de vue phi­lo­lo­gique. Au point de vue his­to­rique, nous avons là… un grand nombre de noms propres qui ne se sont ja­mais ren­con­trés an­té­rieu­re­ment, ou s’ils se ren­contrent ailleurs, qui ont été dé­fi­gu­rés dans les autres sources. Pour la pre­mière fois éga­le­ment, un texte consi­dé­rable nous fait pé­né­trer dans la vie et la pen­sée mon­goles avant qu’aucune in­fluence la­maïque ne soit ve­nue les bou­le­ver­ser », ex­plique un autre orien­ta­liste2.

le pre­mier, si­non l’unique, mo­nu­ment de la lit­té­ra­ture mon­gole

Dans l’état où elle est par­ve­nue jusqu’à nous, cette chro­nique se com­pose de deux textes : le texte mon­gol trans­crit en ca­rac­tères chi­nois, et une tra­duc­tion chi­noise qui offre des dif­fé­rences sen­sibles avec le texte mon­gol. Le texte mon­gol porte le titre de « Mong­qol-un niuča tobča’an »3 (« His­toire se­crète des Mon­gols »). La tra­duc­tion chi­noise porte ce­lui de « Yuan chao bi shi »4. L’identité de l’auteur est in­cer­taine. Quelques in­dices donnent à pen­ser qu’il s’agit de Šiki-qu­duqu5, un pe­tit or­phe­lin tar­tare que Gen­gis Khan of­frit « comme bu­tin » à sa mère, et qu’il as­trei­gnit à te­nir le Re­gistre de l’Empire : « L’Empereur Gen­gis dit à Šiki-qu­duqu : “Tan­dis qu’avec la pro­tec­tion du ciel éter­nel je donne une di­rec­tion à la na­tion, sois pour moi des yeux qui voient, des oreilles qui écoutent !”… Il or­donna aussi : “Que Šiki-qu­duqu en­re­gistre par écrit et ras­semble dans le Re­gistre Bleu le par­tage en apa­nages de toutes les tri­bus ainsi que les ju­ge­ments de jus­tice, et que, jusqu’aux des­cen­dants des des­cen­dants, nul ne mo­di­fie ce qui a été en­re­gis­tré en écri­ture bleue sur pa­pier blanc par Šiki-qu­duqu en ac­cord avec moi. Qui­conque le mo­di­fiera sera pas­sible de châ­ti­ment !” »6

Il n’existe pas moins de deux tra­duc­tions fran­çaises de l’« His­toire se­crète des Mon­gols », mais s’il fal­lait n’en choi­sir qu’une seule, je choi­si­rais celle de Mmes Ma­rie-Do­mi­nique Even et Ro­dica Pop.

« Tende Yisügei-ba’atur Ta­tar-un Temüǰin-üge Qori-buqa teri’üten Ta­tar-i da­wu­liǰü ire’esü tende Hö’elün Üǰin ke’elitei bürün Onan-nu Deli’ün-boldaq-a büküi-tür ǰöb tende Čing­gis Qa­han töreǰü’üi. Tö­reküi-tür bara’un qar-tur-iyan ši’a-yin tedüi nödün qat­qun töreǰü’üi. Ta­tar-un Temüǰin-üge-yi abči­ra­q­san-tur tö­rebe ke’en Temüǰin nere ökküi teyimü. »
— Pas­sage dans la langue ori­gi­nale

« Puis, lorsque Neu­vain-le-Preux re­vint après avoir sou­mis les Tar­tares Fer­ret-le-Conseiller, Vingt-le-Tau­reau et d’autres, Dame Hö’elün se trou­vait en­ceinte. Et c’est alors qu’ils se trou­vaient aux Sept-Col­lines, sur l’Onan, que là, pré­ci­sé­ment, na­quit l’Empereur Gen­gis. À sa nais­sance, il vint au monde en ser­rant dans son poing droit un caillot de sang gros comme une as­tra­gale. Comme il était né au mo­ment où on ame­nait le Tar­tare Fer­ret-le-Conseiller, on lui donna le nom de Fer­ret. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Mmes Even et Pop

« Alors, quand Yisügei-ba’atur ra­va­geait les Tar­tares ayant à leur tête Temüǰin-üge et Qori-buqa, et que Hö’elün Üǰin, qui était en­ceinte, se trou­vait au Deli’ün-boldaq du (fleuve) Onan, pré­ci­sé­ment alors Čing­gis Qa­han na­quit. Au mo­ment de sa nais­sance, il na­quit ser­rant dans sa main droite un caillot de sang qui res­sem­blait à un os­se­let. On dit : “Il est né quand on s’est em­paré de Temüǰin-üge des Tar­tares”, et c’est ainsi qu’on lui donna le nom de Temüǰin. »
— Pas­sage dans la tra­duc­tion de Paul Pel­liot (éd. Li­brai­rie d’Amérique et d’Orient A. Mai­son­neuve, Pa­ris)

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  1. Ni­co­las de Kha­ni­kof. Haut
  2. Paul Pel­liot. Haut
  3. On ren­contre aussi les gra­phies « Mongγol-un niγuča tobčiyan », « Mon­gol-un ni­gu­cha tob­chiyan », « Mong­qol-un niu­cha tobcha’an », « Mong­ghol-un ni’uca tob­ciyan » ou « Mangḥol un niuca tobca’an ». En ca­rac­tères cy­ril­liques « Монголын нууц товчоо » (« Mon­go­lyn nuuc tovčoo »). Par­fois trans­crit « Mon­go­lyn nuuts tov­choo ». En ca­rac­tères chi­nois « 忙豁侖紐察脫察安 » (« Mang huo lun niu cha tuo cha an »). Par­fois trans­crit « Mang houo louen nieou tch‘a t‘o tch‘a ngan ». Haut
  1. En chi­nois « 元朝秘史 ». Au­tre­fois trans­crit « Yuan tch‘ao pi che », « Yuan-chao pi-shih », « Yuan-ch’ao mi-shih » ou « Yuan chao mi shi ». Haut
  2. On ren­contre aussi les gra­phies Ši­ki­ken-qu­duqu et Šigi-qu­tuqu. Haut
  3. p. 172. Haut