Mot-clefBéatrice L’Haridon

tra­duc­teur ou tra­duc­trice

« Junping, à son aise dans la simplicité, lumineux dans l’obscurité »

dans Béatrice L’Haridon, « La Recherche du modèle dans les dialogues du “Fayan” de Yang Xiong » (éd. Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco), Paris), p. 35

dans Béa­trice L’Haridon, « La Re­cherche du mo­dèle dans les dia­logues du “Fayan” de Yang Xiong » (éd. Ins­ti­tut na­tio­nal des langues et ci­vi­li­sa­tions orien­tales (In­alco), Pa­ris), p. 35

Il s’agit de Zhuang Zun ou Yan Zun1, plus connu sous le nom de Zhuang Jun­ping ou Yan Jun­ping2, sage chi­nois qui ven­dait de la di­vi­na­tion sur la place du mar­ché, mais de ma­nière à en­cou­ra­ger les ha­bi­tants de Shu3 (l’actuelle pro­vince de Si­chuan) à pra­ti­quer la mo­ra­lité. Avant de par­ler de sa vie, je vou­drais rap­por­ter l’éloge laissé par son dis­ciple Yang Xiong : « Zhuang de Shu, so­li­taire et pro­fond — Zhuang de Shu, dont la va­leur est si pré­cieuse, n’agit pas pour la re­con­nais­sance et ne s’engage pas pour un pro­fit. Il de­meure dans l’obscurité sans se dé­par­tir de son style de vie. Même les joyaux de Sui et de He n’ont pas plus de va­leur »4. Une vie sans faste, éloi­gnée des places et di­gni­tés de l’État, a fait de Zhuang Jun­ping un hé­ros mo­ral non seule­ment aux yeux des taoïstes, mais aussi des confu­céens. Les confu­céens voyaient ce re­trait comme une ré­ponse très digne au désordre po­li­tique de l’époque ; les taoïstes comme le seul moyen d’atteindre l’illumination spi­ri­tuelle. Zhuang Jun­ping pra­ti­quait la di­vi­na­tion sur la place du mar­ché. Voici ce qu’il en dit5 : « La di­vi­na­tion per­met de ga­gner sa vie tout en exer­çant une in­fluence bé­né­fique sur la po­pu­la­tion. Face à une ques­tion in­juste ou mau­vaise, je me sers de l’achillée et de [l’écaille de] tor­tue6 pour ex­pli­quer la dis­tinc­tion entre le nui­sible et le pro­fi­table. Lorsque je m’adresse à un fils, je parle en fait de piété fi­liale… et à un ser­vi­teur, je parle de loyauté. À chaque fois, je tiens compte de leur si­tua­tion par­ti­cu­lière pour les me­ner au bien ». Quand dans la jour­née il avait ga­gné cent sous, juste de quoi s’entretenir, Zhuang Jun­ping pliait aus­si­tôt son étal, dé­cro­chait son en­seigne et pro­fes­sait le « Tao te king ». Se fon­dant sur l’enseignement de Confu­cius le jour et sur ce­lui de Lao-tseu et de Tchouang-tseu le soir, ses vues étaient ex­trê­me­ment vastes. Rien ne lui était in­ac­ces­sible. Il était d’avis que ceux qui lui pro­met­taient ré­pu­ta­tion ou for­tune le fai­saient pour lui faire perdre le fil, pour lui em­brouiller la tête, pour lui nuire. C’est pour­quoi il n’accepta ja­mais au­cune charge of­fi­cielle. Les gens de Shu ne l’en es­ti­mèrent que da­van­tage. Il mou­rut à plus de quatre-vingt-dix ans.

  1. En chi­nois 莊遵 ou 嚴遵. Par­fois trans­crit Tchouang Tsouen, Chuang Tsun, Yen Tsouen ou Yen Tsun. Haut
  2. En chi­nois 莊君平 ou 嚴君平. Par­fois trans­crit Yen Kiun-p’ing ou Yen Chü-p’ing. Haut
  3. En chi­nois . Par­fois trans­crit Chu ou Chou. Haut
  1. « Maîtres Mots », p. 56. Haut
  2. id. p. XV-XVI. Haut
  3. Deux prin­ci­paux pro­cé­dés de di­vi­na­tion. Haut

Yang Xiong, « Maîtres Mots »

éd. Les Belles Lettres, coll. Bibliothèque chinoise, Paris

éd. Les Belles Lettres, coll. Bi­blio­thèque chi­noise, Pa­ris

Il s’agit des « Maîtres Mots », ou lit­té­ra­le­ment « Pro­pos mo­dèles »1 (« Fayan »2), de Yang Xiong3, un des re­pré­sen­tants mi­neurs de la lit­té­ra­ture et de la pen­sée chi­noise, imi­ta­teur des clas­siques. Il vit le jour en l’an 53 av. J.-C. et mou­rut en l’an 18 apr. J.-C. Issu d’une fa­mille noble, mais dont « les pos­ses­sions n’atteignaient pas même dix “jin” d’or », et qui « man­quait de ré­serves en grains », il réus­sit à avoir pour maîtres les meilleurs pro­fes­seurs de Shu4 (l’actuelle pro­vince de Si­chuan) : Zhuang Zun, Li Hong et Lin Lü. Tous les trois étaient ex­perts en di­vi­na­tion, en si­no­grammes « étranges » (ceux an­té­rieurs à la gra­phie qui s’imposa sous les Qin) et en tra­di­tions confu­céennes et taoïstes. La qua­ran­taine pas­sée, il par­tit de Shu et s’en alla à la ca­pi­tale Chang’an5 où on le mo­qua pour sa pa­role em­bar­ras­sée et sa fa­çon d’écrire en style de sa pro­vince — « un style », di­sait-on, « dé­tes­table »6. En l’an 11 apr. J.-C., tou­jours obs­cur et pauvre mal­gré ses fonc­tions de « gen­til­homme de la porte jaune »7 (« huang­men lang »8), il fut faus­se­ment ac­cusé d’avoir trempé dans le com­plot contre le nou­vel Em­pe­reur Wang Mang. En déses­poir de cause, il sauta du haut d’une tour de la Bi­blio­thèque im­pé­riale, mais sur­vé­cut à ses bles­sures et fut mis hors de cause par l’Empereur en per­sonne. Peu après, cette épi­gramme cir­cula dans la ca­pi­tale, lui re­pro­chant ses ha­bi­tudes d’ermite, son goût presque sus­pect pour la so­li­tude et le si­lence :

« “So­li­taire et si­len­cieux”
Il se jette du haut de la tour !
“Pur et tran­quille”
Il com­pose des pré­sages !
 »

  1. Au­tre­fois tra­duit « Pa­roles sur la loi » ou « Les Pa­roles exem­plaires ». Haut
  2. En chi­nois « 法言 ». Par­fois trans­crit « Fa-yen », « Fa jen » ou « Fă-jan ». Haut
  3. En chi­nois 揚雄. Au­tre­fois trans­crit Jang-hiong, Yang Hsiung, Yang Hyong ou Yang-hioung. Éga­le­ment connu sous les noms de Yang Ziyun (揚子雲) et de Yang Zi (揚子). Par­fois trans­crit Yang Tzu-yün, Yang Tse Yün ou Yang-tseu. Haut
  4. En chi­nois . Par­fois trans­crit Chu ou Chou. Haut
  1. Aujourd’hui Xi’an (西安). Au­tre­fois trans­crit Tch’ang-ngan. Haut
  2. Dans le père Léon Wie­ger, « His­toire des croyances re­li­gieuses et des opi­nions phi­lo­so­phiques en Chine : de­puis l’origine jusqu’à nos jours », p. 315. Haut
  3. Au­tre­fois tra­duit « gen­til­homme des portes im­pé­riales » ou « se­cré­taire des portes im­pé­riales ». Haut
  4. En chi­nois 黃門郎. Au­tre­fois trans­crit « houang-men lang ». Haut